Les premiers français
par Frédéric Belnet
En partenariat avec Historia
Outils, restes de gibier, feux, parfois fossiles humains… : les traces du passage et du séjour en France, il y a des centaines de milliers d’années, d’humains archaïques, sont bien plus rares que celles laissées par des populations plus ‘récentes’ comme les Hommes de Néandertal ou de Cro-Magnon. Ces premiers vestiges sont d’autant plus précieux…
Les premiers humains à visiter notre pays ne sont ni nos ancêtres, ni ceux d’aucun peuple actuel, ni même des gens de notre espèce, Homo sapiens. Ce sont pourtant bien des hommes, biologiquement parlant, puisqu’ils appartiennent au genre Homo. Si aujourd’hui la plupart des préhistoriens ne parlent plus guère, pour l’Europe, d’Homo erectus (un nom plutôt réservé aux formes asiatiques), ils ne peuvent, souvent, préciser avec certitude l’espèce à laquelle appartiennent ces premiers résidents. Sont-ils, pour les plus anciens, des Homo ergaster (1,8 à 1 Ma) venus de leur Afrique originelle ? Ou leurs descendants les Homo antecessor, comme ceux d’Atapuerca, en Espagne (1,2 à 0,7 Ma) ? Puis des Homo heidelbergensis, (600 à 200 000 ans), eux-mêmes issus des précédents et ancêtres des Néandertaliens ? Les traces laissées par ces hominidés sur le sol français, en tout cas, si ténues qu’elles puissent être parfois, existent, généralement bien datées et admises par la communauté scientifique. La chronologie de ce peuplement ancien est jalonnée par quelques découvertes importantes.
Les tout premiers..
C’est récemment (2008 – 2009) que les chercheurs du CNRS et du Muséum national d’histoire naturelle, alertés par les premières trouvailles d’un amateur, fouillent un nouveau site à Lezignan-la-Cébe (Hérault), et y découvrent, outre des restes d’animaux très variés, des outils ressemblant à ceux produits par les hominidés africains dès 2,5 Ma : des choppers (tranchoirs rudimentaires) et chopping-tools (à deux faces tranchantes) caractéristiques de la pebble culture (culture lithique du galet), des artéfacts très rares en Europe. Et pour cause : « la datation de la coulée de basalte qui coiffe (…) ces précieux objets avoisine les 1,57 million d’années, et permet donc d’estimer à ce même âge le site et son contenu », dit le communiqué du CNRS. Depuis cette première étude les scientifiques sont revenus que la datation de cette couche, ils estiment maintenant qu’elle se situe entre 1,1 et 0,9 millions d’années, ce qui est déjà très ancien. Des hominidés – les premiers connus pour l’Europe occidentale ! – vivent donc dans le sud de la France dès -1 Ma.
Découverte en 1958 et régulièrement fouillée depuis, la grotte du Vallonet (Roquebrune-Cap-Martin, Alpes Maritimes) possède une stratigraphie (couches de sol) bien documentée, dont le niveau III, daté de 1 Ma, a livré le même type d’outils, eux aussi de culture pré-Oldowayenne, selon le préhistorien Henry de Lumley, qui a travaillé dans la grotte. Des éclats de silex témoignent d’une fabrication sur place, et les os de nombreux herbivores (chevaux, bisons, cervidés…) portent des traces de brisure dues à l’Homme. Tout comme le précédent, ce site ne recèle aucun fossile humain.
Les premiers utilisateurs du feu
Si, sur les bords de la Durance, les traces de feux dans la grotte de l’Escale (800 000 ans, Saint-Estève-Janson, Bouches-du-Rhône) ne sont pas unanimement reconnues comme des foyers aménagés par l’Homme, celles de Menez-Gregan (Plouhinec, Finistère), en revanche, sont incontestablement d’origine humaine. Datée à 465 000 ans par Résonance paramagnétique électronique, la couche correspondant à la première occupation humaine du site recèle, outre plusieurs foyers, de l’outillage lithique, dont les archaïques choppers. La domestication du feu permet désormais à ces hominidés de subsister plus aisément sous nos cieux. Photo stratigraphie sur le site de Menez-Dregan
Toujours à l’ouest du pays, mais bien plus au sud, la Caune (grotte, en Catalan) de l’Arago, à Tautavel (Pyrénées-Orientales), est un haut lieu de la Préhistoire. Si un biface (pierre taillée en forme d’amande) vieux de 600 000 ans y atteste de la présence humaine dès cette époque, c’est surtout une découverte de l’équipe d’Henry de Lumley qui, en 1971, rend le site célèbre : celle du fameux crâne de l’Homme de Tautavel, vieux de 450 000 ans. Depuis, de nombreux autres restes humains – tous attribués à l’espèce Homo heidelbergensis – enrichissent les collections, comme cette mandibule trouvée en juillet 2012.
Des mode de vie reconstitués
Là, des outils acheuléens (caractéristiques du Paléolithique inférieur), dont l’analyse révèle qu’ils sont taillés (pour 80 % d’entre eux) dans des matériaux provenant de la rivière toute proche, et les stries de découpe laissées sur d’innombrables ossements de chevaux, bisons, rhinocéros et rennes, permettent de reconstituer la vie de ces gens : remontant des pierres du cours d’eau passant au pied de la falaise, ils taillent armes et outils bien à l’abri dans leur grotte, d’où ils peuvent aussi observer le gibier sillonnant la plaine avant de le chasser pour le cuire ensuite sur leurs foyers…
Enfin, les fouilles menées à Terra Amata (Nice, Alpes Maritimes) – notamment par Henry de Lumley, toujours lui ! – ont permis de caractériser pas moins de 29 périodes différentes d’occupation humaine remontant à environ 400 000 ans, sous forme de campements probablement provisoires : des pierres en ligne, des traces de piquets et de poteaux suggèrent les emplacements de huttes ovales de 7 à 15 m de long sur 4 à 6 m de large. Au centre de ces huttes, des vestiges de foyers aménagés – fosses peu profondes ou pavements de galets – tous protégés des vents de nord-ouest par de petits murets de pierres. Là, des hommes taillent les galets ramassés sur la plage en choppers, hachereaux, racloirs…, chassent et mangent des cerfs et de jeunes éléphants, dont on retrouve les os.
Tels sont les indices que possèdent les préhistoriens pour retracer le passage de ces tout premier visiteurs de notre pays, lequel, 350 000 ans plus tard, accueillera un nouveau venu : Homo sapiens.
Frédéric Belnet
Journaliste scientifique
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