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Des Homo sapiens en Chine plus tôt qu’initialement prévu ?
Des Homo sapiens en Chine plus tôt qu’initialement prévu ?
La découverte de dents datées de – 80 000 ans appartenant à des Homo sapiens en Chine repousse dans le passé l’arrivée de l’espèce de 20 000 à 30 000 ans…
Les découvertes sur le site de Fuyan
Des campagnes de fouilles dans la grotte de Fuyan (à proximité de Daoxian, province chinoise du Hunan) ont été organisées de 2011 à 2013. Dans une strate d’argile sablonneuse les archéologues ont découvert 47 dents attribuées à Homo sapiens qui ont été confiées à une équipe internationale pour étude. Dans les mêmes strates, la mise au jour de restes d’animaux du Pléistocène supérieur permet de dater l’ensemble des artefacts entre 80 000 et 120 000 ans. Parmi des trente-huit espèces identifiées, on peut remarquer les restes d’Ailuropoda baconi, le plus grand des pandas géants, Crocuta ultima, une espèce de hyénidé, ou encore Stegodon orientalis, de la famille des éléphants.
L’étude a été publiée le 15 octobre 2015 dans la revue Nature par une équipe internationale dirigée par le professeur Wu Liu (Institut de Paléontologie des vertébrés et de Paléoanthropologie de l’académie des sciences de Pékin).
L’étude des dents et leur datation
Les dents de la grotte de Fuyan sont plus petites que celles des premiers Homo sapiens, et beaucoup plus proches de la taille de celles de l’homme moderne. Les rainures sur les canines, prémolaires et molaires, ainsi que les caractéristiques physiques (renflement buccaux, ou faces des dents), sont totalement semblables à celles de l’Homo sapiens actuel. La forme des racines les distingue également des dents des premiers hommes ainsi que des Néandertaliens .
Il ne fait aucun doute pour les chercheurs que les dents appartiennent à l’espèce Homo sapiens. « Il était très clair pour nous que ces dents appartenaient à l’homme moderne de par leur morphologie. Ce qui est une surprise, c’est la datation » exprime le Dr María Martinón-Torres (University College London – UCL), co-auteur de l’étude.
Comme les fossiles se trouvaient sous un sol calcique qui scellait la strate archéologique les dents sont forcément plus anciennes que cette couche. Cette dernière ayant été datée (méthode uranium) de 80 000 ans, tout ce qui est sous les stalagmites est plus ancien, jusqu’à – 120 000 ans pour les chercheurs.
Une dispersion en Chine très ancienne ?
Jusqu’à présent, il apparaissait que les premiers Homo sapiens avaient migré vers l’Asie il y a 50 000 à 60 000 ans. Par ailleurs, les plus anciens fossiles d’Homo sapiens hors du continent africain se trouvaient à Skhul et Qafzeh (Moyen-Orient) et ils étaient datés de – 100 000 ans. Enfin, les premiers fossiles d’Homo sapiens en Chine trouvés en 2003 dans la grotte de Tianyuan, près de Pékin, avaient été datés de 40 000 ans.
Comme un grand nombre de d’anthropologues, Chris Stringer (Musée d’Histoire Naturelle de Londres) pensait que les squelettes de Skhul et Qafzeh étaient probablement une sortie d’Afrique « sans suite » qui s’était simplement arrêtée à ce qui est aujourd’hui Israël…
Il complète son intervention à la BBC en indiquant « …cependant, le grand nombre de dents de Daoxian semble totalement moderne par ses caractéristiques (tailles et morphologies), et la datation par uranium-thorium est cohérente avec l’évaluation à -80 000 ans. A première vue, cela pourrait être compatible avec une première dispersion vers l’Asie du sud par une population semblable à celles connues de Skhul et Qafzeh. »
Pourquoi cette migration d’Homo sapiens est partie vers l’est plutôt que vers le nord ?
En sortant d’Afrique, ces migrants ont donc pris le chemin de l’Asie plutôt que celui de l’Europe… Les chercheurs ont proposé deux hypothèses pour expliquer ce cheminement.
La première est que l’Europe était déjà colonisée et habitée par Néandertal. Cette espèce aurait agi comme une « barrière » en repoussant les migrants Homo sapiens. Cette hypothèse ne repose sur aucune preuve concrète et présuppose un Néandertal relativement agressif face à un Homo sapiens fuyant la confrontation. Pour le chercheur Bruno Maureille (Directeur Pacea – Bordeaux), cette hypothèse d’un Néandertalien défendant des « frontières » est un peu « gratuite ». Il indique que le nombre de Néandertaliens en Europe était si faible au kilomètre carré que cela n’aurait certainement pas pu arrêter des populations d’Homo sapiens. Par ailleurs, le chercheur souhaiterait que soit tentée une datation directe sur les dents…
La deuxième hypothèse est plus simple et plus logique. Pour le professeur Robin Dennell (Université d’Exeter) les Homo sapiens issus d’Afrique venaient de zones tropicales et ont simplement été attirés par des régions au climat identique. C’était le cas le sud de la Chine, mais pas du tout pour l’Europe qui était d’un climat rude et glacial.
Un premier Homo sapiens chinois ?
Toutes les dernières études chinoises tentent de faire naître Homo sapiens en Chine, ou tout du moins de le faire exister en Asie depuis le plus de temps possible. Cette nouvelle étude, qui a fait intervenir des chercheurs de plusieurs nationalités, va peut-être permettre de faire enfin émerger les preuves d’un Homo sapiens asiatique ancien… Pour l’anthropologue Jean-Jacques Hublin « nombreux parmi nos collègues chinois sont ceux qui refusent l’idée d’une origine africaine des asiatiques modernes et veulent absolument leur homme moderne chinois le plus ancien possible… »
Cette révolution dans l’histoire des grandes migrations inspire Wu Liu, qui voit dans cette découverte la preuve qu’Homo sapiens « est arrivé en Chine deux fois plus tôt qu’en Europe » !
Sources :
ScienceDaily,
BBC
Le Monde
Le Point
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de Denis Vialou