Le premier feu
par Frédéric Belnet
En partenariat avec Historia
« La vie s’arrête lorsque la peur de l’inconnu est plus forte que l’élan », dit l’écrivain Hafid Aggoune. Le feu inspire la peur à tous les animaux. Même à l’être humain. Mais, si l’on sait désormais que l’outil n’est pas le propre de l’Homme, ce dernier, en revanche, est bel et bien le seul à oser domestiquer la flamme, cette entité farouche qui lui assure une place prépondérante dans l’aventure de la vie sur Terre. L’Homme, ou plutôt les hommes. Car cet héritage nous vient d’un temps ou nos ancêtres sont bien loin encore d’être des Homo sapiens. Mais qui sont-ils ?
Identifier les restes d’un feu
Pour retracer la domestication du feu, les archéologues doivent repérer des vestiges très anciens de combustion associés à ceux d’un aménagement artificiel, qui les rendent distinguables des traces laissées par des incendies naturels. La présence de couches successives de cendres, celle de pierres délimitant un ‘cercle’, des fragments de silex brûlés, témoignant d’une activité artisanale, ou d’os partiellement calcinés, vestiges de la cuisson de viande, sont autant de signes d’un foyer structuré, « seule preuve acceptable de la domestication du feu », comme le souligne le préhistorien Bertrand Roussel.
Les premiers foyers dans le monde
À Gadeb, en Éthiopie, à Gesher Benot Ya’aqov, en Israël, à l’Escale, en France, des traces de combustion vieilles de 1,5 à 0,6 millions d’années, prises en compte par de rares chercheurs, sont toutefois généralement imputées à des incendies naturels. « Pour l’instant, aucune trace de feux intentionnels au-delà de 500 000 ans n’est certaine (…). Les arguments archéologiques sont généralement jugés insuffisants pour soutenir cette thèse [par ailleurs] tout à fait envisageable », résume le géologue et préhistorienJacques Collina-Girard.
Bretons et Chinois se disputent, si l’on peut dire, l’honneur du premier feu attesté : dans la grotte de Menez-Dregan, à Plouhinec (Finistère), des hommes entretiennent des foyers dès 450 à 400 000 ans avant le présent, tout comme à Zhoukoudian, en Chine, où, vers la même époque, ils durcissent à la flamme outils en os et en bois de cerf, comme l’atteste l’analyse des charbons.
Vers 300 000 ans, l’usage du feu se répand sur tout l’Ancien monde – le seul habité par les hominidés – et notamment en Europe : à Vertesszöllös, en Hongrie ; à Bilzingsleben, en Allemagne ; à Terra Amata, près de Nice, en France…
Quel hominidé a maîtrisé le feu ?
Ces précurseurs sont des Homo erectus (« l’homme dressé »), l’un de nos ancêtres. Une espèce au volume cérébral de 850 à 1 100 cm3 (contre 1 350 pour nous), et présentant diverses variétés locales : Homme de Java (Pithécanthrope), Homme de Pékin (Sinanthrope), Homme de Tautavel… Le feu, acquis majeur de leur culture dite acheuléenne (bifaces en pierre taillée), est un legs formidable pour leurs descendants, l’Homme de Néandertal et l’Homme moderne.
Comment faisaient-ils du feu ?
« Nous n’avons actuellement aucun moyen de savoir si ces hominidés savaient fabriquer le feu car aucun vestige d’outil à fabriquer le feu n’a été trouvé. L’hypothèse du feu ramassé, conservé et transporté n’est pas à exclure, comme l’imaginait J.H. Rosny-Ainé dans son célèbre roman ‘La guerre du feu‘ », explique Jacques Collina-Girard. Les pratiques des peuplades actuelles, observées par les ethnologues, et les essais expérimentaux des préhistoriens permettent toutefois de bâtir un scénario.
Vers 400 000 ans, l’Homme sait ‘capturer’ le feu mourant d’incendies naturels (foudre, volcans). Et surtout l’entretenir. Il fabrique aussi des armes et des outils en taillant des pierres à l’aide d’un percuteur en silex. Et un jour, tout change : la pierre choisie comme matériau est (il l’ignore, bien sûr) un minerai de fer – pyrite ou marcassite. Contrairement aux étincelles produites accidentellement par deux silex, celles-ci sont durables et se projettent loin devant. Elles se propagent à un tas d’herbe sèche qui traîne devant l’artisan, de menues braises se forment, puis une petite flamme se met à danser…L’Homme apprend à jouer de ces trois éléments-clés : silex, pierre ferreuse et initiateur (mousse sèche ou champignon) pour enflammer des morceaux de bois. Cette technique, véritable ancêtre de nos briquets, est connue sous le nom de percussion.
Ailleurs, d’autres hommes frottent deux morceaux de bois l’un contre l’autre, obtenant à la fois de la chaleur et de la sciure, où naît une petite braise, qu’ils peuvent communiquer à des brindilles sèches. Cette technique de friction sera perfectionnée : drille (tige) et planchette de bois sont attestées il y a 10 000 ans.
Le feu à la préhistoire, pourquoi ?
Répercutée par les parois d’une caverne, la chaleur du foyer, centre de la vie sociale, protège le clan du froid mordant, en ce Paléolithique où dominent les périodes de glaciation. La nuit, sa lumière rassure, éloigne les prédateurs… et rapproche les Hommes. Sa ‘force’ durcit les pointes des épieux. La cuisson de la viande, enfin, attestée très tôt, facilite mastication et digestion, et tue les germes : ces protéines mieux assimilées fortifient le cerveau de l’hominidé, qui ‘mouline’, innove…
La symbolique du feu
Outre l’évidente fascination qu’il exerce sur l’homme préhistorique comme sur nous-mêmes, le feu porterait aussi en lui une signification profonde. Pourtant démentie par l’archéologie expérimentale, une croyance répandue veut que pour faire naître la flamme (‘la vie’) par friction, il est nécessaire de frotter un bois dur (‘mâle’) sur un bois tendre (‘femelle’). « Cette bipolarisation de la pensée suivant l’opposition mâle/femelle semble (…) fondamentale. (…) L’illusion d’un plein subjectif permet au sujet de fuir un creux subjectif assimilé à sa propre mort », interprète Jacques Collina-Girard. Le feu, c’est le plein, l’existence, la vie.
Frédéric Belnet
Journaliste scientifique
Nos premières fois Nicolas Teyssandier Avec « Nos premières fois », le préhistorien Nicolas Teyssandier nous livre un inventaire très particulier, celui des premières fois de l’Humanité, « nos » premières fois culturelles, techniques, matérielles : le premier outil, bien sûr, mais aussi le premier couple, le premier bijou, le premier meurtre, le premier chat, le premier dieu ou encore le premier mot…Ces premières fois qui constituent notre mémoire collective prennent ici la forme d’un grand récit qui s’appuie sur les connaissances le s plus actuelles en préhistoire et en évolution humaine. En savoir plus sur Nos première fois |