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Homo sapiens était déjà en Europe il y a 45 000 ans
Jusqu’à présent, on estimait que les premiers Homo sapiens étaient arrivés en Europe il y a 40 000 ans…
La grotte de Bacho Kiro, en Bulgari
La grotte de Bacho Kiro, en Bulgarie, a été découverte en 1890. Ses concrétions, spéléothèmes, stalactites et stalagmites sont remarquables et attitrent un grand nombre de touristes. Les premières fouilles du sol n’ont pas été probantes et il fallut attendre les années 70 pour qu’une équipe polonaise de chercheurs les reprenne. Les premières découvertes de restes humains sont constituées d’un fragment de mandibule humaine et de petits morceaux d’os. En tenant compte des outils lithiques qui y étaient associés, les chercheurs ont conclu que les fossiles dataient de la période de transition entre l’arrivée d’Homo sapiens en Europe et le déclin de l’homme de Néandertal. Dans les années 70, les méthodes de datation au Carbone 14 étaient destructives et donc employées avec parcimonie. L’estimation par la stratigraphie était considérée comme suffisante : les restes fossiles devaient dater de – 40 000 ans.
Ces ossements furent perdus et il était donc impossible de les soumettre à de nouvelles études.
Le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin (Institut Max-Planck d’anthropologie de Leipzig) estima que la grotte de Bacho Kiro pouvait encore receler des éléments sur cette période charnière, le Châtelperronien. Il monta une équipe de fouilles avec des chercheurs bulgares et entama des recherches en 2015.
Des ossements, une dent humaine, des outils en os…
Cette reprise des fouilles permit de mettre à jour de nouveaux ossements et des artefacts. C’est ainsi qu’une dent et plusieurs fragments d’os furent exhumés avec des restes de gibier, des éléments de parures et des outils en os.
L’étude de l’ADN et du collagène, des restes d’hominidés, permit de les attribuer sans contestation à l’espèce Homo sapiens. La datation au carbone 14 effectuée sur ces mêmes restes permit également de les positionner dans le temps à – 45 000 ans. Ces 5000 ans supplémentaires peuvent paraître anodins mails ils sont importants pour la communauté scientifique : cela implique qu’Homo sapiens était déjà en Europe il y a 45 000 ans et qu’il a donc cohabité avec Néandertal pendant 15 000 ans et non plus seulement 10 000 ans.
Jean-Jacques Hublin indiqua « Certes cette découverte n’avance que de 5 000 ans l’arrivée des premiers Homo sapiens sur le continent. Mais à l’échelle des générations humaines, c’est très long. »
Les artefacts de la grotte de Bacho Kiro sont constitués d’outils façonnés dans de l’os et des dents d’ours percées permettant de les suspendre sur une fibre comme pendentif. Ce type d’ornement et d’outils en os a été retrouvé par ailleurs dans d’autres sites de cette époque, comme dans la Grotte du Renne, à Arcy-sur-Cure, ou le gisement de Saint-Césaire. Cela montre que ce travail de l’os et des dents s’était propagé sur une grande partie de l’Eurasie.
Sapiens face et avec Néandertal
Il y a 45 000 ans, un Homo sapiens est donc mort en Bulgarie. C’est la plus ancienne preuve de présence d’Homo sapiens en Eurasie, prouvée génétiquement. Une précédente étude avait indiqué que des Homo sapiens étaient présents en Grèce, à Adipima, il y a 210 000 ans. Cette étude de 2019 était assez controversée car le crâne d’Homo sapiens était identifié uniquement par quelques fragments et se trouvait dans la même coulée de sédiments qu’un crâne de Néandertalien. Pour le paléoanthropologue Antoine Balzeau (CNRS), si l’attribution des crânes d’Apidima à Homo sapiens est très discutable, celle des analyses ADN des restes de Bacho Kiro est incontestable. Sans être aussi « spectaculaire », cette nouvelle datation d’un Homo sapiens Bulgare est donc importante.
Même si les populations néandertaliennes étaient peu nombreuses et éparpillées, il est logique que les Sapiens et Néandertal se sont rencontrés à plusieurs reprises et sur différents sites. Et c’est justement pendant cette période, le Châtelperronien, que plusieurs innovations techniques ont eu lieu : la production de supports lithiques en silex, des objets de parure, l’utilisation importante de pigments ou encore la fabrication d’outils en os.
Le paléoanthropologue Bruno Maureille (CNRS – PACEA à l’Université de Bordeaux) fait remarquer que plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer l’apparition de ces innovations : « Deux d’entre elles s’opposent. Ces objets et la technologie qui les caractérisent seraient l’œuvre de Néandertaliens. Ou bien, on devrait certes y voir l’œuvre de Néandertaliens acculturés au contact d’Homo sapiens. Ils arrivent à reproduire ces objets, mais n’ont pas la paternité des innovations techniques ». Il précise toutefois que la découverte de Bacho Kiro plaide pour la seconde hypothèse.
Pour l’équipe de chercheurs, il ne fait aucun doute que ces fossiles appartiennent à l’espèce Homo sapiens, ou pour Antoine Balzeau ajoute :« Je ne crois pas que la découverte de Bacho Kiro permette d’affirmer clairement qu’elle est l’origine du Châtelperronien. Elle doit nous inviter à multiplier les fouilles dans cette partie de l’Europe qui est assurément le premier point de contact entre Neandertal et nos ancêtres. »
Pour Jean-Jacques Hublin « Nous savons désormais que la rencontre entre les deux groupes date d’avant 45 000 ans. Il paraît peu probable que deux groupes humains aient produit exactement les mêmes objets en Europe de manière totalement indépendante
Si les origines des Homo sapiens restent toujours situées en Afrique, les plus anciens fossiles viennent de se déplacer de plusieurs milliers de kilomètres…
C.R.
Sources
Collège de France
Bradshawfoundation
Le Monde
2017 Des Homo sapiens de 300 000 ans en arrière sur le site de Jebel Irhoud
2018 Un Homo sapiens en Israël il y a 175 – 200 000 ans
2018 Homo sapiens en Chine il y a 260 000 ans ?
2019 Homo sapiens en Grèce il y a 210 000 ans, une nouvelle cpontroverse ?
2023 Trois vagues d’émigrations d’Homo sapiens en Europe, la première il y a 55 000 ans.
Préhistoire d’Europe – Anne Lehoërff « Un éclairage neuf sur l’histoire de l’Europe avant l’Europe » Durant environ 40 millénaires (nous ne sommes dans notre histoire connue par des sources écrites qu’au 2e millénaire !), nos ancêtres ont vécu, fabriqué des merveilles, enterré leurs morts, construit des villes et des nécropoles, défriché toute l’Europe occidentale. L’Europe, dans sa version large – de l’Atlantique à l’Oural et même un peu au-delà — a innové, inventé l’agriculture et la métallurgie : c’est la Révolution néolithique, dont nous vivons encore. Cela dit, les humains de ces époques anciennes n’ont pas laissé de témoignages écrits : juste des traces matérielles que l’archéologue déchiffre, grâce à l’étude des données mises au jour dans – et sous – le sol. Au fur et à mesure que les méthodes de l’archéologie se perfectionnent et se professionnalisent, la vision qu’on peut avoir de ces lointains ancêtres se précise et se raffine. Un livre plein de surprises, à la pointe de la recherche, qui sera pour beaucoup une révélation | |
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