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Des perles de coquillages pour former une parure il y a 142 000 ans
C’est au Maroc dans la grotte de Bizmoune que les éléments de parure ont été découverts. Communiqué du CNRS |
Une équipe internationale a découvert 32 coquilles façonnées dans un niveau datant de 142 000 à 150 000 ans dans la grotte de Bizmoune à Essaouira au centre-ouest du Maroc (Fig. 1). Ces artefacts fabriqués à partir d’un gastéropode marin Tritia gibbosula (anciennement Nassarius gibbosulus) constituent les plus anciens éléments de parure découverts à ce jour et la première preuve matérielle directe d’un système d’échange et/ou de communication des groupes humains. L’étude est publiée dans la revue Science Advances.
Des perles de coquillages de 140 000 ans
L’utilisation de ces coquillages marins, probablement en pendentif, témoigne d’un comportement symbolique très ancien chez notre espèce, Homo sapiens. Les premières découvertes ont été réalisées dans des sites du Levant datant d’environ 135 000 ans ainsi qu’en Afrique du Sud vers 76 000 ans. D’autres sites d’Afrique du Nord avec des gastéropodes marins ont été datés entre 116 000 et 35 000 ans. Grâce à des datations croisées à hautes résolutions (déséquilibre radioactif uranium-thorium) les découvertes de Bizmoune vieillissent les premiers témoignages de ce comportement symbolique durant une période géologique froide et aride du Pléistocène (Marine Isotope Stage 6).
Comme nos contemporains, les anciens groupes humains utilisaient probablement des perles de coquillages pour décorer leur corps et leurs vêtements. A Bizmoune, de nombreuses coquilles présentent des traces d’usure et de polis liés à la suspension, et certaines d’entre elles étaient même colorées avec de l’ocre rouge, un pigment naturel d’oxyde de fer retrouvé en résidus microscopiques sur ces coquilles. Ces éléments de parure sont parfois interprétés comme l’expression de l’identité sociale et culturelle des porteurs. Cette découverte est la première preuve matérielle directe d’un système d’échange et/ou de communication des groupes humains. Son origine est extrêmement ancienne à Bizmoune avec l’utilisation de Tritia gibbosula mais aussi ensuite dans d’autres gisements en Afrique du Nord avec parfois la récolte d’autres coquillages marins.
« Cette pratique de longue date d’utilisation de ces coquillages à travers l’Afrique du Nord représente la première preuve matérielle directe d’un système répandu de communication humaine », explique l’un des auteurs de l’étude Abdeljalil Bouzouggar (l’Institut national d’archéologie et du patrimoine au Maroc).
Des éléments de communication
A Bizmoune, ces coquilles marines semblent à première vue petites et insignifiantes, mais ces minuscules coquillages fournissent des informations cruciales sur l’origine du comportement symbolique tel que le langage. Les éléments de parure de Bizmoune et ceux présents dans d’autres sites d’Afrique du Nord sont associés à la culture atérienne du Middle Stone Age (MSA) connue pour ses célèbres pointes atériennes pédonculées. Par ailleurs, à Bizmoune, les Atériens exploitaient une grande variété d’animaux dont les équidés, gazelles, phacochères, gnous, grandes antilopes ou d’autres grands bovidés et même le rhinocéros. Selon les auteurs de ces travaux, cette association d’animaux fossiles trouvés à Bizmoune témoigne d’un climat très aride avec des voies de passages entre le centre-ouest du Maroc et l’Afrique sub-saharienne et des corridors aujourd’hui disparus. Les occupants du site ont consommé d’autres petits animaux (i.e. lièvre, tortue) et des fragments d’œufs d’autruches sont également présents. Par ailleurs, dans une grande partie de la séquence des fragments de charbons de bois proviennent de taxons tels que l’arganier ou le thuya, encore aujourd’hui présents dans la région. Ces données paléoenvironnementales sont cruciales selon les auteurs. Pour comprendre les origines de ce comportement, il est nécessaire d’examiner de près les facteurs écologiques et démographiques des groupes humains pour lesquels l’affirmation d’une appartenance ou identité propre étaient probablement très importantes.
« La découverte de Bizmoune ajoute des éléments de preuves importantes d’un comportement symbolique précoce », indique l’anthropologue Teresa Steele (Université de Californie, Davis, États-Unis), qui n’a pas participé à l’étude. « Bien que des spécimens similaires aient été trouvés ailleurs dans le nord-ouest de l’Afrique, l’aire de répartition de ces artefacts s’étend maintenant jusqu’à l’ouest extrême de l’actuel Maroc. Cela indique le lieu et le moment où des populations préhistoriques ont été connectées et ont pratiqués des échanges sur de vastes régions« .
Ces travaux publiés dans la revue Science Advances ont été menés par des chercheurs de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP, Rabat, Maroc), du Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique (LAMPEA, Aix-en-Provence) et de l’Université d’Arizona (Tucson, USA). Parmi les financements obtenus avec les partenaires du Maroc (INSAP) et des Etats-Unis (Univ. Arizona) le projet a été soutenu par le programme ChroMed au sein de l’Initiative d’Excellence d’Aix-Marseille Université (N°ANR-11-IDEX-0001-02, N°10-LABX-0090) et le programme PASSAGE (International Emerging Action-CNRS). Différentes institutions sont également associées à ce projet avec, au Maroc, l’Université Hassan II Casablanca-Mohammedia, Centre National de l’Energie des Sciences et Techniques Nucléaires (CNESTEN) ; le département d’Anthropologie de l’Université d’Harvard aux Etats-Unis ; l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive de Leipzig et l’Université de Tübingen en Allemagne ; l’Université de Las Palmas en Espagne et l’Université de Sheffield au Royaume-Uni. Ce consortium a fourni des informations à haute résolution concernant les datations, le contexte géologique/micromorphologique et paléoenvironnemental. L’équipe scientifique présente ses vifs remerciements à Mr. André Azoulay, président fondateur de l’Association Essaouira-Mogador pour son intérêt et appui à ses recherches archéologiques dans la région d’Essaouira.
Sources
Communiqué INE CNRS
Natureasia