Le chaînon manquant
Depuis la publication de L’origine des espèces par la sélection naturelle de Charles Darwin, on présente souvent l’évolution humaine comme une finalité… incluant, à tort, l’existence d’un chaînon manquant
Comme si les 4,5 milliards d’années de la Terre étaient uniquement là pour « fabriquer » l’homme…
L’Homo sapiens n’est pourtant pas présent depuis très longtemps sur Terre…
…300 000 années, ce qui est très peu à l’échelle de la terre, de la vie, et même des hominidés… !
Une évolution directe du singe à l’homme en passant par le chaînon manquant ?
Dans l’imaginaire populaire il est fréquent de présenter l’évolution en démarrant d’un singe qui, progressivement, se redresse. Au fur et à mesure qu’il adopte une posture humaine, il perd ses poils, redresse la tête et marche sur ses jambes en délaissant ses mains pour se déplacer (quadrupédie ou knuckle-walking ).
Cette illustration véhicule un nombre conséquent d’erreurs mais elle a l’avantage d-être simple à retenir, visuelle et permet de tenir le singe et son animalité à distance de l’Homme ! Décortiquez cette image pour comprendre pourquoi elle est fausse.
L’humanisation du chimpanzé en quelque sorte ! C’est le moment où le singe se transforme en homme : le fameux chaînon manquant ou « missing link » !
Nous aimerions penser qu’il existe un être mi-homme, mi-singe pour faire la liaison. Mais cet être n’existe pas et nous devons plutôt chercher un mélange mi-pré-homme et pré-singe (voir Le dernier ancêtre commun, de Pascal Picq).
Une pléiade d’ancêtres mais aucun ne peut prétendre au titre de « missing link » !
Cette image du « singe qui se redresse » n’est pas innocente… elle fait passer le message que si l’homme a des traits communs avec les grands singes, c’est une espèce qui a évolué et qui n’a plus rien à voir avec nos cousins simiesques…
Cette évolution linéaire tournée vers l’homme est fausse : nous savons maintenant que l’évolution humaine est buissonnante (voir photo ci-contre) avec des branches mortes, des embranchements inconnus, des ancêtres perdus…
Notre arbre généalogique est fourni et nos ancêtres sont nombreux.
Le chaînon manquant n’existe pas !
C’est une vue de l’esprit, sans fondement. Pour Pascal Picq nous avons des ancêtres avec les grands singes mais nous ne descendons pas en ligne directe…
« Le chaînon manquant. Cette chimère – un corps de grand singe et une tête d’homme – est une invention destinée à rassurer notre ego, blessé par Charles Darwin qui avait mis en lumière notre parenté avec les singes. Elle a mené à l’une des plus célèbres fraudes de la paléontologie : l’homme de Piltdown, un crâne humain de gros volume associé à une mâchoire de singe, que l’on a fait passer pour notre ancêtre.«
(Sciences et Avenir – Décembre 2003)
« … on ne peut plus ignorer ce que sont les grands singes pour travailler sur le propre de l’homme et pour la reconstitution de nos origines communes. Il n’y a donc plus de chaînon manquant. Il y a des derniers ancêtres communs. Il faut qu’éthologues, philosophes, anthropologues, épistomologues interviennent dans ce débat… »
(Libération.com Sciences – Octobre 2001)
Dans son ouvrage « Brève histoire des origines de l’Humanité« , Antoine Balzeau conclut « Profitons-en au passage pour tordre le cou au concept de chaînon manquant. Pour les paléoanthropologue, ce serait le nœud théorique commun à l’origine de deux groupes. Mais si il existe bien d’un point de vue logique, il ne peut pas avoir de réalité paléontologique. Une première raison qui empêche de trouver un chaînon manquant est que statistiquement nous n’aurions presque aucune chance de le trouver. Documenter exactement le moment précédant la séparation entre deux espèces est improbable. Une seconde et que nous ne serions pas reconnaître ce que ce « chaînon manquant, puisqu’il n’aurait aucune des spécificités qui permettent de distinguer l’un ou l’autre de ses descendants. Dans le cas du dernier ancêtre commun entre nous et le chimpanzé, par exemple ; un paleoanthropologue devant un fossile datant de cette époque supposé dirait, au mieux, que c’est un hominidé d’il y a une dizaine de millions d’années. Un primate de grande taille, sans queue, qui fait partie de notre famille commune. Ce n’est donc pas de la mauvaise volonté, mais les limites de la science. Le chaînon manquant ne sera jamais trouvé que ce soit l’ancêtre commun aux humains et aux chimpanzés ou le tout premier primate »
L’homme de Piltdown, un faux chaînon manquant parfait mais une vraie supercherie !
Découvert en 1912 par Charles Dawson et Arthur Smith Woodward, Eanthropus dawsoni est l’un des faux les plus célèbres de la paléoanthropologie. Ce crâne mélangeait « habilement » la calotte crânienne d’un homme et une mâchoire d’orang-outan… Il aura fallu 47 ans (1959) pour que la supercherie soit prouvée par une étude au Carbone 14.
Le coupable n’a jamais été identifié : Dawson, Woodward mais aussi Pierre Teilhard de Chardin ou Sir Arthur Conan Doyle font partie des suspects !
Si on hésite encore sur le mobile (mystification scientifique, blague d’étudiant…) il est par contre évident que cette trouvaille a longtemps fait office de chaînon manquant ! C’est en quelque sorte le premier hoaxe de l’anthropologie…
Pour aller plus loin…
Sur le chaînon manquant: Au commencement était l’homme, de Pascal Picq.
Sur l’homme de Piltdown:
– Le mystère de l’homme de Piltdown, de Herbert Thomas, Belin , Paris 2002.
– Le pouce du panda, de Stephen Jay Gould.