Les premières sépultures de la préhistoire
Depuis quand nos ancêtres enterrent-ils leurs morts ?
Trouver un squelette fossilisé ne prouve pas la sépulture
La découverte d’un squelette bien conservé, dans une position anatomique, pourrait laisser logiquement penser qu’on est en face d’une sépulture volontaire. Il n’en est rien : les circonstances de l’ensevelissement ont pu reproduire fortuitement une apparence de pratique funéraire.
Plusieurs indices sont recherchés pour prouver l’existence d’une inhumation volontaire.
Les premières sépultures prouvées sont datées de 100 000 ans et se trouvent dans l’actuel Israël.
Définition d’une sépulture
« Mot le plus souvent utilisé en préhistoire à propos des inhumations. Le concept de sépulture ajoute à celui d’inhumation l’activité funéraire qui préside à l’enterrement du mort… »
La préhistoire – Histoire et Dictionnaire
sous la direction de Denis Viallou.
En 2023 le paléoanthropologue Lee Berger annonce qu’il a identifié deux sépultures sur le site de Rising Star en Afrique du Sud. Les corps appartiennent à l’espèce Homo naledi. Estimé à plus de 200 000 ans ces sépultures seraient donc les plus anciennes du paléolithique.
Comment prouver l’existence d’une inhumation volontaire ?
Plusieurs critères sont pris en compte pour déterminer une activité sépulcrale.
Pour Bernard Vandermeersch, « il semble que le meilleur critère soit la préservation du squelette en connexion« . C’est-à-dire que les ossements sont retrouvés positionnés de manière anatomique par rapport au corps originel.
D’une manière ou d’une autre, le corps a donc été préservé des charognards et de l’éparpillement des ossements. La tombe a pu ainsi être « aménagée » avec des blocs de pierre qui renforcent l’intérieur de la sépulture ou d’une dalle qui protège l’ensemble.
Les études taphonomiques peuvent révéler d’autres indices d’une inhumation volontaire.
– la tombe a pu être remblayée avec des sédiments différents de la pleine terre où a été creusée la fosse.
– le corps peut avoir été recouvert d’une matière spécifique. On a trouvé parfois des ossements présentant des traces d’ocres sur tout ou partie du corps.
– des objets accompagnant les corps démontrent la volonté d’accompagner le défunt dans son dernier voyage : outils, ossements d’ animaux, ornements qui ont pu servir d’offrande funéraire.
Un exemple d’inhumation intentionnelle : St Germain-la-riviere
Découverte en 1934 par R. Blanchard, la sépulture simple de St Germain-la-rivière a livré le squelette d’une femme âgée d’une vingtaine d’années. La datation montre un âge de 15 780 ans BP.
Les preuves d’un rite funéraire sont multiples.
- Le corps était en position repliée, une main posée sur sa tête, dans une attitude évoquant celle du sommeil.
- Elle portait autour du cou, un collier formé de 70 canines de cerf trouées.
- De petits coquillages ont été retrouvés au niveau du bassin (un reste de vêtement ?).
- L’ensemble de la sépulture était recouvert d’ocre rouge.
- Le corps était déposé dans une fosse dont les parois étaient formées de dalles, le tout étant recouvert de 2 grosses pierres.
Plusieurs types de sépultures
On peut distinguer les types de sépultures en cherchant à savoir si l’inhumation a eu lieu en un seul ou plusieurs temps.
Les sépultures primaires
La découverte des ossements indique que ceux-ci ont été déposés en une seule fois, à un seul moment. Si le fossile a bénéficié d’une protection, on peut donc espérer retrouver la quasi-totalité du squelette.
Un exemple : La sépulture individuelle de Noyen-sur-Seine (au musée de Nemours)
Les sépultures secondaires
Les vestiges humains peuvent avoir été déplacés avant d’être inhumés. Les causes de ce déplacement peuvent être multiples : embaumement de tout ou partie du corps, rite « religieux »… On a pu remarquer que c’est souvent la tête du défunt (la boîte crânienne) qui a subi un traitement particulier.
Exemple : à la Ferrassie, le crâne de LF6 a été retrouvé à plus d’un mètre du corps.
Le coffre funéraire en pierres dressées était peut-être pourvu d’une couverture, disparue avant la fouille. Un adulte de sexe masculin reposait sur le côté gauche en position fortement repliée. Il était accompagné d’une coquille Saint-Jacques, de deux grandes lames en silex et de deux poinçons en os. Cette sépulture, datée au carbone 14 entre – 3 900 et – 3 400, formait avec trois autres sépultures individuelles un petit cimetière du Néolithique moyen.
Moulage réalisé par Jean-Loup Sauvage
On peut également classer les tombes suivant le nombre d’individus qui les composent.
Les sépultures simples
Les inhumations les plus fréquentes : la tombe ne contient qu’un seul individu.
Exemple : à Laugerie Basse la sépulture d’un homme.
Les sépultures doubles
Ici deux individus sont présents dans la même fosse. Pour des sépultures doubles, les corps doivent avoir été enterrés au même moment (voir la découverte d’un couple enlacé en Italie, à Mantua). Dans le cas contraire il est possible que la tombe ait été simplement réutilisée, sans qu’aucun lien n’existe entre les deux corps.
Exemple : la récente découverte à Krems en Autriche d’une sépulture double.
Les sépultures multiples
Il peut arriver de retrouver dans une même fosse le corps de plusieurs individus. A de rares exceptions près, les inhumations ont été multiples et les corps déposés sur une période plus ou moins longue (jusqu’à plusieurs dizaines d’années).
Le cas de La Sima de los Huesos
Ce site fait partie du complexe des sites pleistocènes de Atapuerca (Espagne).
Les restes de 30 individus on été retrouvés dans cet aven de 13 mètres de profondeur, tous représentants de l’espèce Homo Heidelbergensis. On estime l’âge des ossements à environ 350 000 ans.
La présence de tant de restes humains, concentrés dans une petite bande sédimentaire ne semble pourtant pas due à un événement catastrophique.
Par ailleurs, un outil lithique a été retrouvé, associé à cet ensemble d’hominidés.
La Sima de los Huesos, serait-elle une sépulture collective ?
Si la communauté scientifique est divisée sur le sujet, les plus grands spécialistes affirment que rien ne permet toutefois de penser que nous nous trouvons face à une sépulture collective.
Des sépultures vieilles de 100 000 ans
Les plus anciennes sépultures volontaires datent de 100 000 ans.
C’est au Proche-Orient que l’on trouve les premières preuves d’une inhumation intentionnelle des morts, à Skhul et Qafzeh en Israël, et à Qena en Egypte. Dans toutes ces premières tombes sont enterrés des représentants de l’espèce Homo sapiens.
Les sépultures de Skhül (Mugharet es-Skhül) – 100 000 ans
Fouillé depuis 1929, et plus particulièrement en 1930 par Dorothy Garrod (Université de Cambridge), le site de Skhül a livré 10 squelettes (7 adultes et 3 enfants) et 16 os isolés. Tous les fossiles étaient en position repliée, inhumés dans des fosses de faible profondeur. La datation des sépultures a évalué leur âge à 100 000 ans. Ce sont donc les plus anciennes tombes retrouvées à ce jour.
Certains des squelettes présentaient des fractures certainement occasionnées lors de combats.
Skhul V
Les fossiles sont attribués à l’espèce Homo sapiens mais présentent des caractères archaïques comme les arcades sourcilières développées. Son appartenance à notre espèce est confirmée par son front vertical et droit ainsi que l’arrière de son crâne arrondi.
Sépulture Skhül V à droite – Mugharet Es Skhul Mont Camel – Israel – 1937 Garrod and Plate
Il faut noter que le squelette de l’homme est accompagné d’une mandibule de suidé (un sanglier ?) volontairement déposée sur le corps.
Les sépultures de Qafzeh (Dejbel-Qafzeh) – 92 000 ans
Les premières fouilles du site de Qafzeh datent des années 1930. C’est le Consul de France à Jérusalem et préhistorien René Neuville qui fit les premières découvertes. En 1965, l’anthropologue Bernard Vandermeersch reprend les fouilles sur le site. 25 squelettes ont été mis à jour sur les sites, ainsi que de nombreux éléments prouvant l’existence d’une industrie lithique.
Un squelette se remarque parmi les 25 restes humains, celui de Qafzeh 11. Cet adolescent déposé dans une fosse de 50 x 60 cm était positionné sur le dos, les jambes repliées contre le corps. Il avait sur le thorax un morceau d’un grand cerf comprenant une partie du crâne de l’animal… Pour certains paléoanthropologues il faut considérer que ces ossements sont une sorte d’offrande funéraire.
A l’exception de Qafzeh 9 et 10 toutes les sépultures ne contenaient qu’un seul individu (sépultures simples). Tous les restes humains sont des hommes modernes et appartiennent donc à l’espèce Homo sapiens. Certains présentent des caractéristiques semblables à celles de Cro-Magnon.
Qafzeh 9 et Qafzeh 10
Découverte en 1967, la sépulture double est constituée d’un corps de femme de 20 ans et de celui d’un enfant d’environ 6 ans. On a pu démontrer que ces 2 individus avaient été inhumés simultanément. C’est la seule sépulture double connue de l’époque Moustérienne. Le site est daté de 92 000 ans BP par thermoluminescence.
Mtoto au Kenya il y a 78 000 ans
En 2013 une équipe internationale (avec des chercheurs du CNRS) ont découvert des restes humains dans la grotte Panga ya Saidi, au Kenya. Ce sont un crâne et des fragments de squelette qui étaient contenus dans une fosse délibérément creusée : les sédiments autour de la fosse n’étaient pas les mêmes que ceux contenus dans la fosse. Les ossements appartiennent à un enfant Homo sapiens de 3 ans mais dont certains caractéristiques dentaires évoquent d’autres espèces comme Homo néandertalensis.
La sépulture de Mtoto, est la plus ancienne connue pour un Homo sapiens en Afrique. Elle prouve que sur ce continent, H. sapiens enterrait déjà des morts avec soin il y a 78 000 ans. Mtoto était couché sur le côté, en position fléchie – les genoux repliés contre le buste – son corps devait être maintenu par un élément (non retrouvé) et son crâne devait être posé sur une sorte « d’oreiller ». L’enterrement du corps (assez rapide d’après les scientifiques était probablement destiné à protéger le corps des charognards.
Néandertal aussi enterrait ses morts
Loin de la brute que l’on imaginait au siècle dernier, Homo neanderthalensis avait déjà des préoccupations culturelles. 38 sépultures ont été mises à jour sur l’aire de répartition des Néandertaliens. Une particularité : ces sépultures sont toujours situées sur un site d’habitat que témoigne la proximité d’éléments lithiques.
En France l’Abri de la Ferrassie (Dordogne) véritable nécropole a livré huit sépultures néandertaliennes. En 2020 une étude publiée dans Scientific Reports démontre que le jeune Néandertalien LF8 à bénéficié d’une sépulture lors de son inhumation.
A la Chapelle-aux-Saints un squelette néandertalien a été découvert dans une cavité : La Bouffia Bonneval. Le néandertalien est daté de 50 000 ans. Il est si bien conservé que l’on peut voir qu’il souffrait d’arthrite et qu’il lui manquait quelques dents !
A droite, reconstitution de la sépulture de l’Homme de Néandertal à la Chapelle-aux-Saints
A Montignac, au Regourdou, un squelette néandertalien a été mis au jour. Il lui manquait le crâne, mais la position du corps laisse penser qu’il a bénéficié d’un rituel funéraire.
Dans les années 1930, des restes d’un enfant et des artefacts moustériens ont été découverts dans la grotte de Teshik-Tash, dans le sud de l’Ouzbékistan. L’appartenance de ces restes à Homo neandertalensis a été confirmée par des études morphologiques et génétiques
Estimation 70 000 ans. Exposée au Natural History Museum de Londres Photo Kroko pour Hominides.com
Original conservé au Musée d’Anthropologie de Moscou
Les sépultures de Shanidar – 50 000 ans
A Shanidar (Kurdistan irakien) la tombe 4 (-50.000) renfermait le squelette d’un néandertalien inhumé sur un lit de plantes fleuries appartenant à sept espèces précises : achillées jaunes et blanches, centaurées jaunes, muscaris bleues, séneçon jaune vif, éphédras, cette plante dont les fleurs sont petites et insignifiantes mais dont les vertus hallucinogènes sont connues a pu servir de litière, et, enfin, une dernière espèce non déterminée.
Pour Arl. LEROI-GOUGHAN le choix de ces espèces précises, l’organisation de leur cueillette implique l’existence d’un langage.
En octobre 2023 la dépose des fleurs par des néandertaliens avec la dépouille de Shanidar IV est remise en cause par une nouvelle étude. Le pollen aurait pu être amené par des abeilles fouisseuses.
(article de ZAF)
Pour aller plus loin
Les squelettes de l’abri Cro-Magnon
Les sciences de l’Homme et la violence collective (XIXe-XXIe siècles)
Alain Beynex
Bertrand Roussel