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Distinguer des traces de mastication humaine sur des os fossilisés : une avancée en paléoanthropologie
Une étude hispano-britannique à paraître en janvier dans le Journal of Human Evolution cherche à caractériser les marques laissées par un humain sur un os qu’il ronge. La consommation de viande animale – voire humaine – pourrait ainsi être mieux étudiée chez les hominidés fossiles.
L’idée
Les travaux de Yolanda Fernandez-Jalvo et Peter Andrews s’inscrivent dans une démarche originale : chercher à établir un modèle, un « étalon », en quelque sorte, des marques que produit sur des déchets de viande un consommateur humain – qui laisserait de côté fourchette et bienséance pour ronger jusqu’à l’os. Le but, bien sûr, est de pouvoir, en disposant d’une telle « signature » typologique, la rechercher à l’identique sur des restes fossiles, d’origine animale ou même pré-humaine ou humaine : un moyen de mieux connaître le régime carné des hominidés anciens, y compris, le cas échéant, leurs pratiques cannibales.
Un protocole original
Les deux scientifiques ont donc demandé à un échantillonnage de 4 groupes d’Européens actuels de manger côtes de porc, mouton bouilli ou viande crue, jusqu’à l’os et jusqu’à la moelle…. Pour compléter ce premier lot de déchets, ils se sont aussi intéressés à des os figurant dans les collections d’un musée, rognés voici 50 ans par des membres de l’ethnie namibienne des Koi, qui cuisent très peu leurs aliments.
Les résultats
Le « faciès » commun obtenu sur ces déchets inclut : des extrémités d’os pliées, des marques de ponction ou de piqûre, des marques linéaires superficielles, des traces « d’épluchage », et une double rangée de piqûres en arc de cercle sur le bord mâché.
Chacune de ces caractéristiques n’est pas exclusive à la mastication humaine, mais leur combinaison, selon les chercheurs, est la « signature » d’un repas humain. Particulièrement distinctives, les pliures observées sur le bout des os et les éraflures légères faites par nos incisives sont absentes sur des restes laissés par des animaux carnivores.
Champs d’application
dentifier à coup sûr les reliefs d’un repas humain permet bien sûr de compléter nos connaissances sur le régime alimentaire des hommes préhistoriques. Les auteurs citent en exemples le cas d’Homo habilis mangeant du hérisson, en se servant d’ailleurs d’outils, et de Néandertaliens consommant des mammifères marins juvéniles.
Cela permet aussi de reconnaître plus sûrement des cas d’anthropophagie, les restes mâchés étant dans ce cas humains (ou pré-humains). Et puisque rogner un morceau de viande jusqu’à l’os et chercher à en extraire la moelle constituent un comportement purement alimentaire, pouvoir le caractériser permet de le distinguer des cas de cannibalisme rituel.
Les commentaires d’un autre scientifique
« Distinguer les effets d’une mastication humaine de ceux d’autres agents (carnivores, primates non-humains, processus non-biologiques…) est extrêmement important. Une des implications les plus intéressantes de cette étude est que nous pouvons maintenant avoir un jeu de critères pour identifier la consommation de viande chez les premiers hominidés, non utilisateurs d’outils », commente Charles Egeland, professeur d’anthropologie à l’Université de Caroline du Nord.
« Mais cela soulève la question de savoir si l’homme moderne rongeur d’os est vraiment le meilleur élément de comparaison avec ces premiers hominidés. Le chimpanzé rongeur d’os n’en serait-il pas un meilleur ? », ajoute-t-il malicieusement.
C.R.
Sources
DiscoveryNews,
Wired.co.uk
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