Les comportements symboliques de Néandertal
Pourquoi néandertal a Néandertal, des comportements symboliques, voire artistiques ?
Depuis les années 2010 un être préhistorique ne cesse de faire parler de lui : Néandertal. Cet hominidé est devenu une star de la préhistoire. La génétique déjà a permis de démontrer que notre espèce avait à plusieurs reprises eu des contacts plus que proches avec des néandertaliens. Nous avons même quelques pourcentages d’ADN en commun comme avec d’autres espèces d’ailleurs… Il devenait de plus en plus difficile de reléguer cette espèce proche au rang de cousin éloigné un peu fruste, voir primitif.
Pour le paléoanthropologue Antoine Balzeau, « Chose certaine, il faut cesser de hiérarchiser les espèces humaines : notre anthropocentrisme biaise tout ce que nous faisons ! Ils n’étaient ni inférieurs ni égaux, juste différents. Et avec un cerveau très différent du nôtre, ces gens avaient des comportements tout aussi complexes ».
Il apparaît maintenant que Néandertal avait une culture, des pratiques, un savoir-faire bien à lui. Il ne faut pas essayer de comparer perpétuellement les aptitudes de Néandertal par rapport à celles de Sapiens (ou des autres espèces…).
Il reste un sujet très controversé concernant l’ami Néandertal : les capacités cognitives, créatives voir artistiques de ces hominidés. Pour certains chercheurs c’est Néandertal qui a tout appris à Homo sapiens quand ce dernier a pénétré en Europe… Pour d’autres c’est au contraire Homo sapiens qui a montré comment faire aux néandertaliens…
Plutôt que comparer les pratiques des deux espèces nous allons passer en revue les différentes découvertes symboliques ou presque « artistiques » dont l’attribution à Néandertal n’est pas infirmée !
Il y a plus de 170 000 ans, Bruniquel
Au fond d’une grotte des néandertaliens sont allés casser des stalagmites pour ensuite les repositionner en formant des cercles…
176 500 ans en arrière dans la grotte de Bruniquel, des hominidés sont rentrée profondément dans la cavité, à plus de 300 mètres. Pour avancer dans l’obscurité ils étaient munis d’un éclairage portatif (lampe à graisse, torches). Arrivés dans une grande salle, ils ont brisé plus de 2 tonnes de stalagmites et les ont « organisé » en 2 cercles de pierre dont le plus grand faisait 30 mètres carrés ! Bien sûr ils n’ont pas indiqué de mode d’emploi et les chercheurs se posent bien entendu la question du pourquoi !
A cette époque les seuls hominidés connus dans la région étaient des néandertaliens c’est donc leur production qui nous pose tant de questions. Il a fallu s’organiser pour que les individus parviennent dans la salle, avec une source de lumière suffisante, que les taches soient réparties (qui casse ? qui monte ?) que l’objectif soit bien compris de tous…
Pour le préhistoiren Jacques Jaubert « La structure suggère également que ce groupe de Néandertaliens anciens s’entraidaient et avaient une organisation sociale déjà élaborée, en tout cas plus « moderne » que ce qu’on pensait ». Même si nous ne comprenons pas l’utilité et la fonction de cette construction, elle montre que les très anciens néandertaliens avait déjà des comportements symboliques, il y a 176 000 ans. Les recherches continuent !
Les construction de Néandertal dans la grotte de Bruniquel
Il y a 130 000 ans en Croatie
La grotte de Krapina a été une véritable métropole néandertalienne, on y a retrouvé les restes osseux de plus de 80 individus mais également des serres de rapaces
Il y a 130 000 ans dans la grotte de Krapina un néandertalien a réussi a attraper trois Pigargue à queue blanche (Haliaëtus albicilla). Il a choisi d’en extraire les serres afin de les exhiber… Pour Davorka Radovcic (Musée d’histoire naturelle croate à Zagreb) et ses collegues, les serres ont été utilisées sous forme de parure. L’étude démontre que les serres présentent des marques de coupes, de polissage et également d’abrasion. Trois des plus grandes serres ont de petites encoches réalisées au même endroit. Ces différentes caractéristiques indiquent que ces transformations ont été réalisées volontairement par les occupants néandertaliens de la grotte de Krapina pour suspendre ou attacher les serres.
« Les Néandertaliens étaient dotées d’une culture symbolique quelque 80.000 ans avant l’apparition de l’homme moderne en Europe », explique Mme Radovcic.
L’archéologue Francesco d’Errico (CNRS) « Cette découverte révèle que les pratiques symboliques étaient ancrées dans les cultures matérielles des Néandertaliens avant ce que l’on pensait jusqu’à présent ».
Une parure néandertalienne en Croatie dans la grotte de Krapina ?
Il y a 85 000 ans sur le site de Castelmerle à Sergéac (Périgord)
Cro-magnons et néandertaliens ont donc cohabité sur les mêmes terres, chassant sur le même territoire, s’abreuvant aux mêmes points d’eau, reculant devant les mêmes dangers, et cherchant tous les deux à se protéger des mêmes événements climatiques.
Cette cohabitation entre -40 000 et -30 000 ans s’est même déroulée pendant une période de relative aDans le Vallon de Castel Merle des populations préhistoriques se sont succédées depuis le paléolithique moyen.
Dans l’abri des merveilles, à Castelmerle, il y a 85 000 ans, des néandertaliens ont utilisé du cristal de roche pour tailler des outils. Ce n’est pas en soi étonnant sauf que de tel outils n’ont pas d’utilité car la matière utilisée n’est pas adaptée et beaucoup moins résistante que le silex ou d’autres matières cristallines. Les néandertaliens ont donc sciemment taillé des outils pour des raisons qui nous échappent, comme l’esthétique, l’artistique, la symbolique…
De la même façon d’autres néandertaliens ont utilisé le jaspe pour tailler le Jaspe à Fontmaure dans la Vienne. Mais selon les chercheurs c’est les caractéristiques physiques de des matériaux qui ont dictés leur choix des matières avant la taille.
Il y a 75 000 ans à la Roche Cotard (Indre et Loire)
Le « masque »
Devant l’entrée d’une grotte il y a 75 000 ans, un néandertalien, au milieu d’outils moustériens et à proximité d’un feu, enfile un os brisé dans un morceau de silex. Rien d’étonnant si ce n’est que l’objet composite qu’il vient de « créer » ressemble étrangement à une face anthropomorphe. Néandertal a-t-il voulu intentionnellement créer cette figure ? Pour les chercheurs (Marquet et Lorblanchet) il n’y a pas de doute : le morceau d’os est positionné bien au centre, blocage de ce morceau avec des plaquettes « même débordement de l’esquille osseuse de part et d’autre du pont rocheux du bloc support, blocage de l’esquille osseuse à l’intérieur du conduit naturel du bloc support à l’aide de petites plaquettes bien visibles sur l’objet et sur sa tomographie, enlèvement d’éclats sur chacune des deux faces du bloc pour créer une meilleure symétrie du bloc, régularisation des deux arêtes dans la partie « inférieure » de l’objet par écrasement
Pour déterminer l’âge du masque, c’est une datation OSl de la couche mousterienne d’ou a été extrait le masque qui donne un âge de 75 000 ans.
Le gravures pariétales
Un élément important, l’entrée de la grotte de la Roche Cotard était condamnée depuis 57 000 ans : des sédiments fluviatiles et glaciaires avaient bouché son entrée. Tout ce qui était dans la cavité lors de son ouverture en 1846 a donc un âge d’au moins 57 000 ans. Si dans le sol les archéologues ont découvert des bifaces et divers outils « Moustériens » c’est des parois qu’est venue la découverte de gravures. Ce sont dix panneaux non figuratif sur lesquelles ont été tracés des lignes, au doigt ou aux doigts (3 ou 4).
La datation des grains de quartz dans les sédiments à l’intérieur de la grotte avec la méthode OSL montre que la grotte était visitée depuis 75 000 ans au maximum.
La datation des sédiments et les outils moustériens retrouvés à la Roche-Cotard sont pour les scientifiques la preuve que les gravures ont été réalisées par l’Homme de Néandertal. Ces gravures pariétales sont donc, en 2023, les plus anciennes gravures attribuées aux néandertaliens.
Des gravures de 75 000 ans attribuées à Néandertal à la Roche-Cotard
Des colorations pariétales dans une grotte andalouse il y a – 65 000 ans
Il y a 65 000 ans dans la grotte d’Ardales (Espagne) des populations humaines ont appliqué de l’ocre sur des coulées stalagmites de la grotte. Ce ne sont pas des dessins mais plutôt une sorte de peinture sur les stalagmites qui descendaient le long de la paroi.
Après l’analyse des pigments comparée aux dépôts riches en oxydes de fer de la grotte, l’équipe du préhistorien Francesco d’Errico (CNRS, Université de Bordeaux) a pu établir que l’ocre a été apporté dans la grotte à partir d’une source extérieure. Par ailleurs la datation de plusieurs fragments de stalagmites colorés a été confirmée à 64 800 ans et publiée dans les PNAS.
Il y a 65 000 ans les hommes modernes n’avaient pas encore atteint le continent européen et c’est donc bien Homo néandertalensis qui est l’auteur de ces colorations.
“Ce n’est peut-être pas exactement ce qu’on peut appeler de l’art”, indique le professeur Francesco d’Errico, mais “le lieu, la coulée stalagmitique et le fait d’appliquer volontairement du pigment dessus était important, un comportement symbolique”.
De manière générale, pour le préhistorien Patrick Paillet, « …l’utilisation de colorants à des fins symboliques est également bien connue chez Néandertal. Plus de 70 sites du Paléolithique moyen et du début du Paléolithique supérieur ont livré du dioxyde de manganèse et des fragments d’ocre. »
Nouvelles datations de la Cueva de Ardales
Il y a 51 000 ans dans la grotte de La Licorne, Allemagne
Des générations de néandertaliens se sont succédées pendant 100 000 ans dans la grotte de la Licorne (Montage du Harz, en Allemagne)
Un néandertalien manipule un tout petit ossement entre ses doigts : c’est une phalange de mégacéros de 4 sur 6 cm. Son objectif nous dépasse, mais il entreprend de tailler une dizaine de traits dans l’os, sont 6 forment des chevrons. L’espacement régulier et le parallélisme des sillons montrent que c’est une action volontaire d’un être humain. Par ailleurs l’analyse de la phalange indique qu’elle a été bouillie, probablement pour faciliter sa taille. La datation radiocarbone de l’ossement indique un âge de 51 000 ans ou Homo sapiens n’était pas encore arrivé dans la région. Toutes les études corroborent et c’est bien l’Homme de Néandertal qui est à l’origine de cette gravure sur os.
Pour l’archéologue Dirk Leder, ce motif « symbolise probablement quelque chose qui avait un sens pour Néandertal en tant que groupe« … Pour la préhistorienne Marylène Patou-Mathis (MNHN, Paris), « il faut abandonner l’idée d’une influence d’Homo sapiens » mais le sens à donner à cet os gravé reste « énigmatique
Photo : Une phalange de mégacéros gravé, retrouvé dans la gtotte de la Licorne (VOLKER MINKUS / NLD).
Une phalange de mégacéros taillée par néandertal
Il y a 50 000 ans en Espagne
Il y a 50 000 ans sous le porche da la Cueva Antón, un néandertalien a utilisé une coquille Saint-Jacques trouée et colorée en rouge avec un mélange d’hématite et de goethite.
Non seulement la grotte était à 60 kilomètres de la mer, mais les pigments sont également à plus de 5 kilomètres de la grotte. Il semble donc que les néandertaliens avaient la volonté de réunir ces éléments dans un but précis. L’équipe de chercheurs dirigée par João Zilhão indique que si les perforations ne sont pas forcément artificielles elles sont toutes trouées au même endroit. Elles ont donc peut-être été choisies en fonction de la l’existence d’une perforation.
Pour l’utilisation de cette coquille les chercheurs proposent que la coquille a servi de pot de maquillage pour une coloration corporelle ou qu’elle était attachée pour servir d’ornement ou de « bijou ».
Peintures corporelles ou parure sur Néandertal
Il y a plus de 40 000 ans en Crimée
En Crimée, il y a plus de 40 000 ans, un néandertalien a taillé régulièrement 7 encoches sur un peut os de corbeau.
Le site de Zaskalnaya VI, en Crimée, a été découvert en 1969 par Y. G. Kolosov. Les plus grandes campagnes de fouilles ont eu lieu de 1969 à 1975, de 1977 à1978 et de 1981 à 1985.
C’est dans la couche III que les archéologues avaient trouvé un os de corbeau mélangé avec d’autres restes de faune (mammouth, rhinocéros, cheval, mégacéros, renne…). Il avait été décrit comme une sorte d’aiguille sans chas, dont les encoches auraient pu être utilisées pour fixer un fil ou comme décoration… Un groupe de 7 entailles est positionné en transverse sur l’axe de l’os. Les encoches sont régulières et ont été probablement faites avec un silex.
Des entailles faites par Néandertal sur un os de corbeau en Crimée il y a plus de 40 000 ans
Il y a 40 000 ans, La Ferrassie, Dordogne
Depuis 40 000 ans des sépultures étaient dissimulées sous l’abri de la Ferrassie. Même si le mot est fort on peut parler de nécropole néandertalienne, car ce sont 8 sépultures qui ont été découvertes sous les sédiments. C’est exceptionnel car il n’y a eu qu’une quarantaine de sépultures retrouvées en tout dans le monde et donc une forte concentration à la Ferrasie (comme à Shanidar en Irak). La fosse de l’un des plus jeunes (La Ferrassie 6) était recouverte d’une dalle dans laquelle les néandertaliens avaient creusé des petites cavités, des cupules. Le préhistorien Denis Peyrony en 1910 y voit un comportement spécifique : « Dès une phase ancienne du Moustérien les hommes traçaient déjà dans la pierre des cupules [….]. [Elles] paraissent avoir un caractère symbolique, signalétique, peut-être même rituel »
A la Ferrassie, seule une sépulture était couverte d’une dalle à cupule, ce traitement pariculier était-il une façon de distinguer le défunt, de symboliser son rang dans le clan ?
Pour le préhistorien Patrick Paillet il apparaît que « l’émergence de cultures néandertaliennes évoluées précède de plusieurs milliers d’années l’arrivée de la culture aurignacienne ».
Pratiques funéraires néandertal à La Ferrassie
Grotte de Gorham, Espagne il y a 39 000 ans
Il y a 39 000 ans dans la grotte de Gorham (Gibraltar), un néandertalien incise le sol avec une pointe lithique. Il ne représente pas un animal, un humain ou même quoi que ce soit de reconnaissable à notre époque. Il entaille la roche avec des traits dans lesquels il passe et repasse… creusant ainsi des sillons profonds qui forment une sorte d’hashtag paléolithique !
L’étude de la gravure indique que ce n’est pas une conséquence d’une autre activité (comme la découpe d’un morceau de viande par exemple). La profondeur du sillon indique que des incisions répétées qui montrent une volonté qui certes nous échappe mais un dessein qui transpire (l’étude indique que selon l’outil utilisé, le graveur a dû s’y reprendre entre 180 et 300 fois…).
Le chercheur Alain Queffelec (Archéométrie CNRS), qui a participé à l’étude, indique « Ces dernières années on commence à avoir pas mal d’indices qui contrebalancent tout ce qu’on a dit pendant 50 ans sur les Néandertaliens et montrent qu’ils étaient en fait plus proches de l’homme moderne qu’on ne le pensait ». Plus dithyrambique, le directeur du musée de Gibraltar Clive Finlayson s’enflamme : « il s’agit de la première gravure abstraite (…) et délibérée faite sur le mur d’une grotte par quelqu’un qui n’est pas un humain moderne«
Des signes néandertaliens gravés dans la grotte de Gorham
L’étude concernant la gravure de néandertal dans la grotte de Gorham à Gibraltar
La pensée et les comportements symboliques de Néandertal sont très compliqués à prouver : qui a construit le symbole, peut-on être assuré de la datation, il y a-t-il une programmation des gestes obtenir l’artefact ? Il faut prendre en compte que la plupart du temps c’est parce que nous ne comprenons pas l’utilité d’un objet fabriqué, modifié ou arrangé que nous déclarons que c’est symbolique…
Parfois une première étude amène les préhistoriens à avancer le symbolique… et l’hypothèse est ensuite démontée par une avancée archéologique ou biologique. En 2012 une étude identifiait la présence de plumes sur plusieurs gisements néandertaliens. Pour les archéologues, ayant écarté des raisons alimentaires (« les plumes ce n’est pas nourrissant…), il paraissait logique que les plumes étaient coupées par les néandertaliens pour se faire des parures et des ornements (des sortes de comanches paléolithiques). Patatras on se rend compte que les Inuits, entre autres, sucent les plumes d’oiseaux pour en extraire des protéines extrêmement énergétiques… Dans son livre « Néandertal nu », le chercheur Ludovic Slimak conteste ainsi les conclusions de plusieurs études ou manifestement la volonté comportementale symbolique chez Néandertal n’est pas démontrée !
Marylène Patou-Mathis indique également dans son ouvrage « Néandertal une autre humanité » : si l’on peut, grâce aux objets matériels découverts dans les gisements archéologiques, reconstituer les comportements économiques et parfois sociaux de Neandertal, il est difficile, voire périlleux, d’établir ou de déduire ses comportements culturels, en particulier symboliques.
CR
Quelques sources :
Langlais La roche Cotard
https://journals.openedition.org/adlfi/37889
Les néandertaliens ont bien peint la grotte andalouse d’Ardales
The symbolic role of the underground world among Middle Palaeolithic Neanderthals.
Patrick Paillet. Art et comportements symboliques au Paléolithique : quelques points de vue actuels. Gagnepain J. (Ed.), Actes du Colloque “ La Préhistoire de l’Europe occidentale : un bilan des connaissances à l’aube du 3ème millénaire ”, Quinson : Musée de Préhistoire des Gorges du Verdon/Département des Alpes de Haute-Provence, Septembre 2005, 2016, pp.87-101, 2016. ffhalshs01138307f
Les matériaux de Fontmaure – Choix des Paléolithiques et mesures des caractères physique
https://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1967_num_64_3_8948
Pourquoi Néandertal est-il prisonnier de notre propre humanité ?