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Les premières traces de l’Homme dans la grotte d’Aldène
Les premières traces de l’Homme dans la grotte d’Aldène
(Cesseras, Hérault, France)
Fouilles du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco
Elena Rossoni-Notter (1), Olivier Notter (1-2), Suzanne Simone (1), Patrick Simon (1)
1- Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco
2 – UMR 7194, Muséum National d’Histoire Naturelle
La grotte d’Aldène
Également appelée grotte de la Coquille ou de Fauzan, Aldène est un site mondialement connu pour sa richesse archéologique. Les parois et les sols ont conservé les traces des premiers hommes modernes (Homo sapiens),nos ancêtres directs. En effet, dans le vaste réseau karstique étagé, ces anciens artistes ont laissé derrière eux gravures et tracés digitaux (Aurignacien : vers -30 000 ans) ainsi que leurs empreintes de pas (Mésolithique : vers -6000 ans). Mais d’autres découvertes, au niveau de l’entrée de la grotte, révèlent que les groupes préhistoriques ont pris l’habitude de venir se réfugier à Aldène… bien plus tôt : il y a plus de 400 000 ans !
Particularités géographiques et géologiques : Aldène, une grotte de choix
La grotte d’Aldène se situe au cœur des monts du Minervois, sur le versant méridional de la Montagne Noire, à moins de 4 km de Cesseras (Hérault, France). Elle s’est formée dans les calcaires à alvéolines Tertiaires (Éocène inférieur), qui reposent directement sur des calcaires dolomitiques Primaires (Géorgien supérieur). Ce « bond » dans le temps de 230 millions d’années – avec absence de l’ère Secondaire et début du Tertiaire – en fait un site de référence pour les amoureux de la Géologie et de ses discordances.
Son ouverture est-nord-est surplombe d’environ 45 mètres le lit actuel de la rivière Cesse. Avec le temps, cet affluent de l’Aude a connu de nombreuses fluctuations et dessine aujourd’hui un splendide canyon. En contrebas du site, la Cesse a joué un rôle essentiel pour les hommes de la Préhistoire : sans doute comme source d’eau potable et comme territoire propice à la chasse, mais indiscutablement pour l’approvisionnement en roches. En effet, les galets fluviatiles de quartzite et de grès, transportés par les eaux, ont été retrouvés dans la grotte, exploités sous forme d’outillages ou employés pour structurer leur habitat (dallage et foyer).
Découverte des plus anciens occupants d’Aldène, les fouilles du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco
Dès 1971, Louis Barral et Suzanne Simone, du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, s’intéressent aux premières occupations de la grotte d’Aldène. Avec l’accord de la commune de Cesseras, ils entreprennent des fouilles dans l’entrée de la grotte et dans son porche effondré. Ce chantier durera de 1971 à 1991 puis, de 1996 à 1998, la Direction des Antiquités du Languedoc-Roussillon invite l’équipe à procéder à des fouilles de sauvetage.
A droite, photo des fouilles©Simone
Bien que le remplissage originel ait été en grande partie tronqué par la Compagnie des guanos-phosphates de Fauzan entre 1888 et 1937, 9 témoins stratigraphiques (T1 à T9) ont pu être étudiés. Ils enregistrent une longue séquence d’occupations préhistoriques qui débute aux alentours de – 480 000 ans (fin du stade isotopique 13).
Une succession d’occupations : un site où il faisait bon vivre au Paléolithique
En parallèle des activités de terrain, des études pluridisciplinaires ont eu lieu en laboratoire. Sédimentologie, paléobotanique, paléoclimatologie, paléontologie, micropaléontologie et typologie ont permis de renseigner les grands cadres paléoenvironnementaux et les comportements des groupes venus séjourner à Aldène, depuis la fin du stade isotopique 13 (- 480 000 ans) jusqu’au stade 5.5 (-120 000 ans). Précisés par les datations radiométriques (U/Th et ESR), ces travaux sont aussi parvenus à corréler des unités archéostratigraphiques espacés géographiquement. En 2014, une nouvelle étude s’est attachée à préciser les stratégies économiques et les objectifs techniques des différents tailleurs d’Aldène.
Les tailleurs acheuléens
Les premiers arrivés à Aldène, il y a presque 500 000 ans (niveau L), sont les Homo erectus. Ces tailleurs privilégient les matériaux à disposition immédiate du site et confectionnent des outils qui sont surtout liés à des activités de percussion. Ils façonnent des galets aménagés et quelques pièces bifaciales. Leurs outils retouchés sont aussi très variés ; on distingue des macro-racloirs, des racloirs, des outils à coches, et des pointes (Quinson, Tayac).
Les faunes consommées sont essentiellement les cerfs, les grands bovidés et les chevaux, mais suivant la période d’occupation, du fait des variations climatiques, certains chasseurs ramènent des proies de forêt, tandis que d’autres des steppes. Les preuves d’environnements changeant ont été apportées par l’étude des plantes, des grands animaux et de la microfaune. Un macaque de forêt (Macaca sylvanus florentina) a par exemple été inventorié dans le niveau I. Ce dernier niveau est très intéressant car il a aussi livré un sol aménagé : un dallage empierré de 12 m2. Il s’agit d’une organisation spatiale exceptionnelle, car vieille de 400 000 ans !
Vers – 300 000 ans, les techniques et besoins des groupes acheuléens se modifient clairement. Les matériaux exploités sont plus siliceux et plus lointains (rayon minimal : 6 km), les méthodes de taille (Levallois, discoïde) et outils façonnés (biface, hachereau) plus élaborés. Une structure de foyer a été repérée dans le sol G : une cuvette contenant encore des éléments charbonneux et protégée du vent par des blocs de pierres.
Des occupations paléolithiques plus récentes
Après les Homo erectus, d’autres hominidés sont venus trouver refuge à Aldène. En effet, le remplissage supérieur a mis au jour des outils typiques des cultures de l’Homme de Néandertal (Moustérien) et de Cro-Magnon (Gravettien).
Quel que soit le climat, la quantité et la succession des vestiges indiquent que la grotte d’Aldène a été un lieu de refuge et d’habitat, tour à tour pour les animaux (repaire de carnassiers : ours, loup, lynx des cavernes…) et pour les Hommes du Paléolithique.
Travaux passés, présents et à venir
Les chercheurs qui ont travaillé sur les premiers occupants d’Aldène ont publié leurs résultats dans de nombreuses revues scientifiques à Monaco, en France et à l’étranger. Leurs études contribuent à la connaissance des comportements et modes de vie des chasseurs-cueilleurs de l’arc méditerranéen, mais aussi plus largement des peuples préhistoriques vivant à la charnière du Paléolithique inférieur et moyen.Plusieurs projets ont été programmés pour poursuivre les recherches entreprises à Aldène : des prospections (précision des territoires d’acquisition des matières premières), des analyses morpho-fonctionnelles et structurelles sur les outillages (fonctionnement et fonctions des objets), des études paléontologique et taphonomique (inventaire et traitement de la faune), reprise de la répartition spatiale (dallage). De nouvelles campagnes de datation vont en outre permettre de valider et détailler les niveaux d’occupation.
A droite : tableau synoptique de la séquence archéostratigraphique de la grotte d’Aldène (Hérault, France) ©Notter et Simone
Bon à savoir : Les objets mis au jour à la grotte d’Aldène seront exposés au Musée de Lodève … à partir de juillet 2018 ! La grotte y sera reconstituée avec une mise en lumière des célèbres empreintes de pas des groupes mésolithiques.
Ne manquez pas de découvrir tous les espaces repensés de ce musée avec une exposition de la Préhistoire régionale, du Paléolithique au Néolithique et ses 800 m2 consacrée aux fossiles et aux différentes ères géologiques. http://www.museedelodeve.fr
La grotte d’Aldène est un site majeur. Repaire d’ours et abris pour l’Homme, son remplissage enregistre plus 400 000 ans d’histoire. L’on y découvre les outils confectionnés par les tailleurs, les animaux chassés et consommés par les groupes paléolithiques, d’anciennes traces d’organisation spatiale et de domestication de feu.
Avec sa situation géographique, la proximité de la rivière Cesse et la richesse des vestiges découverts sur le site, nul doute qu’Aldène était un lieu où il faisait bon vivre au Paléolithique !
Pour en savoir + : quelques références bibliographiques
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Remerciements :
Commune de Cesseras
Monsieur Jean-Bernard Tolomio, maire de Cesseras
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