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Turkana boy
Turkana boy – Nariokotome boy – Homo ergaster
L’adolescent du lac Turkana
Ce jeune homme aura fait couler beaucoup d’encre…
Une découverte « hors normes »
C’est à 3 kilomètres du Lac Turkana, sur les rives sableuses de la rivière Nariokotome, que les membres de l’équipe de paléoanthropologues dirigée par Richard Leakey (Musées Nationaux du Kénya) et Alan Walker ont découvert un fossile exceptionnel, un dimanche d’août 1984. Plus précisément, c’est l’un des fouilleurs, Kamoya Kimeu, qui a remarqué un fragment dépassant du sol au milieu des cailloux. C’était tout simplement le premier morceau d’os frontal d’hominidé sur le site de Nariokotome III. Quatre jours après, ce sont les ossements de la partie faciale qui ont été découverts, entremêlés dans les racines d’un acacia !
Pendant 4 périodes de fouilles annuelles, les ossements vont ainsi s’accumuler, reconstituant peu à peu le squelette fossilisé.
Habitué aux découvertes d’ossements isolés – souvent seulement une dent ou un morceau d’humérus – l’équipe ne s’attendait pas à mettre au jour sur le site autant de restes appartenant au même individu. Au total, plus de 1254 mètres cubes ont été fouillés et tamisés sur cinq ans. Mais le « jeu » en valait la chandelle car le fossile est l’un des plus complets parmi les hominidés de cette époque.
Un fossile remarquable
Au total, les fouilles ont permis d’exhumer le crâne en 70 fragments, plus les dents. Le reste du squelette a, lui, pu être reconstruit grâce aux 80 morceaux identifiés… Pas moins de 108 os ont été reconstitués (contre 206 en moyenne pour un adulte humain). Le squelette a été identifié au catalogue sous la référence KNM-WT 15000 (Kenya National Museum, West Turkana) avec A pour le crâne et B pour la mâchoire inférieure. « L’exemplaire le plus remarquable est l’enfant de Nariokotome mis au jour à l’ouest du lac Turkana en 1984 et daté de 1,6 millions d’années.
Son squelette en grande partie conservé en fait le spécimen le plus complet connu pour cette période chronologique » (extrait de Notre Préhistoire, Sophie Archambault de Beaune, Antoine Balzeau).
Sur l’ensemble du corps quelques parties sont partielles, comme les os de la main, voire manquantes, comme ceux du pied. D’après la forme de son bassin il apparaît que le squelette appartenait à un individu de sexe masculin.
Les ossements laissent deviner un corps plutôt longiligne, avec de longues jambes et des épaules assez étroites. Un type de physique que l’on retrouve chez les hommes modernes qui vivent aujourd’hui sous un climat chaud et sec. Ses longues jambes ont facilité la marche d’Homo ergaster et éventuellement la course sur de longues distances. Homo ergaster/erectus sont les premières espèces connues pour se disséminer en Afrique et en Asie.
Pour le préhistorien Michel Brunet, « Son squelette moderne est adapté à la marche et à la course sur de longues distances ».
Un rythme de croissance différent
A l’origine, le squelette avait été étudié en prenant comme préalable que l’enfant du Turkana avait le même type de développement du squelette que l’homme moderne, avec une forte poussée de croissance à l’adolescence. Les chercheurs ayant estimé l’âge de l’individu à 11-12 ans au moment de son décès, ils évaluaient également que sa taille de 1,60 m aurait pu atteindre 1,85 m à l’âge adulte ! En 2010, de nouvelles études ont suggéré que l’adolescent du Turkana était plutôt un enfant de 8 ans, avec un type de développement intermédiaire entre le chimpanzé et l’homme moderne.
Pour Pascal Picq, c’est un « individu d’une dizaine d’années qui mesure déjà 1,60 mètre ! Son squelette locomoteur se compare au nôtre dans toutes ses parties, sauf le haut de la cage thoracique, qui n’est pas aussi souple comme une conformation de l’épaule pas tout à fait humaine ; dernière réminiscence du monde des arbres…(2) »
Crâne
Sa capacité crânienne est évaluée à 880 cm³ à sa mort. Les scientifiques estiment qu’à l’âge adulte cet individu aurait pu atteindre les 910 cm³. A noter que cette capacité crânienne correspond aux 2/3 de celle du cerveau humain (1350 cm³ en moyenne) et à plus de 2 fois celui des chimpanzés actuels (entre 360 et 380 cm³). « Homo ergaster a non seulement un plus grand cerveau que les hominidés plus anciens, mais il a aussi une plus grande stature » (Michel Brunet). Ce crâne d’hominidé se caractérise par un front fuyant, des arcades sourcilières imposantes et l’absence d’un menton marqué.
Photo Reconstitution squelette KNM-WT 15000 – Musée de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac.
Les dents
Les dents du fossile KNM-WT 15000 sont usées et les incisives sont plutôt en forme de pelle.
Ses premières et deuxièmes molaires étaient sorties mais pas la troisième, dite « dent de sagesse ». Le stade de développement des dents et la sortie des molaires et des prémolaires indiquent un âge moyen de 10,5 ans à son décès. Mais d’après une autre étude basée sur l’étude microtomographique des dents, dont le décompte des stries de croissance permet d’obtenir l’âge de la mort de l’individu, il n’aurait que 8 ans ! De la même façon que pour le squelette, il apparaît que « les modalités de croissance d’Homo ergaster sont plus rapides et plus courtes que celles des Hommes actuels ».
Un squelette pathologique
Pour Richard Leakey et Alan Walker, qui ont réalisé les premières études du fossile, le garçon du Turkana souffrait d’une pathologie qui affectait son squelette. En remontant les ossements, ils obtenaient une cage thoracique et une colonne vertébrale asymétriques. Pour les chercheurs, le jeune homme souffrait probablement d’une scoliose.
En mars 2013, l’anthropologue Martin Häusler (Universitée de Zurich) ont publié une étude avec des résultats très différents. Avec son équipe, ils ont réorganisé les os du squelette et sont arrivés à la conclusion que le fossile ne présentait pas de dysmétrie dans le dos et la cage thoracique. En revanche, ils ont trouvé des signes de désalignement vertical compatibles avec une hernie discale.
Un individu décédé très jeune. Les causes de la mort sont inconnues.
Musée de l’Homme à Paris
A quelle espèce appartient le garçon du Turkana ?
Homo erectus ou Homo ergaster ? Selon plusieurs scientifiques, une distinction est faite entre les Homo erectus que l’on trouve en Asie et les Homo ergaster uniquement situés en Afrique. Homo ergaster serait une espèce africaine plus primitive qui aurait migré vers l’Asie et évolué vers une espèce distincte. Elle serait donc l’ancêtre directe des Homo erectus.
Les différences entre les deux espèces se remarquent uniquement sur le crâne : Homo erectus (asiatique) possèderait de plus grandes dents, une crête sagittale plus marquée, et un neurocrâne plus massif…
Datation
La région du lac Turkana a vécu une intense activité volcanique. C’est une aubaine pour les anthropologues qui souhaitent obtenir des datations. Le squelette du Turkana boy se trouvait dans une strate prise en sandwich entre 2 couches de cendres volcaniques respectivement datées de 1,88 millions pour la plus ancienne et 1,39 millions d’années pour la plus récente.
En se basant sur la position exacte du squelette et la distance avec les couches supérieures et inférieures, les chercheurs ont pu estimer l’âge de son dépôt à 1,53 millions d’années.
Ce que les ossements de l’adolescent du Turkana ne nous disent pas …
Malheureusement, les ossements ne peuvent pas tout dire sur Homo ergaster, même si ce squelette est exceptionnel. D’autres fossiles et d’autres découvertes peuvent en revanche nous en apprendre plus sur le mode de vie de l’espèce….
Maîtrise du feu ?
Même si on n’a trouvé aucune trace d’utilisation du feu, Yves Coppens déclare : « A cette époque, il n’était pas question d’allumer un feu. Il fallait le prélever à partir de sources naturelles, puis l’alimenter en combustible… Cuits, les aliments, viandes ou végétaux, sont beaucoup plus digestes et ont une meilleure qualité nutritive et énergétique… le développement d’Homo ergaster a vraisemblablement été favorisé par la maîtrise du feu… » . Si Homo ergaster ne savait comment faire du feu, il avait dû surmonter son appréhension pour apprendre à l’utiliser…
Couleur de la peau et poils
En référence à son anatomie, il est évident que l’adolescent du Turkana était, comme tous les autres membres du genre Homo, un beau bipède ! Cette posture et sa localisation géographique peuvent toutefois nous donner des indications sur son apparence.
La station debout nécessite une énergie musculaire qui génère une chaleur corporelle importante. La transpiration refroidit le corps plus efficacement si la peau n’est pas recouverte d’un pelage ou de poils. Il est donc logique de penser que Turkana Boy était plutôt glabre, avec une peau foncée pour résister le plus possible aux rayons du soleil. Pour l’anthropologue Richard Leakey « si Homo erectus était essentiellement sans poil, les individus « avaient besoin de beaucoup de mélanine pour se protéger des rayonnements.»
C.R.
(1) Notre préhistoire, de Beaune / Balzeau.
(2) Premiers hommes, Pascal Picq
Just how strapping was KNM-WT-15000 R.R. Graves 2010
Age | Taille | Poids | Volume endocranien | ||
De – 2 à -1 millions d’années | F 155 cm M 170 cm | F 50 kg M 65 kg | 880 cm3 | ||
Localisation | Habitat | Feux | Outils | ||
Afrique, Europe du Sud | Savane, plaine | ? | Fabriqués |
Les espèces d'hominidés
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