Méthodes de datation
Les méthodes de datation : comment dater un fossile, un os, un artefact datant de la préhistoire ?
Les méthodes de datation permettent de situer dans le temps un objet, des restes fossiles, et d’estimer une date la plus précise possible. Si le Carbone 14 est la méthode qui vient à l’esprit instantanément, ce n’est qu’une méthode parmi les autres. Suivant l’objet à dater, le contexte de sa découverte, la matière et la quantité que l’on peut prélever, plusieurs techniques peuvent être déployées.
Chaque méthode de datation est généralement dédiée à l’étude d’un type de matériaux, par exemples : le bois de construction pour la dendrochronologie, les restes organiques (bois, os) pour la méthode C14 ou la lave pour la méthode Potassium-Argon. Certaines méthodes étant trop destructrices et/ou trop coûteuses, on peut parfois préférer dater les sédiments qui entourent un artefact plutôt que l’objet lui-même.
Souvent, pour dater une strate ou un objet, plusieurs méthodes sont utilisées conjointement. Par exemple, dans la Caune de l’Arago à Tautavel, huit méthodes de datation différentes ont été utilisées pour dater les nombreuses découvertes, aussi bien lithiques qu’osseuses. Ces multiples expériences permettent d’affiner et/ou de confirmer une datation
Datation relative
La stratigraphie, méthode géologique
Cette méthode repose sur l’étude des strates (couches) qui se superposent au fur et à mesure du temps. Elle permet de hiérarchiser les couches d’un gisement. Une strate et son contenu sont donc datés en fonction des strates qui l’entourent (supérieures et inférieures). La stratigraphie a été, avant les années 1950, l’une des seules façons de dater un site.
Les principes posés sont les suivants :
– les couches horizontales les plus récentes sont situées au-dessus des couches les plus anciennes, c’est le principe de superposition.
– une couche horizontale identifiée a le même âge sur toute son étendue, c’est le principe de continuité.
Une couche A traversée de part en part par une couche B est forcément la plus ancienne des deux (principe de recoupement). Certains événements peuvent permettre de préciser une datation, comme par exemple une couche d’éboulement, une inondation ou une coulée de lave.
Ci-contre la stratigraphie de la Micoque dont le moulage est exposé au Musée de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac.
La biochronologie
Chaque époque identifiée de l’histoire de la Terre possède ses propres espèces animales, et souvent sa propre flore. On peut ainsi, pour chaque espèce, et suivant son degré d’évolution, déterminer à quelle époque elle vivait. La découverte d’ossements dans une couche archéologique peut rapidement être datée par la proximité d’autres espèces animales ou de plantes dont on connaît par ailleurs l’âge.
Cette méthodologie est souvent complétée par d’autres méthodes afin d’affiner la datation.
Ex : La datation du crâne de Toumaï
Afin d’estimer l’âge de Toumaï, les scientifiques se sont basés sur les restes fossiles de Proboscidiens et de Suiformes trouvés dans les mêmes conditions, sur le même site. Voir aussi la datation de Toumaï avec la réponse de Michel Brunet.
La typochronologie, méthode archéologique
Le postulat de départ est simple : la forme d’un objet fabriqué évolue dans le temps sous la pression des techniques, des habitudes artisanales et culturelles ou des modes. Ainsi, la découverte d’une poterie, d’un silex taillé, peut être datée par comparaison avec des objets de même type précédemment identifiés. Cette méthode fait parfois l’objet de longues discussions entre archéologues car le principe est lui-même sujet à interprétation : une industrie lithique, par exemple, peut être identifiée à des périodes différentes suivant la région. Par ailleurs, cette méthode nécessite d’avoir un corpus de référence assez important pour établir des règles. Trouver un objet unique dans un gisement préhistorique ne permet pas d’utiliser cette méthode.
Les feuilles de lauriers que l’on retrouve sont tellement reconnaissables qu’elles indiquent par leur simple présence une occupation solutréenne.
Datation objective ou absolue
1/ Mesures de la radioactivité (méthodes radiométriques)
Plusieurs méthodes utilisent la radioactivité pour déterminer l’âge d’une matière. Les fossiles, ou encore les produits de l’activité humaine, contiennent souvent des éléments radioactifs. Avec le temps, ces atomes radioactifs se désintègrent en formant d’autres éléments. Cette « désintégration-formation » se produit de manière régulière (selon la demie-vie ou période radioactive de l’élément père considéré) et mesurable. On peut donc mesurer les dosages respectifs des éléments père et fils pour déterminer l’âge exact d’un objet, soit par comptage radioactif, soit en utilisant des spectromètres de masse et en dénombrant les atomes des éléments considérés.
La mesure de la radioactivité peut également être une aide précieuse pour la détection de faux millésimes dans les grands vins…
Le Carbone 14 :
Tout au long de sa vie, un organisme va contenir du Carbone 14 (C14), isotope radioactif du carbone se formant dans l’atmosphère. Après la mort de l’organisme, le C14 va décroître progressivement et se transformer en Azote 14 (N14). A noter que pour des organismes vivants (comme un animal) le processus de transformation du C14 en N14 ne peut être mesuré qu’à partir de la mort du sujet, car il n’y a plus de renouvellement du C14.
En 5 730 ans, la moitié des atomes de C14 aura disparu (demie-vie du C14). Plus on avance dans le temps, plus la quantité de Carbone 14 dans l’échantillon est faible et devient de moins en moins mesurable. Cette méthode permet donc de dater des objets jusqu’à 35 000 ans (Paléolithique supérieur) par comptage radioactif.
C’est la méthode du C14 qui a été utilisée pour dater, en 1950, des morceaux de charbons de bois trouvés sur le sol de la grotte de Lascaux. En couplant un spectromètre de masse et un accélérateur de particules, il est aujourd’hui possible de dater des objets sur 50 000 ans, avec de faibles quantités de matière. Cette méthode isotopique est sans cesse améliorée et depuis 2010 les avancées technologiques permettent même de l’utiliser sur des échantillons de plus en plus petits. Avec le temps, les quantités détectables deviennent même infinitésimales et les chercheurs sont alors souvent dans l’incapacité de différencier les atomes de l’échantillon de ceux dûs à la pollution…
Cette technique a été utilisée ces dernières années pour dater certaines des peintures préhistoriques lorsque celles-ci présentent des parties réalisées avec du charbon de bois (Niaux, Altamira, Cosquer et Chauvet…).
Autres atomes cosmogéniques
L’interaction du rayonnement cosmique et de l’environnement terrestre produit d’autres éléments radioactifs que le carbone 14. Le développement des méthodes de spectrométrie de masse permet aujourd’hui d’utiliser plusieurs d’entre eux pour dater des gisements préhistoriques. Ainsi, l’âge biostratigraphique de Toumaï a ainsi pu être confirmé en utilisant l’un de ces cosmonucléïdes, le Béryliium 10, dont la période est d’environ 1,4 millions d’années.
Potassium-Argon (K-Ar) et Argon-Argon (Ar-Ar):
Ces méthodes sont basées sur la mesure de la concentration respective en Potassium 40, qui a une période de 1,25 milliards d’années, et en l’un de ces fils, l’Argon 40. Elles sont principalement utilisées pour dater des dépôts de roches magmatiques, riches en potassium, notamment les cendres volcaniques retrouvées sur certains sites de fouille. Elle permet une datation de 100 000 ans à plusieurs centaines de millions d’années du moment auquel la coulée de lave s’est solidifiée. C’est cette méthode qui a permis, par exemple, de dater les traces de pas de Laetoli (dans des cendres volcaniques) à -3,7 millions d’années. Elle est très utilisée en Afrique de l’est, du fait de la grande activité volcanique de la région dans le passé. Depuis les années 1980, l’utilisation de spectromètres de masse a entraîné la généralisation de l’utilisation de l’Argon-Argon, grâce à la transformation (par activation neutronique) du Potassium 39 contenu dans les échantillons en Argon 39 (le rapport entre Potassium 39 et Potassium 40 est constant dans l’environnement terrestre).
Rubidium-Strontium 87Rb-87Sr :
Ici encore le principe est identique : c’est le Rubidium 87 qui se désintègre en formant du Strontium 87. En 48,8 milliards d’années, la moitié des atomes de Rubidium sera désintégrée, remplacée par des atomes de Strontium. Cette méthode nécessite également de réaliser des mesures sur des roches de la même origine (soit magmatique, soit des minéraux d’une même roche). La méthode permet de dater des roches jusqu’à quelques milliards d’années.
Uranium-Thorium
L’uranium présent dans l’eau est incorporé dans les matières se formant à partir de celles-ci, telles que les squelettes de coraux, les coquillages ou la calcite en formation sur la paroi d’une grotte. L’Uranium 234 se désintègre ensuite rapidement en Thorium 230 dont la période est de 75 200 ans. Cette méthode permet de dater jusqu’à – 500 000 ans en utilisant un spectromètre de masse. C’est de cette manière que les gravures de la grotte de Creswell Crags, en Angleterre, ont pu être datées. La fine couche de carbonate de calcium qui s’était déposée sur la partie gravée a été datée de – 12 800 ans.
A la Caune de l’Arago (Tautavel), la méthode U-Th a permis de dater, entre autres, un épais plancher stalagmitique recouvrant les niveaux fossilifères.
A gauche : photo des fouilles à la Caune de l’Arago à Tautavel en 2009. Photo Kroko pour Hominides.com.
2/ Mesures de l’exposition à un rayonnement (méthodes paléodosimétriques)
La thermoluminescence
La thermoluminescence permet de dater les minéraux qui ont été chauffés dans le passé à une température suffisante (notamment les grains de quartz et de feldspaths présents dans les céramiques, poteries, pierres…). Après cette chauffe, ces matières ont la capacité d’emmagasiner l’énergie des rayonnements ionisants auxquels elles ont été exposées. Pour mesurer la dose d’énergie stockée, on chauffe le minéral à plus de 500 degrés et on mesure le rayonnement lumineux émis (luminescence) qui permet de calculer le temps écoulé entre les deux opérations de chauffe.
Cette méthode est particulièrement utilisée pour dater des poteries, des objets ayant été exposés à de fortes températures, ou des roches d’origine volcanique (laves). Elle peut être utilisée sur des périodes allant jusqu’à 500 000 ans.
La thermoluminescence a permis de dater précisément les silex chauffés retrouvés avec les squelettes de la grotte de Qafzeh (Israël) : la grotte a été occupée il y a 92 000 ans.
La luminescence stimulée optiquement (OSL)
Pour mesurer la dose d’énergie stockée dans certains minéraux, il est également possible de stimuler ces derniers avec des rayonnements lumineux. Cette technique, appelée luminescence stimulée optiquement, permet alors de dater la dernière exposition des minéraux à la lumière du soleil avant leur enfouissement. Cette méthode permet ainsi de dater la mise en place de niveaux géologiques fluviatiles ou éoliens, sur des périodes allant de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers d’années.
La luminescence stimulée optiquement a permis de dater récemment les ossements humains découverts sur le site espagnol de la Sima de los Huesos, à Atapuerca, de plus de 400 000 ans.
ESR
La résonance de spin électronique (ESR) est une méthode qui fonctionne sur les mêmes principes que la thermoluminescence, mais cette fois en utilisant les propriétés magnétiques de centres-pièges radiosensibles présents dans les minéraux. La datation ESR nécessite de mesurer la dose totale de radiations reçues par un artefact depuis son enfouissement. Elle a été testée sur plusieurs matières avec plus ou moins de succès. Les spécialistes la recommandent pour dater l’émail dentaire et les ossements, les concrétions dans les grottes et les coquilles de mollusques, les grains de quartz…
L’ESR permet de remonter dans le temps jusqu’à plus d’un million d’années pour le calcite et pour les restes dentaires, voire à plusieurs millions d’années pour les grains de quartz.
C’est avec cette méthode que les spécialistes ont pu dater les dents à la Caune de l’Arago à Tautavel.
3/ Autres méthodes
La dendrochronologie
Inventée par Douglas dans les années 1950, cette méthode biologique est basée sur l’étude et la lecture des cernes de croissance des arbres. En effet chaque année l’arbre pousse différemment suivant la température, l’humidité (ou la sécheresse) et plus généralement la météo. Les cernes sont donc plus ou moins épais et on a donc pu établir une chronologie de référence par région : ils sont larges si la période était favorable et étroits dans le cas contraire. Avec la dendrochronologie on peut remonter ainsi, dans certaines régions, du présent à – 11 000 ans BP et même parfois préciser la saison.
A noter, cette méthode ne peut être utilisée que dans les régions tempérées (comme les continents américain et européen), dont les essences d’arbres marquent nettement les années et les saisons.
C’est une datation très très précise…
La barque carolingienne trouvée à Noyen-sur-Seine a pu être datée de 834 après J-C grâce à la dendrochronologie. On a même pu déterminer qu’au moment de son abattage, le chêne qui a servi à sa construction avait 158 ans ! La méthode est d’ailleurs tellement précise qu’elle est utilisée pour corriger (calibrer) les âges radiocarbone.
Le paléomagnétisme
Au cours du temps, la position du pôle Nord magnétique varie. Ces variations, qui peuvent aller jusqu’à une inversion complète de l’orientation du champs magnétique terrestre, ont été étudiées à différentes échelles de temps et ont permis d’établir une chronologie de référence sur plus de 100 millions d’années. Elles constituent un élément important de la mise en évidence de la tectonique des plaques. Lors de la solidification d’une roche (le plus souvent dans les zones d’expansion océanique), les parties ferromagnétiques s’orientent en fonction du champs magnétique terrestre. Elles conservent ainsi la trace de la position du pôle Nord au moment de leur émergence. Sur des périodes plus récentes, la variation séculaire à millénaire de la position du pôle magnétique peut être également utilisée sur des structures de combustion ou des matériaux chauffés (archéomagnétisme).
Récapitulatif : quelles méthodes de datation pour quels besoins
Pour dater un artefact, les chercheurs peuvent décider d’utiliser plusieurs méthodes afin de contrôler et valider une datation. Il existe de nombreux cas où les méthodes de datation sont inopérantes : par exemple, une peinture pariétale à base d’ocre sera impossible alors que l’utilisation de bois calciné (noir) sera étudiable par la méthode du carbone 14.
Hominides.com remercie le professeur Jean-Jacques Bahain (MNHN, CNRS) pour son aide et ses corrections.
Sources
– Conférence Méthodes de datation Musée de Guiry-en-Vexin avec Jean-Jacques Bahain, Yannick Le Digol Emmanuelle Delqué-Kolic Sylvain Griselin,
– Histoires d’ancêtres, La grande aventure de l’origine de l’Homme – Collectifs Dominique Grimaud-Hervé, Frederic Serre, Jean-Jacques Bahain, Roland Nespoulet, Romain Pigeaud
– Homo, une histoire plurielle d’un genre singulier Claude-Louis Gallien
– Comment reconstituer la préhistoire ? Romain Pigeaud
– Archéologie Septembre 2005 n° 306
– Science et Avenir Hors Série 183