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Les Néandertaliens des grottes de Grimaldi (Vintimille, Ligurie, Italie)
Contribution au panorama Moustérien, les collections du Prince Albert 1er de Monaco
E. et O. Notter
Monaco
Historique des fouilles
À la frontière de Menton (Alpes-Maritimes, France) et de Vintimille (Ligurie, Italie) se trouve un gisement préhistorique de renommée internationale. Appelé tour à tour « Baousse Rousse », « grottes de Menton », « grottes de Grimaldi », « Rochers Rouges », « Balzi Rossi », ce complexe de sites s’ancre dans une superbe falaise en calcaire du Jurassique supérieur – rougie par l’oxydation et dont les diaclases, gorgées de vestiges archéologiques, intéressent bien tôt les amoureux du « bel objet » (1846, Prince Florestan 1er de Monaco).
Par la quantité et la variété de ses sites (grottes, abris et de plein air), la richesse des objets découverts (vénus, sépultures, parures, outils lithiques et osseux, faune), la succession des occupations mis au jour et des recherches menées depuis le XIXème siècle, les Balzi Rossi s’inscrivent comme un haut-lieu de la Préhistoire et de l’Histoire des sciences.
A droite Les Balzi Rossi (Vintimille, Ligurie, Italie) © Notter
Oui, Néandertal aimait aussi les Balzi Rossi
Cités le plus souvent pour leurs vestiges du Paléolithique supérieur, les sites des Balzi Rossi ont aussi livré des dépôts attribués au Paléolithique moyen. En effet, et bien qu’aucun reste de néandertalien n’ait à ce jour été retrouvé/identifié, la grotte de Costantini, la grotte des Enfants, l’abri Lorenzi, la grotte Florestan, l’abri Mochi, la grotte du Cavillon, l’abri Bombrini, la Barma Grande, l’ex-Casino, l’ex-Birreria, la Baousse da Torre et la grotte du Prince ont contenu – et pour certains de ces sites contiennent encore – des restes fauniques et des artefacts abandonnés par des groupes moustériens. Ces assemblages ont fait – et continuent de faire – l’objet de nombreux travaux (bibliographie et synthèse dans Rossoni-Notter, 2011).
Tous les sites des Balzi Rossi ont ainsi fourni d’importants dépôts moustériens qui attestent d’une multiplicité et d’une récurrence des occupations. Ces lieux n’ont donc pas seulement et exclusivement intéressé les Homo sapiens…Les assemblages moustériens, éclairés par les données biochronostratigraphiques, démontrent en effet que les groupes néandertaliens sont présents aux Balzi Rossi depuis le stade isotopique 5 jusqu’au stade isotopique 3.
Les fouilles Villeneuve et les collections moustériennes du Prince Albert 1er
À la fin du XIXème siècle, à la demande du Prince-savant, Albert 1er de Monaco, le chanoine Léonce de Villeneuve entreprend une série de fouilles. Il va être le premier à mettre au jour des séquences moustériennes importantes et en place aux Balzi Rossi.
La grotte du Prince
À l’extrême est de la falaise, la Barma del Ponte ou grotte du Pont Romain fut acquise par le Prince de Monaco en 1895 et prit le nom de « grotte du Prince » dès 1903. La plus grande cavité des Balzi Rossi comportait un remplissage de plus de 4 000 mètres cubes, subdivisé en 6 grands ensembles d’occupations moustériennes.
La grotte des Enfants
Au nord de la voie ferrée (construite en1870), accolée à la grotte Costantini, la deuxième grotte la plus à l’ouest du gisement tient son nom de la célèbre sépulture double découverte par Émile Rivière en 1874. Les membres de l’équipe du Prince Albert 1er, découragés de ne pas trouver de restes humains à la grotte du Prince, commencèrent à fouiller en parallèle la grotte des Enfants à partir du 22 avril 1900. Après 21 mois de travail, le premier dépôt moustérien fut mis au jour. Mais, Villeneuve, convaincu d’avoir atteint le substratum de la grotte, fit rapidement arrêter cette fouille. Il s’agissait en fait d’un niveau concrétionné.
La grotte du Cavillon
Entre l’abri Mochi et l’entrée occidentale du tunnel ferroviaire, la Barma dite dou Cavillou (cheville, morceau de bois ?) fit très tôt l’objet de fouilles intenses, du fait de sa puissante séquence Paléolithique supérieur. Protégée sous une dalle calcaire, prise pour le substratum, la grande partie du remplissage moustérien fut en revanche occultée. Après un sondage pratiqué le 2 janvier 1902, Villeneuve révéla la présence de trois autres ensembles moustériens (F.I, F.II et F.III).
L’abri Lorenzi
Cette petite anfractuosité, qui mesure 10 m de large à l’entrée pour 6,10 m de profondeur, se situe entre la grotte Florestan et la grotte des Enfants. En partie fouillée, Villeneuve explore partiellement l’ensemble sous-jacent en 1914. À cette occasion, il choisit de baptiser cet abri du nom de son chef de chantier de fouilles, Federico Lorenzi.
Les fonds principaux provenant de ces fouilles sont conservés au Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco. Quelques lots ont aussi été inventoriés à l’Institut de Paléontologie Humaine et dans le département de Préhistoire du Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris. Les vestiges recueillis avaient été étudiés par Léonce de Villeneuve, Marcellin Boule, René Verneau et Émile Cartailhac puis publiés dans une monographie consacrée aux grottes de Grimaldi (1906-1919).
Des lots moustériens de la Barma Grande à Monaco ?
Le Prince Albert 1er a personnellement fouillé la Barma Grande en 1883. Toutefois, les quelques pièces moustériennes conservées à Monaco proviennent d’une donation (Comte Costantini de Florence, Italie).
Démarches d’historien et de préhistorien
Face à un matériel découvert anciennement, la rigueur est de mise pour le préhistorien. Les biais liés à la fouille (subdivisions archéostratigraphiques, sélection du matériel, absence de répartition spatiale) et à la conservation (mélange, donations, disparition d’objets) sont nombreux. Les archives, notes, correspondances, dessins et photographies, liés à cette époque et à ces évènements, ont donc été scrupuleusement exploités en amont de l’étude des assemblages. Cette recherche historiographique a concédé une meilleure compréhension du déroulement des fouilles, des subdivisions sédimentaires et chronostratigraphiques, et facilité le récolement muséal de toutes les collections. De nombreux artefacts ont pu également être réattribués géographiquement et stratigraphiquement.
Le tailleur derrière la pierre
Malgré la difficulté liée à l’ancienneté des découvertes, l’étude pétroarchéologique, technotypologique et morphofonctionnelle s’est révélée riche en informations sur le comportement des artisans moustériens des Balzi Rossi.
Panorama technique des Balzi Rossi au cours du Paléolithique moyen
L’emploi de percuteurs durs, la bonne représentation des méthodes Levallois à pointes et à lames, la présence de produits issus des méthodes laminaires unipolaires et le corpus du petit outillage retouché (racloirs, encoches, pointes) caractérisent les industries moustériennes du Cavillon et du Prince. Néanmoins, des particularités techniques et fonctionnelles ont été mises en évidence. À titre d’exemple, les assemblages les plus anciens de la grotte du Prince comportent de grands éclats calcaires, des galets aménagés, des limaces et les retouches présentes sur les outils y sont plus souvent écailleuses. D’autre part, l’assemblage moustérien le plus récent du Cavillon présente des lames singulières, très bien maîtrisées, volumineuses et très allongées. Enfin, des types morphofonctionnels distincts ont été discriminés parmi les encoches et les racloirs suivant la provenance des sites et les occupations.
A droite, Industries moustériennes de la grotte du Cavillon, Foyers I et II (Guilard) © Notter
Les lots lithiques de l’abri Lorenzi, constitué essentiellement de nucléus (SSDA, laminaires et Levallois) et de la Barma Grande, avec des produits Levallois moins bien représentés, illustrent encore d’autres spécificités.
Considérant également les collections issues de fouilles récentes (abri Mochi, abri Bombrini, Ex-Birreria, Ex-Casino), entreprises par les instituts de recherche italiens, une vision synoptique des comportements techniques a pu par ailleurs être proposée. Malgré un lien technique fort et cohérent, les cultures moustériennes révèlent des hétérogénéités tant diachroniques que synchroniques, en lien avec la fonction, la durée des occupations et les traditions culturelles.
Des stratégies et des territoires
Les tailleurs moustériens des Balzi Rossi ont tous privilégié la récolte de galets fluvio-littoraux périphériques (silex de Ciotti, calcaires) ou semi-locaux ligures (microquartzites, silex de Perinaldo, silex et calcaires noirs, grès fins) qui, transportés, ont été débités in situ. Les grands modules de galets isotropes calcaires et quartzitiques ont intéressé les productions laminaires, tandis que les roches les plus siliceuses et homogènes ont essentiellement été réservées aux chaînes opératoires Levallois.
En comparaison, les matériaux allochtones sont extrêmement rares mais leur récurrence au sein des différents assemblages mérite d’être soulignée. De plus, l’identification des silex de l’arc de Castellane, de la région nord varoise, d’Apt-Forcalquier, de la rhyolite du massif de l’Estérel et de la radiolarite de Ligurie orientale rend compte de territoires d’approvisionnements conséquents, pouvant s’étendre de 35 km à 150 km suivant les occupations. Ces artefacts, isolés, très majoritairement issus de phases de plein débitage et retouchés, résultent d’introductions sous forme de produits finis.
Discussion
Afin de poursuivre ces travaux et réflexions, des études de terrain (prospection, chantier de fouilles, datations) et en laboratoire (matériel anciennement observé ou inédit) ont été programmés. La reconstitution des comportements et modes de vie des peuples néandertaliens qui ont occupé le territoire liguro-provençal entre -90 000 et -37 000 ans contribue, plus largement, à enrichir nos connaissances sur le Paléolithique moyen et les groupes chasseurs-cueilleurs préhistoriques.
E. et O. Notter
Pour en savoir + : quelques références bibliographiques
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