Un 'kit' de fabrication de colorant vieux de 100 000 ans
Publiée dans la revue Science le vendredi 14 Octobre, la description d'un "atelier" de fabrication de colorant à base d'ocre, avec matériel et matières premières, découvert par une équipe internationale dans la grotte de Blombos, en Afrique du Sud, constitue une très ancienne preuve de raisonnement conceptuel et d'anticipation.
A gauche le galet qui servait à broyer l'ocre mélangé dans la coquille de droite.
Les deux éléments ont été enchassés l'un dans l'autre.
© Grethe Moell Pedersen
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La découverte
En 2008, une équipe internationale dirigée par le Pr Christopher Henshilwood, de l'Institut sur l'évolution humaine de l'Université de Witwatersrand (Johannesburg), a fait, dans la caverne de Blombos, un riche site paléolithique situé à 300 km du Cap (Afrique du Sud), une découverte qu'elle nous livre aujourd'hui après 3 ans de minutieux examens : un véritable atelier de fabrication de pigment coloré, vieux de 100 000 ans.
Découvert in situ, là où l'avait disposé l'artisan préhistorique, le 'kit' de fabrication comprend deux ormeaux (coquillages) servant de récipients et maculés d'une pâte de colorant, les matériaux de base entrant dans sa composition (ocre, os et charbon de bois), des meules et marteaux de pierre, et des 'spatules' en os. Les sédiments englobant le tout ont été datés (à environ 100 000 ans) par luminescence stimulée optiquement (OSL).
Une 'chaîne de fabrication' complexe
L'ocre (du rouge et du jaune), un minéral riche en fer, a probablement été apporté dans la grotte à partir des gisements les plus proches, situés à une vingtaine de kilomètres au moins.
« Nous pensons que le processus de fabrication comprend le frottement des morceaux d'ocre sur les dalles de quartzite pour produire une fine poudre rouge. Puis ces particules d'ocre ont été écrasées avec des percuteurs ou des meules, et combinées à des os de mammifère chauffés et broyés, du charbon de bois, des grains de pierre et un liquide, le tout étant ensuite introduit dans les coquilles d'ormeaux et agité doucement. Un os était probablement utilisé pour remuer le mélange, puis l'extraire de la coquille », explique le Pr Henshilwood.
Pour quel usage ?
Des découvertes antérieures, sur d'autres sites, ont déjà montré l'utilisation de pâtes à base d'ocre comme colle, pour fixer un manche sur un outil de pierre. Mais ici, l'absence de toute trace de résine, nécessaire pour rendre le mélange vraiment adhésif, suggère plutôt une destination artistique : de la "peinture" (ou teinture) et non de la colle. « L'ocre peut avoir été appliqué, avec une intention symbolique, comme décoration sur les corps et les vêtements », propose le découvreur.
L'indice de hautes capacités cognitives
Selon Henshilwood, l'ensemble constitue la preuve technologique et comportementale d'une capacité d'anticipation et de planification antérieure de 20 à 30 000 ans à celles trouvées jusqu'à présent, la preuve également de l'utilisation de récipients 40 000 ans avant ce qui était connu.
« Ce mélange [d'ingrédients] n'est pas dû à la chance, c'est de la 'chimie' (...) Cette découverte représente un jalon important dans l'évolution des processus mentaux complexes humains, en ce qu'elle montre que ces hommes avaient la capacité conceptuelle de trouver, combiner et stocker des substances, ensuite éventuellement utilisées pour améliorer leurs pratiques sociales. (...) Ceci suggère des capacités conceptuelles et probablement cognitives qui sont l'équivalent de celles de l'homme actuel », conclut-il.
F. Belnet
Sources :
ScienceDaily,
BBC,
Nature.com/news
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