Chasse à la préhistoire… un vrai travail !
Les premiers chasseurs à la préhistoire, avec quelles armes ?
La chasse dans l’art préhistorique.
La vision fantasmée d’une tribu d’hommes préhistoriques traquant un mammouth dans la boue est dans toutes les mémoires. Le dessinateur tchèque Zdnek Burian a donné vie et réalité à ces grands moments de chasse du Paléolithique. Dès le plus jeune âge les enfants savent reconnaître un rhinocéros laineux, un mammouth ou un bison des steppes… En même temps que notre branche s’est développée, nous, hominidés, avons également évolué en termes de physique bien évidemment, mais également de mode de vie, de régime alimentaire et de localisation géographique.
Toutes les espèces d’hominidés n’ont pas été chasseurs ni même omnivores ou carnivores. Les ancêtres d’Homo sapiens avaient des pratiques et un régime alimentaire bien différent.
Si au Paléolithique ancien, la consommation de viande par l l’Homme est attestée… la préférence manifeste pour les grand herbivores suggère le charognage ou la chasse passive (piégeage ?) sans affrontement direct au vu de la modestie des armes disponibles.
A droite, une illustration de Zdenek Burian montrant une sorte de piégeage pour tuer un mammouth.
Pour trouver les plus anciennes traces de chasses préhistoriques nous disposons de plusieurs moyens à notre disposition. Comme dans le cadre d’une enquête policière, il faut utiliser tous les indices repérés pour découvrir à quand remonte la chasse (les premiers chasseurs), les traces de cette pratique (os, dents des prédateurs humains, restes osseux des proies), les armes qui nous sont parvenues et enfin les représentations évoquant la chasse dans l’art préhistorique.
Changement de régime alimentaire pour les premiers hominidés chasseurs…
C’est presque une lapalissade mais il est logique que si une espèce est végétarienne ou frugivore il n’est pas nécessaire pour elle de pratiquer la chasse. On imagine pas non plus un hominidé chasser un herbivore pour en tirer uniquement de la peaux, des os et des tendons : le risque est bien trop élevé. Au mieux, s’il mange quelques petits animaux, il peut se contenter de les charogner. Il est possible, voire probable, que certains insectes ou petits animaux (limaces, larves, chenilles) étaient consommés en même temps que les végétaux mais cela n’était pas forcément volontaire. Les plus anciens hominidés (dont les australopithèques) ne consommaient que très peu de viande qu’ils se procuraient accidentellement ou par charognage.
Pour Marylène Patou-Mathis, « des chercheurs ont montré que les deux pratiques, chasse et charognage, coexistent depuis fort longtemps et qu’en outre, elles ont perduré dans les sociétés d’agro-pasteurs. » Si les paléolithiques se sont mis à charogner et à chasser c’était principalement pour la viande. La dentition des espèces d’hominidés nous donne des informations sur le régime alimentaire qu’ils adoptaient.
L’étude des dents
La dentition d’un hominidé peut nous en apprendre énormément sur son régime alimentaire : l’analyse isotopique mesure les concentrations relatives de carbone 14 et carbone 13 et donne ainsi ses préférences alimentaires, comme pour des herbes, des arbustes, des feuilles, ou même de l’écorce. Les taux de baryum et de calcium dans les dents permettent de déterminer les espèces carnivores ou herbivores. De la même façon, la présence et l’orientation des marques ou cassures sur l’email des dents permet de déterminer, en partie, le type d’aliment habituellement consommé par ces premiers hommes. Sur les fossiles plus récents, l’étude des restes de tartre indique également la composition du régime alimentaire : des plantes, de la viande, des lichens, des champignons… et précise éventuellement si les aliments étaient crus ou cuits.
Montre-moi tes ossements je te dirai qui tu as tué / charogné / mangé…
Les marques sur les ossements des animaux tués et consommés sont parfois la preuve d’une action anthropique. De la même façon, les marques sur les restes fossiles d’un hominidé peuvent montrer que ce dernier a servi de repas à ses congénères (anthropophagie) mais pas forcément en ayant été chassé.
Les traces de boucherie effectuées avec un outil sur les ossements indiquent le travail d’un hominidé sur la carcasse, mais on ne sait pas si l’animal a été charogné ou bien chassé. Ces marques sur les ossements peuvent indiquer une action de décharnement pour séparer les muscles. Des os longs brisés suggèrent quant à eux la recherche de moelle…
L’âge de la faune chassée est également un marqueur du type et de la saison de chasse pratiquée. Souvent, dans un troupeau, ce sont les animaux les plus faibles ou les plus jeunes qui sont choisis afin d’en faciliter la traque et diminuer les risques.
C’est avec le genre Homo que les hominidés vont rajouter la viande au menu. L’anthropo-généticienne Evelyne Heyer explique que c’est l’adaptation à un changement climatique vers un assèchement qui a obligé les premiers hommes en Afrique, à élargir leur régime alimentaire et devenir omnivore. « Les premiers Homo habilis… vont se libérer très vite de leur milieu naturel réducteur et bouger immédiatement. Ils vont s’en libérer parce que devenus carnivores, ils disposeront d’un territoire plus vaste que celui des végétariens qu’ils étaient ; parce qu’étant carnivores, ils vont chasser et donc bouger davantage… »
Ce changement de ressources alimentaires va avoir un impact sur le métabolisme des hominidés. La taille du cerveau va augmenter, ainsi que la stature. La viande va permettre de répondre aux besoins nutritionnels croissants des hominidés en termes de calories et de protéines. Le cerveau, dont nous sommes si fiers, consomme à lui tout seul jusqu’à 20% des calories que nous ingurgitons. C’est un investissement important qui nous différencie du reste de la faune. La viande constitue alors un apport important et nécessaire de notre alimentation : pour assurer son approvisionnement régulier, les hominidés ne peuvent pas compter que sur le charognage, il faut chasser le gibier.
Les armes de chasse potentielles, ou plutôt celles qui nous sont parvenues !
Les armes maniées (et fabriquées ) par les paléolithiques n’ont pas forcément laissé de traces, du fait d’un manque de conservation. Celles que nous pouvons retrouver sont forcément en matière résistantes, comme la pierre ou l’os. Le bois et les fibres en revanche ne peuvent se conserver que dans des circonstances très particulières… Les plus anciens outils en pierre sont datés de 3,3 millions d’années (site de Lomekwi). Ce sont des pierres qui peuvent présenter des parties coupantes mais rien n’indique qu’elles ont été façonnées volontairement et qu’elles ont servi d’armes de chasse.
Par ailleurs les traces de découpes sur les ossements (comme le site de Dikika en Ethiopie) sont remis en cause par l’impossibilité de situer les découvertes dans la stratigraphie.
Avant de chasser, les hominidés charognaient et utilisaient des pierres ayant une arrête coupante pour dépecer leurs proies : ces outils peuvent laisser des traces caractéristiques sur les os.
Les premières chasses étaient opportunes et les paléolithiques pouvaient profiter d’un piège naturel pour immobiliser un animal, le tuer et le consommer. Toutes les armes crées permettaient aux Hommes de rester à bonne distance de leur proie et donc de minimiser les risques, mais également de provoquer des blessures de plus en plus profondes et létales.
C’est vraiment avec les armes de jet que l’on peut vraiment parler de chasse. Pour l’archéologue Curtis Marean « cette invention a dû mettre très longtemps à émerger. Les armes de jet ont vraisemblablement évolué ainsi : des épieux de bois ont d’abord été lancés à la main, puis des sagaies plus légères, avant que vienne l’idée du propulseur, un dispositif à effet de levier accroissant la portée des projectiles ; ensuite, l’arc et les flèches, les sarbacanes puis tous les moyens inventés par les hommes pour lancer des projectiles mortels se sont ensuivis ».
Les armes de chasse à la Préhistoire
Arc, flèche, lance, épieu, bola, propulseur, pointe de la gravette (emmanchée sur une sagaie), microlithe (lame et lamelles de pierre) destinées à être fichés dans des armes de bois ou d’os.
Les épieux, les sagaies
Les lances sont une innovation particulièrement impactante pour les paléolithiques car ils nécessitent un travail de préparation (choix de l’essence, ébarbage, appointage…) puis un entraînement, et enfin la coordination des individus pour mettre en place une stratégie de chasse. Les épieux, lances ou bâtons de jet ont été réalisés en bois, la pointe a été taillée et parfois brûlée pour en augmenter la résistance. Les plus anciens bâtons de jet à ce jour, ont été retrouvés à Schöningen (Allemagne) et datés de 300 000 ans minimum. Avec une datation moins précise entre 200 et 450 000 ans (!) une lance avec une pointe a été retrouvée en 2011 à Clacton-on-Sea en Grande-Bretagne. Ces armes de jet font partie des rares éléments en bois qui, bénéficiant de conditions de conservation exceptionnelles, ont survécu jusqu’à notre époque. A noter, un épieu long de 2,4 mètres, daté de 125 000 ans a été attribué à Néandertal sur le site de Lehringen (Allemagne). Le préhistorien Nicolas Teyssandier souligne que « Néandertal était un remarquable chasseur, capable de s’adapter à tous les gibiers des environnements qu’il fréquentait, des plaines steppiques d’Eurasie ou régnaient de grands troupeaux de rennes ou de chevaux à des environnements plus forestiers, méditérranéens, voire les piémonts des massifs montagnards, que ce soit dans les Pyrénées, dans les Alpes ou dans les contrées plus lointaines, comme les massifs du Caucase et jusque dans l’Altaï« .
Les harpons
Si l’on trouve des harpons principalement dans les gisements paléolithiques d’Europe de l’ouest, 90% proviennent de la zone franco-espagnole (en France, c’est en Aquitaine et dans les Pyrénées). Ils ont été utilisés au Magdalénien, il y a de ça 15 000 ans, et au global, près de 2000 harpons de paléolithiques ont été exhumés.
Réalisés en os, en ivoire ou en bois de cervidés, les harpons comportent un ou deux rangs de barbelures. Si pour notre époque le harpon correspond à une chasse en milieu aquatique, il est plus que probable qu’au Paléolithique les préhistoriques utilisaient cette arme dans l’eau, sur la terre ferme ou dans les marécages ! Pour lancer un harpon emmanché les chasseurs pouvaient utiliser la force humaine, l’arc (?) ou bien le propulseur. Une fois que la partie la plus pointue avait pénétré la peau de l’animal, les barbelures empêchaient la sortie du projectile.
Le propulseur, arme iconique de la chasse à la préhistoire
Le propulseur est une arme de jet pour projeter plus fort et/ou plus loin une sagaie ou une lance. Par effet de levier, la sagaie est propulsée à distance avec précision (cela nécessite beaucoup d’entraînement !). Le propulseur était le plus souvent formé de deux parties : le « bâton » en bois (qui ne se conserve pas dans le temps) qui s’emmanche sur le crochet. Le crochet quant à lui est taillé dans de l’ivoire ou un bois de renne, plus résistant, ce qui a permis sa conservation. Certains crochets sont sculptés et freprésentent souvent des animaux (faon, mammouth, oiseau, hyène…). Pour les préhistoriens, l’utilisation du propulseur est attestée dans les chasses préhistoriques entre -19 000 et -12 000 ans. Ces armes sont principalement retrouvées dans la région sud-ouest de la France et nord de l’Espagne.
Pour en savoir plus sur le propulseur
Des bolas
Les bolas sont des pierre façonnées en forme de sphère par piquetage. Elles ont, en moyenne, un diamètre de 10 cm et sont parfois amincies au centre. Ce type d’arme est utilisé pour stopper une proie en immobilisant ses pattes. Les sphères sont reliées entre elles par une corde ou une lanière. Le chasseur fait tournoyer l’ensemble avant de le lâcher vers sa proie. Les bolas s’enroulent et se resserrent autour des pattes de l’animal. Les plus anciennes bolas retrouvées datent du Moustérien, mais seule la partie lithique a perduré : les cordes et liens ont disparu depuis longtemps. Il n’est actuellement pas possible de certifier que ces sphères étaient utilisées de cette manière. Pour Henry de Lumley « ce sont les plus anciens symboles connus que se soit donnés l’humanité. On ignore à quoi ils correspondaient.«
Des arcs et des flèches
Le préhistorien Cattelain écrit qu’il est difficile de déterminer avec certitude quand l’arc est apparu. L’arc est le plus souvent réalisé en bois, de même que les hampes des flèches. L’ensemble ne se conserve que dans des milieux tout à fait particuliers, tels que les tourbières et les milieux lacustres. Seuls des éléments lithiques, comme les pointes triangulaires (Streletzkaja), les pointes de la gravette ou de Kostenki, ont pu se conserver et donc être retrouvés. Mais rien ne prouve qu’ils ont été projetés avec un arc : cela pourrait être également à l’aide d’un propulseur ou d’un autre élément inconnu.
Le plus ancien arc complet provient des tourbières de Holmegaard, au Danemark. Taillé dans du bois d’orme, il était utilisé au Mésolithique, il y a 11 700 ans. D’autres morceaux de bois pourraient avoir été utilisés en tant qu’arc, mais les morceaux fragmentaires et partiels retrouvés ne peuvent être clairement attribués à une telle arme.
Les projectiles
Les microlithes sont des petites lames de quelques centimètres qui étaient fixées sur des hampes en bois (ou en os ?) avant d’être projetées vers une cible. N’ayant pas été découvertes emmanchées, il n’est pas encore possible de savoir si la projection se faisait avec un propulseur, un arc ou une autre arme non encore connue. Les plus anciens microlithes sont datés de – 71 000 ans (Pinnacle, en Afrique du Sud). En Europe, il sont le plus souvent associés à des sites d’Homo sapiens.
Les pointes à crans étaient extraites de lames en silex. Une découpe spécifique était obtenue en retouchant soigneusement la lame. Le tailleur obtenait une lame acérée d’un côté, et rétrécie à l’autre extrémité. Ce rétrécissement permettait certainement d’attacher la pointe au bout d’un support en bois (flèche, bâton de jet, lance…).
La chasse dans l’art préhistorique
Pour parler de scène de chasse à la préhistoire il faut qu’il y ait un chasseur… et non seulement les représentations humaines sont assez rares dans l’art préhistorique, mais les mises en scène comprenant un homme et des animaux sont encore plus exceptionnelles ! Parfois des scènes évoquent la chasse pour des yeux du 21ème siècle, mais il est impossible d’assurer que c’est bien un chasseur qui est représenté.
Les affrontements Homme – Bison, comme dans la grotte de Lascaux ou la grotte de Villars, montrent un humain face à une animal puissant… ce qui laisse planer un doute sur l’interprétation d’une scène de chasse. En effet, en s’approchant aussi prêt de l’animal c’est l’homme qui risque de mourir.
En revanche, la scène de chasse de Sulawezi laisse peu de place à une autre interprétation que celle de prédateurs humains encerclant une proie, il y a 44 000 ans.
Il faut noter que de manière globale, les détails dessinés dès le Paléolithique, démontrent que l’artiste était un observateur hors pair. Ce soucis du détail pourrait d’ailleurs être associé à une habitude de guet pour la chasse.
Sources
- La chasse dans la préhistoire Cattelain P. Bellier C.
- Choisir son arme de jet – Archéologie expérimentale
- Fiches typologiques de l’industrie osseuse préhistorique
- Les aliments avalés crus à Atapuerca il y a 1 200 000 ans
- Des dents pour révéler le régime alimentaire d’un hominidé
- Les premiers chasseurs à la préhistoire
- Homo erectus chassait-il l’éléphant ?
- Les bases magiques de l’art préhistorique
- Les premières armes de l’Homme préhistorique
- Chasse préhistorique il y a 13 000 ans dans l’Ohio
- Chasse il y a 70 000 ans à Pinnacle en Afrique du sud ?
- Les homininés africains d’il y a 2 Ma, chasseurs ET charognards
Bertrand Roussel