La couleur de la peau et les poils des hommes préhistoriques
L’évolution de la pigmentation de la couleur de peau et de la pilosité chez l’homme
Un article basé sur les travaux du professeur Nina Jablonski
Les hommes préhistoriques étaient-ils couverts de poils ? Quelle était la couleur de peau des hommes préhistoriques ?
Question que l’on découvre souvent dans les forums et qui sont l’occasion d’échanges assez « colorés » entre les participants… Les tenants d’un ancêtre blanc affrontant les défenseurs d’un ancêtre noir, le tout sur fond de racisme ou chacun étant persuadé de détenir la vérité.
En fait tout va dépendre du moment ou l’on remonte pour trouver nos ancêtres… Les travaux du professeur Nina Jablonsky (Directrice du département d’Anthropologie à l’Université de PennState) permettent d’y voir plus clair (sans jeu de mot) sur l’évolution de la couleur de peau humaine et la pilosité de nos ancêtres.
Histoire de peau et poils depuis 3 millions d’années
Il y a 3 millions d’années, des Australopithèques au système pileux développé
Les hominidés de l’époque, tels les australopithèques, étaient couverts de poils avec, en dessous, une peau claire comme le sont les jeunes chimpanzés actuellement. Les poils offraient un « rempart » naturel au soleil et une peau foncée n’aurait été d’aucune utilité.
Il faut dire que tous les hominidés relativement sédentaires de cette époque ont été retrouvés en Afrique et nulle part ailleurs dans le monde. Ils étaient donc adaptés à un climat et une végétation spécifique, consommant des fruits, des feuilles, des tubercules… Leur corps est semblable à celui des grands singes actuels et toujours adapté à l’arboricolisme pour trouver de la nourriture.
D’autres lignées émergent comme celle des Paranthropes mais elles ne laisseront pas de descendants. La Terre rentre dans une phase de refroidissement.
Un chimpanzé à peau rosée ? Le chimpanzé commun nait avec une peau légèrement rosée qui va s’assombrir avec le temps. On remarque également ce changement de couleur avec l’âge chez certains peuples d’Afrique. La photo ci-contre montre un jeune chimpanzé actuel souffrant d’une pathologie qui lui a fait perdre tous ses poils. Il a donc la peau nue et très légèrement rosée… comme probablement les australopithèques sous leur poils foncés il y a 3 millions d’années. Dans Anatomie impertinente, l’anthropologue Alain Froment indique « Avec environ 5 millions de poils très régulièrement répartis, nous ne sommes pas un singe aussi nu que l’affirme Desmond Morris (Le Singe nu, 1967); nous aurions même davantage de follicules pileux que les chimpanzés, mais nos poils sont plus fins ».
Le paléogénéticien Johannes Krause, dans son livre « Le voyage de nos gènes » indique « Si l’on revient encore un peu plus en arrière dans l’histoire de l’humanité, on se rend compte que la peau foncée était elle aussi au départ une adaptation. Notre cousin, le chimpanzé, possède sous son pelage noir une peau claire. À mesure que l’homme perdait ses poils, sa couleur de peau s’est manifestement adaptée afin de protéger son corps désormais nu du soleil. Cette seule raison suffit à montrer qu’il est d’une grande bêtise d’invoquer la couleur de peau pour fonder quelque hiérarchie évolutive que ce soit. À moins que des individus à la peau claire n’aient à cœur de se réclamer d’une proximité génétique particulière avec les chimpanzés.«
Il y a 2,5 millions d’années, des hominidés en pleine évolution qui perdent leurs poils
Le climat a changé et l’Afrique s’est asséchée au centre et à l’est. La baisse des précipitations a contribué au remplacement des forêts par de vastes espaces de savane. Une nouvelle lignée d’hominidés (la lignée Homo) se développe, ses habitudes alimentaires ont évolué par rapport à leurs ancêtres. Pour se nourrir, faute de forêt, ces premiers « hommes » doivent de déplacer sur de plus longues distances mais aussi diversifier leur régime alimentaire. Ils commencent à consommer de la viande et ils la découpent avec des outils…
La morphologie évolue également et nos « marcheurs » ont un corps de plus en plus élancé, des jambes plus longues. Globalement les proportions du corps ressemblent se rapprochent de celles d’Homo sapiens.
Ils se dépensent de plus en plus (déplacements, recherche de nourriture, d’eau) en marchant, en courant, augmentant ainsi leur température corporelle. Cette modification du mode de vie va entrainer la perte des poils qui sont devenus une gêne pour la transpiration.
Il y a 1,6 millions d’années, la lignée des Homo adopte une peau nue…
Nous sommes toujours en Afrique et les espèces se multiplient : H. rudolfensis, H, habilis, H. ergaster, H. erectus… Parfaitement bipèdes ces hominidés ont conservés des zones poilues (sur la tête et les parties génitales) mais les poils sur le corps sont peu à peu remplacés par un duvet laissant la peau nue. Par ailleurs le système de transpiration se modifie et les hominidés vont développer des glandes spécifiques à notre lignée : les glandes eccrines. Celles-ci, plus performantes en terme d’évacuation de la chaleur, peuvent produire jusqu’à 12 litre de sueur aqueuse par jour !
Le soleil devient une agression pour ces peaux claires. Le processus d’évolution va sélectionner les individus à la peau foncée, plus résistante au rayonnement solaire. En Afrique la peau noire (développement de la mélanine) et la transpiration eccrine sont donc respectivement la meilleure protection naturelle pour éviter l’agression du soleil et pour évacuer la chaleur corporelle. Cette parfaite adaptation à l’environnement ne tient bien sur que si les hominidés restent dans la même région, sous le même climat…
Pour l’archéo-généticien Johannes Krauss « Les modifications génétiques qui favorisent les progénitures plus nombreuses se répandent plus rapidement dans les populations, car elles sont plus souvent transmises. Le fait que l’homme possède par exemple une pilosité moins importante que celle de ses cousins éloignés, les grands singes anthropoïdes, est le résultat d’une longue série de mutations au cours desquelles les glandes sudoripares se sont développées au détriment des poils. Grâce à ce nouveau système de refroidissement, les hommes préhistoriques peu velus pouvaient courir plus longuement, ils avaient un avantage pour chasser et pour s’enfuir, aussi vivaient-ils plus longtemps et avaient-ils plus de chances de se reproduire. » (Le voyage de nos gènes)
Les sorties d’Afrique
Les membres du genre Homo ne « tiennent plus en place » et vont peu à peu se disperser dans de nouvelles contrées. Plusieurs groupes sur plusieurs époques vont quitter le continent africain et découvrir des terres nouvelles. La végétation, la faune et bien sur le climat en Europe et en Asie ne sont pas du tout les mêmes qu’en Afrique…
Les conditions de vie dans l’Hémisphère nord vont maintenant favoriser les individus ayant une pigmentation plus claire. Deux raisons à cela :
– le rayonnement solaire est plus faible et la peau foncée n’est plus un avantage
– les UVB sont moins nombreux, et les UVA ne permettent pas de synthétiser la vitamine D nécessaire à l’organisme. Une peau trop foncée est un véritable obstacle aux UVB dans l’hémisphère nord.
La peau des hommes préhistoriques va donc évoluer en fonction des régions ou nos ancêtres de déploient. Cela se fait en plusieurs milliers d’années et la sélection naturelle est implacable : les individus mal adaptés vont donc mourir plus jeune en se reproduisant moins. Il faut savoir qu’à ces époques lointaines l’espérance de vie était beaucoup plus courte que maintenant. Vivre au delà de 30 ans était un exploit !
Néandertal le grand roux à la peau pâle ?
Depuis les années 2000 différentes études montrent que l'homme de Néandertal avait la peau claire. En 2007 la revue Science a publié une étude basée sur de l'ADN néandertalien d'Europe : les auteurs concluent que les Néandertaliens avaient la peau claire et que, parmi eux, 1% étaient roux... C'est assez logique car Néandertal étant présent en Europe depuis 400 000 ans, le processus de sélection naturelle avait eu le temps pour avantager les individus à peau claire.
Néandertal un roux à peau claire ?
Les couleurs de la peau humaine de nos jours
Et maintenant une mosaïque de couleurs de peau selon la latitude et le rayonnement UV
Les hommes sont maintenant présents sous toutes les latitudes, sous tous les climats. Ils ont conquis aussi bien les régions humides et tropicales que les régions arides et sèches ou même les régions polaires.
Partout dans le monde l’homme s’est adapté au rayonnement solaire et au climat. La couleur de la peau est l’un des éléments le plus visible de cette adaptation.
Nina Jablonsky utilisant la carte du rayonnement solaire (fournies par la NASA) démontre qu’elle se juxtapose presque parfaitement avec celle de la répartition de la couleur de la peau humaine. Pour simplifier, plus le rayonnement UV est élevé, plus la couleur de l’homme est foncée et vice versa. Un Africain a donc une peau plus ou moins foncée, un irlandais a une peau très claire, un européen du sud est entre les deux…
En comparant les 2 cartes on remarque 3 zones distinctes la carte des radiations UV à droite ci-dessous on distingue
– une zone centrale (tropicale) très fortement exposée aux ultraviolets avec des populations à la peau très foncée
– une zone intermédiaire (hachurée) ou les populations ont la peau de plus en plus claire et le plus fort potentiel pour s’assombrir (bronzer) et s’éclaircir suivant les saisons
– une zone plus près des pôles avec une population à peau claire pour recevoir le maximum de soleil.
Il existe quelques « exceptions régionales » et certaines populations n’ont pas la couleur de peau que l’on pourrait attendre. Le cas le plus souvent cité est celui des Inuits qui vivent dans les régions arctiques avec une exposition faible aux UV. Ils devraient donc avoir une peau très claire. Hors les inuits ont une peau cuivrée qui filtre un rayonnement très faible ! Ils compensent naturellement le manque de vitamine D en consommant de la grasse de phoque ou de baleine particulièrement riche. L’anthropologue Alain Froment précise : « Les Inuits du Canada et du Groenland et les Yupiks de Sibérie et d’Alaska, très vêtus et habitant des contrées très froides, sont restés assez foncés de peau, ayant contourné le manque d’ensoleillement en intégrant à leur régime alimentaire des sources directes de vitamine (viscères de poissons et de mammifères marins consommés crus) : c’est l’Inuit paradox. Mais avec leur transition alimentaire vers un régime de type occidental, ils développent maintenant, outre une obésité inquiétante, de graves carences en vitamine D » (Le soleil dans la peau, Robert Laffont).
De nouveaux problèmes de peau apparaissent
Comme nous l’avons vu, la couleur de la peau des populations humaines s’est donc développée dans 2 directions qui pourraient paraître contradictoires :
– pour la protection contre les effets destructeurs des UV
– pour une meilleur pénétration de ces mêmes UV pour la production de vitamine D.
Tout est affaire de dosage et c’est cette recherche du juste équilibre qui a donné cette diversité progressive de la couleur de la peau humaine à travers le monde.
Les derniers siècles, de grands mouvements de masse ont perturbé cette harmonieuse répartition de pigmentation de la peau humaine. La peau humaine n’a pas le temps de s’habituer et le processus d’évolution classique et graduel est battu en brèche.
Volontairement des migrants venus de régions tempérées ont conquis des territoires peu habités. C’est le cas des britanniques qui ont massivement émigrés vers l’Australie a partir de 1788. Si les colons, bien « blancs », ont réussis à s’implanter ils en payent aujourd’hui le prix fort. En effet, plus de 50% de ces australiens d’origine européenne développent un cancer de la peau au cours de leur vie ! C’est le taux de cancer le plus élevé sur toute la planète…
A l’inverse, les aborigènes australiens parfaitement adaptés à leur environnement depuis des milliers d’années, présentent dix fois moins de cancer de la peau que les colons européens.
Contre leur gré, on estime que plus de 42 millions d’africains ont été déplacés pendant les périodes de traite des noirs des siècles derniers. Outre les problèmes de racisme qu’ils peuvent encore subir aujourd’hui, des phénomènes médicaux se déclarent. Une étude menée à Boston aux Etats-Unis montre que les afro-américains installés pourtant depuis plusieurs siècles, sont, de nos jours, déficients en vitamine D à plus de 80% ! Leur couleur foncée de peau est un désavantage sous le climat d’Amérique du nord.
Pour le généticien André Langaney, « On a montré que, chez les Amérindiens qui sont tous venus par le détroit de Béring, on trouve des individus plutôt de petite taille et de peau foncée dans la zone équatoriale et des grands à peau relativement très claire au Canada et dans le sud de l’Argentine et du Chili. Il suffit donc de 10 000 à 15 000 ans pour changer la couleur de peau d’une population du plus clair au plus foncé« .
Avec le développement des transports aériens et maritimes, l’espèce humaine fait comme si elle pouvait vivre partout et s’adapter à n’importe quelle condition. Ce n’est manifestement pas le cas et la « petite » histoire d’Homo sapiens sur la planète montre que l’évolution de la peau humaine ne se fait pas sur 2 000 ans…
Le solei dans la peau Un livre de Jean-Marc Bonnet-Bidaud, Alain Froment, Patrick Moureaux, Aymeric Petit L’homme et le soleil : un lien amoureux, un lien dangereux. Depuis les premiers pas de l’homme, le soleil fait partie intégrante de sa vie et même de sa survie. Mais cette relation vitale est aussi risquée, comme en témoigne l’augmentation exponentielle des cancers de la peau. De fait, malgré les messages d’alerte concernant sa santé, l’homme a bien des difficultés à se passer de cette relation qui lui procure également bien-être et plaisirs. Sans oublier les apparentes contradictions des discours médicaux qui préviennent des risques de maladie et tout à la fois vantent les qualités anticancéreuses de la vitamine D induite par le soleil. Comment se faire plaisir sans mettre sa vie en danger ? Comment bénéficier des effets positifs et éviter les effets négatifs du soleil ? Quelles stratégies préventives devons-nous privilégier pour conserver notre capital solaire ? Ce livre pluridisciplinaire est né de la nécessité de proposer une nouvelle voie pédagogique pour inciter chacun à adopter un comportement solaire responsable et minimiser les risques sanitaires inhérents aux expositions solaires inadaptées. Il vous propose autour de cet organe méconnu qu’est la peau, reflet de nos origines, de notre affect, de notre bonheur, de nos tourments, de notre essence même, un voyage dans quatre dimensions : – l’astrophysique, qui s’interroge sur les mutations de notre carte d’identité chimique depuis les premiers temps de notre univers ; – l’anthropologie, qui nous permet de comprendre comment l’Homme a coexisté au tout début avec le soleil, puis comment dans son exil en Europe, il a dû s’adapter à la raréfaction des rayons ultraviolets nécessaires à la bonne marche de son métabolisme ; – la dermatologie, nécessaire pour établir les paramètres qui vous identifient en tant que candidat à risque ou non ; – l’addictologie, car le bronzage devient pathologique quand il est poursuivi et répété malgré la connaissance de l’augmentation de problèmes sociaux, psychologiques et physiques induits par cette pratique. En savoir plus sur Le soleil dans la peau |