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André LEROI-GOURHAN
… « l’homme préhistorique ne nous a laissé que des messages tronqués »
Enfance
André, Georges, Léandre, Adolphe Leroi voit le jour le 25 août 1911 à Paris. Son père décède dans les premiers jours de la guerre de 14, sa mère disparaît aussi assez rapidement, si bien qu’André et son frère cadet, pupilles de la nation, sont recueillis par leurs grands-parents maternels qui vont les élever complètement. Quelques années plus tard André, reconnaissant, ajoutera leur nom à son patronyme.
Sa grand-mère le conduit fréquemment au Jardin des Plantes et au Muséum d’Histoire Naturelle où la Grande Galerie de l’Evolution exerce sur lui un attrait particulier. Les squelettes de grands animaux, les dinosaures le fascinent. Le troisième étage recèle également des trésors, le crâne de l’homme de Cro-Magnon entre autres. A Moret-sur-Loing avec son grand-père paternel, trésorier de l’Association des naturalistes, il court les bois, observe la nature et rencontre même quelques préhistoriens prospectant dans la région de Nemours.
La scolarité est des plus médiocres, le futur A. Leroi-Gourhan se décrit lui-même comme un « cancre reconnu », seuls le français et les sciences naturelles l’intéressent, il est totalement sourd aux mathématiques et il le restera.
Dès qu’il atteint l’âge de 14 ans son grand-père, quelque peu lassé, lui signifie qu’il est temps pour lui de gagner sa vie et le place comme apprenti dans la bonneterie. Toujours apprenti il change de branche et entre dans l’édition puis la librairie. Il fait à cette époque deux rencontres déterminantes : une femme qu’il désigne comme sa « marraine » et son chef du personnel. Sa marraine le fait baptiser et lui offre Les Hommes fossiles de Marcellin Boule, qui vient de paraître ; son chef du personnel le fait travailler, en particulier sur ce livre.
Etudes
Parallèlement Leroi-Gourhan fréquente l’Ecole d’Anthropologie et prépare son bac. En 1928 sa marraine le présente à Paul Boyer administrateur de l’Ecole des langues orientales qui le recrute comme secrétaire adjoint, puis aide bibliothécaire. Son bac en poche et toujours tout en travaillant il décide de poursuivre ses études. Son souhait est d’apprendre le russe, Paul Boyer lui conseille le chinois, langue qui doit lui permettre de rentrer dans la diplomatie et de bien gagner sa vie tout en se consacrant à ce qui l’intéresse le plus : l’ethnologie. Qu’à cela ne tienne il étudie les deux langues et en 1931, âgé de vingt ans il obtient son diplôme de russe. Rien ne l’arrêtera plus, en 1933 il obtient son diplôme de chinois et une licence de lettres.
L’aventure professionelle
En 1933-34 il est pensionnaire de la Maison de l’Institut de France à Londres où il travaille au département d’ethnographie du British Museum et du Victoria Museum. De retour à Paris son service militaire lui laisse de nombreux loisirs qu’il emploie au tout nouveau Musée de l’Homme en qualité « d’attaché bénévole ». En 1936 paraissent ses deux premiers livres : Bestiaire du bronze chinois et La civilisation du renne. La même année André Leroi-Gourhan se marie, il épouse Arlette, fille de Paul Boyer. En 1937-38 il est au Japon en qualité de « chargé de mission du Musée de l’Homme et des Musées Nationaux ». Dès son retour il est mobilisé comme simple soldat, puis, ses compétences ayant été reconnues, comme officier traducteur dans la marine. Il sera ainsi démobilisé à Toulon sans avoir combattu ni avoir été fait prisonnier. Le conservateur adjoint du Musée Guimet, Philipe Stern, ayant été obligé de s’enfuir, le poste est proposé à André Leroi-Gourhan qui accepte et rentre à Paris. A cette même époque il est maître de recherches au CNRS et chargé de conférences au Collège de Franc,e ce qui ne l’empêche pas de rédiger un premier ouvrage en deux volumes : Evolution et Techniques, L’homme et la matière en 1943 et Milieu et Techniques en 1945. Vers la fin de la guerre, résistant, il est envoyé à Valençay pour veiller sur les collections du Louvre qui y avaient été mises à l’abri. Il participe ainsi à la libération de Châteauroux et termine la guerre avec la Croix de guerre et la Légion d’honneur.
A la Libération André Leroi-Gourhan est nommé maître de conférence à la Faculté des lettres de Lyon, il y doit assurer un cours « d’ethnologie coloniale ». Faute de pouvoir offrir à ses étudiants une formation de terrain en Afrique ou ailleurs il les entraîne à un chantier de fouilles à la grotte des Fortins, à Berzé-la-Ville près de Mâcon. Parallèlement il termine sa thèse de lettres : Archéologie du Pacifique nord et Documents pour l’art comparé de l’Eurasie septentrionale. Il n’en reste pas moins parisien, attaché au Musée Cernuschi et en 1946 sous-directeur au Musée de l’ Homme. Il enseigne également à Paris à l’Institut d’ethnologie, à l’Ecole Normale de Saint-Cloud, à l’Ecole des langues orientales…. tout en complétant sa formation. En 1954 il soutiendra une thèse de science : Les tracés d’équilibre mécanique du crâne des vertébrés terrestres et Etude des restes humains fossiles provenant des grottes d’Arcy-sur-Cure. Le « cancre reconnu » a bel et bien disparu.
En 1956 André Leroi-Gourhan rentre complètement à Paris pour succéder à Marcel Griaule et développe une carrière d’enseignant et de chercheur qui lui vaudra rapidement une audience nationale, puis internationale, et en 1969 une nomination au Collège de France. Enumérer les différentes étapes de cette carrière, les thèmes des enseignements, les groupes de recherche animés et chantiers de fouilles dirigés serait fastidieux, mieux vaut tenter de situer les grandes lignes d’une œuvre peu commune.
Deux axes principaux ont occupé l’esprit et le temps d’André Leroi-Gourhan tout au long de sa vie : les fouilles et l’art préhistorique.
La fouille
Lorsque la Préhistoire balbutie encore la fouille se pratique avec une sorte de gros crochet, qui aujourd’hui paraît monstrueux, quand ce n’est pas à l’aide d’ouvriers munis de pelles et de pioches, le but et de découvrir un bel objet. Dans la période suivante la fouille devient verticale, il s’agit de dégager une tranche nette permettant de bien voir la succession des différentes couches et de définir une chronologie relative. Si la chronologie reste importante l’idée se dégage peu à peu que l’emplacement d’une pièce est aussi, sinon plus importante que sa qualité. André Leroi-Gourhan développe cette perspective en préconisant la conduite horizontale maxima des fouilles. Chaque pièce d’os, de silex, de pierre, de charbon, d’ocre… même la plus minuscule est repérée dans les trois dimensions, dessinée, photographiée en place avant d’être relevée, inventoriée, classée. Viennent ensuite les analyses, les essais de remontages etc….Les chantiers de fouilles deviennent ainsi des entreprises collectives importantes, André Leroi-Gourhan dit curieusement avoir pris goût à la vie collective dans la résistance, et pluridisciplinaires : spécialistes de l’os de la pierre, des pollens…. Cette perspective de fouille,issue de Russie, va être défendue, développée, appliquée et enseignée par André Leroi-Gourhan tout au long de sa carrière. Après les grottes d’Arcy-sur-Cure le chantier de Pincevent, poursuivi pendant plus de vingt ans du vivant du « Patron » et toujours actif, lieu de toutes les expérimentations et de tous les enrichissements, est devenu une référence. Ce travail a un but ultime : arriver, autant que faire se peut, à reconstituer le mode de vie de l’homme paléolithique, ou en d’autres termes faire accéder la fouille à une dimension ethnologique.
L’art préhistorique
L’art préhistorique constitue l’autre préoccupation constante. Dans ce domaine deux livres, très différents par leur taille, surnagent à une myriade d’articles devenus plus ou moins inaccessibles :
· Les religions de la Préhistoire, PUF 1964, 153 pages format, 11,5×17,5.
Les religions de la Préhistoire. Dans un premier temps André Leroi-Gourhan se livre à une critique rigoureuse de la comparaison ethnographique. Il constate ensuite l’absence de toute définition satisfaisante de la notion de religion et propose une définition partielle mais adaptée à l’objet de sa recherche : est considéré comme religieuse toute manifestation d’une préoccupation paraissant dépasser l’ordre matériel. Après une critique méthodique des documents ayant conduit à la description de soi-disant religions paléolithiques, culte de l’ours etc….. André Leroi-Gourhan retient quelques indices solides, mais en nombre limité, permettant de concevoir l’existence d’une pensée religieuse ou magique au Paléolithique: les inhumations attestées pour des Néandertaliens dès la fin du Paléolithique moyen, le crâne du Mont Circé (*1) de la même époque, et au Paléolithique supérieur, l’usage de l’ocre, l’existence même de l’art, sa localisation dans la profondeur des grottes et son caractère organisé, le crâne du Mas d’Azil (*2).
· Préhistoire de l’art occidental, Mazenod 1965, 482 pages, format 32×26.
Préhistoire de l’art occidental, communément appelé PAO est un monument en même temps qu’un événement éditorial. La qualité des photos, pour la plus part dues à Jean Vertut, est à cette époque sans égal. Le chemin parcouru depuis l’ouvrage de l’abbé Breuil : 400 Siècles d’art pariétal, paru en 1952, est saisissant. Le texte est encore plus remarquable, André Leroi-Gourhan décrit méthodiquement la quasi totalité des grottes ornées alors connues et expose ses idées sur la chronologie et l’interprétation. Après avoir réfuté l’évolution en deux phases soutenue par l’abbé Breuil il propose une évolution progressive du simple au complexe, en quatre styles, qui restera le modèle de référence jusqu’à la découverte de la grotte Chauvet et la mise en œuvre des datations directes (1994). Le point de vue d’André Leroi-Gourhan sur l’interprétation de l’art pariétal est encore plus novateur. Pour lui le désordre des figures et des signes sur les parois n’est qu’apparent. L’enregistrement précis de chaque figure par rapport à la topographie de la grotte comme par rapport aux figures voisines fait apparaître un ordre grâce à une méthode statistique simple (au départ il s’agissait de cartes perforées). Cette démarche lui permet de décrire des figures d’entrée et des figures de fond ainsi que dans chaque panneau des figures centrales et périphériques. L’ensemble dessinerait une dualité bison aurochs/cheval avec une connotation mâle/femelle. André Leroi-Gourhan exploite cette perspective en même temps qu’une de ses élèves A. Laming-Emperaire. Comme lui elle aboutira à une dualité bison/cheval à connotation sexuelle mais de polarité inverse.
L’œuvre d’André Leroi-Gourhan comprend également un double ouvrage de réflexion, hors normes, qui ne semble pas avoir eu de retentissement exceptionnel si l’on en juge par l’absence de traduction : Le geste et la parole 1 et 2 1964 1965
André Leroi-Gourhan s’éteint le 19 février 1986 à Paris après une brève retraite, de quatre années seulement, marquée par une maladie de Parkinson de plus en plus invalidante.
Auteur : ZAF
(*1) Crâne du Mont Circé. Découvert en 1939, il s’agit d’un crâne de Néandertalien déposé au centre d’un cercle de pierres, au fond de l’une des salles d’une grotte italienne.
(*2) Crâne du Mas d’Azil. Dégagée en 1961 cette pièce, magdalénienne, est constituée par le crâne d’une jeune adulte dont les orbites sont comblées par deux plaquettes osseuses.