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Vestiges moustériens près du cercle arctique : Néandertal ou sapiens ?
Vestiges moustériens près du cercle arctique : Néandertal ou sapiens ?
Publiée le 13 mai dans Science, l’étude, par une équipe internationale (et notamment le CNRS), d’os d’animaux et d’outils de pierre datant d’il y a quelque 30 000 ans, découverts dans l’Oural à des latitudes extrêmes, relance le débat sur la localisation et la date de la disparition de Néandertal.
L’étude
Dans l’ouest de l’Oural, juste au-dessous du cercle polaire arctique, le site de Byzovaya était beaucoup plus froid il y a 32 000 ans qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est pourtant de là que, depuis 1996, des archéologues ont ramené plus de 300 objets en pierre et 4 000 os d’animaux – mammouth, renne, ours brun, rhinocéros laineux, bœuf musqué, loup et renard polaire – portant des traces de boucherie. Mais aucun reste humain.
Une équipe internationale et pluridisciplinaire de chercheurs français du CNRS, en collaboration avec des scientifiques norvégiens et russes, a étudié ces vestiges, datant au radiocarbone certains de ces ossements et déterminant l’âge des sédiments couvrant les artéfacts. Résultat : entre 34 000 et 31 000 ans
Des artisans difficiles à identifier
Selon les auteurs, les outils – sur éclats – ressemblent aux grattoirs et aux instruments de découpe caractéristiques du Moustérien
(300 000 à 30 000 ans BP) – une culture lithique essentiellement associée à l‘homme de Néandertal en Europe. Mais, pour compliquer les choses, cette technologie était également utilisée par l’homme anatomiquement moderne au Proche Orient entre 200 000 et 45 000 ans BP. De plus, on sait que certains groupes de sapiens ont atteint des zones arctiques proches du site des nouvelles découvertes, laissant eux aussi derrière eux des artefacts. Enfin, selon l’archéologue John Shea, de l’Université Stony Brook à New York, il n’est pas impossible que les outils de Byzovaya soient l’œuvre d’un ‘cousin’ de Néandertal récemment identifié, l’homme de Denisova,
Pour John Hoffecker, de l’Université du Colorado à Boulder, partisan de la thèse ‘sapiens’, les artéfacts ressemblent aussi à des outils de pierre utilisés par certains chasseurs-cueilleurs récents. « Byzovaya offre probablement plutôt des preuves que les hommes modernes, à l’âge de pierre, ont rapidement poussé jusqu’à l’Arctique à partir de latitudes plus basses, en Asie occidentale, au moins sur une base saisonnière« .
Mais les auteurs de l’étude penchent pour la thèse néandertalienne : ils insistent sur le fait qu’ils n’ont relevé sur le site aucune lame ou lamelle, pourtant caractéristiques de l’industrie sapiens de l’époque. Attribuer les outils de Byzovaya à l’homme moderne, « cela impliquerait que des groupes H. sapiens de l »Arctique aient conservé une culture bien plus ancienne de l’âge de pierre, après l’expansion des sociétés d’hommes modernes dans le reste de l’Eurasie», dit Ludovic Slimak.
Des outils bien datés, contrairement à la disparition de Néandertal
Lui et son équipe font donc valoir que les Néandertaliens, même disparus des autres endroits d’Eurasie, pourraient avoir subsisté dans cette région reculée proche du cercle arctique : « Nous considérons qu’il est extrêmement probable que la technologie Moustérienne que nous décrivons a été réalisée par les Néandertaliens et donc qu’ils ont en effet survécu plus longtemps – soit jusqu’à 33 000 ans BP – que la plupart des autres scientifiques ne le croient », indique Jan Mangerud, professeur à l’Université de Bergen, co-auteur de l’étude.
Un scénario différent de celui proposé pour le Caucase par les auteurs d’une récente redatation d’os néandertaliens dans ladite région, selon lesquels cette espèce y aurait disparu peu après 40 000 BP. « Il se pourrait que les derniers Néandertaliens dans la région survivaient dans des refuges de l’Arctique comme Byzovaya, longtemps après que leurs frères plus au sud aient disparu », admet cependant l’auteur de cette redatation caucasienne, Thomas Higham, de l’Université d’Oxford.
40 000 ans, 33 000 ans… Aucun de ces chercheurs ne semble tenir compte, en tous cas, de la survivance encore bien plus récente de Néandertaliens suggérée, bien plus à l’ouest, par les travaux de Clive Finlayson dans la caverne de Gorham , à Gibraltar : 24 000 ans. Qui dit mieux ?
Néandertal, sapiens : chacun son champion
Chacun reconnaît les remarquables capacités d’adaptation des artisans, quels qu’ils soient, de cette culture moustérienne « localisée à 1000 km plus au nord que la limite connue jusqu’à présent » (Slimak dixit). Des vestiges « très intéressants en termes d’informations sur des hommes présents si loin au nord au cours du Paléolithique moyen« , note par exemple le Pr Trinkaus, anthropologue à l’Université Washington de St Louis. Mais on retrouve encore et toujours, derrière les débats, les deux écoles ‘pro’ ou ‘anti’ Néandertal.
« Il se peut que [cette découverte] revienne à déconsidérer la supposition selon laquelle outils moustériens = occupation néandertalienne », glisse le Pr Higham, qui a visiblement du mal à voir là une présence de notre cousin neanderthalensis.
« Les Néandertaliens n’ont pas disparu en raison de changements climatiques ou d’une infériorité culturelle. Il est clair que, montrant sa capacité d’adaptation, la culture moustérienne ne peut plus être considérée comme archaïque« , conclut au contraire Ludovic Slimak.
F. Belnet
Sources
blogs.nature.com
ScienceNews
Sciences et Avenir
NewsDiscovery
L’article paru dans Science est co-signé par Ludovic Slimak, John Inge Svendsen, Jan Mangerud, Hugues Plisson, Herbjørn Presthus Heggen, Alexis Brugère, Pavel Yurievich Pavlov
Photo outils Hugues Plisson Science/AAAS
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