Fin des grands singes ? Entretien avec Emmanuelle Grundmann
Entretien Avril 2008
Entretien avec Emmanuelle Grundmann, primatologue
Primatologue et auteur, Emmanuelle Grundmann, travaille sur la réintroduction et la protection des grands singes ainsi que sur les problématiques liées à la déforestation. Elle contribue régulièrement au magazine Terre sauvage et a écrit plusieurs livres, dont Etre singe (La Martinière, 2002) avec le photographe Cyril Ruoso.
Emmanuelle Grundmann est co-signataire du mAn (Manifesto for Apes ans Nature).
Elle est présidente d’honneur de l’association Aweli.
Ci-contre Emanuelle Grundmann avec un singe laineux confisqué à des braconniers par l’association Ikamaperu (Photographie Cyril Ruoso)
Quelles sont, pour vous, la ou les action(s) les plus significatives pour la protection des grands singes ?
Emmanuelle Grundmann
Tout d’abord, il faut absolument protéger leur habitat, c’est-à-dire les dernières forêts tropicales où ces grands singes vivent. En Afrique de l’ouest, seuls 22,8% de la forêt tropicale subsistent, quant au bassin du Congo, même si de grandes étendues semblent encore intactes, d’autres sont exploitées par différentes entreprises européennes et asiatiques. Petit à petit la plus grande forêt d’Afrique se morcelle. Selon un rapport de l’Unesco publié en 2003, d’ici à « 2030 seulement 10% de l’habitat des grands singes auront été épargnés en Afrique. Et 1% en Asie ».
Et il y a plus, le déboisement des forêts africaines va de pair avec une autre catastrophe écologique : le commerce de viande de brousse entraînant inexorablement ce qui désormais porte le nom de syndrome des forêts vides, et les grands singes comptent parmi les premières victimes de tout ceci. C’est donc sur ce terrain de la lutte contre la déforestation qu’il faut agir, vite et avec efficacité, ce que font certaines ONG sur le terrain.
D’autres luttent contre le trafic, le braconnage et la corruption comme l’ONG LAGA, basée au Cameroun, qui a déjà réussi à faire arrêter et condamner plusieurs braconniers, mais aussi des trafiquants. Ce sont, à mon sens, ces deux points les plus importants.
En parallèle, évidemment, il faut éduquer et sensibiliser, à la fois ici en Europe, là où nous consommons du bois tropical, des agro-carburants et des produits alimentaires gorgés d’huile de palme, mais aussi sur place, auprès des populations locales.
Les sanctuaires de grands singes se multiplient, sont-ils une vraie solution ou un pis-aller ?
Emmanuelle Grundmann
Ce sont des pansements, mais avec les sanctuaires on ne règle pas le problème de fond. On lutte contre le trafic mais on ne protège pas les populations sauvages de grands singes.
Certes, ces sanctuaires sont importants et ont un rôle crucial de sensibilisation et d’éducation, mais trop souvent, ils ne sont pas accompagnés de mesures de protection des grands singes dans leur habitat et/ou de l’habitat lui-même.
Et comme ces sanctuaires sont très médiatisés et médiatiques, on oublie de parler des mesures de fond, et l’argent dont ont besoin aussi les ONG travaillant sur la conservation des primates sauvages dans leur milieu naturel va quasi exclusivement vers les sanctuaires.
Il faut un meilleur équilibre et surtout ne pas oublier que la priorité – car il y a urgence – c’est la protection des forêts et des grands singes sauvages !
Les zoos peuvent-ils vraiment permettre une diversité génétique dans les populations de grands singes ?
Emmanuelle Grundmann
Certes les zoos ont un rôle à jouer au niveau de la diversité génétique mais la réintroduction de grands singes est tellement difficile qu’il semble illusoire de ne compter que sur les zoos pour le futur. Par contre, ils peuvent aussi jouer le rôle éducatif auprès des populations des pays du Nord, notamment avec de bons programmes éducatifs et de sensibilisation autour de la protection des grands singes et de la lutte contre la déforestation, car sur cette question précise nous avons une grande part de responsabilité et un rôle à jouer !
L’éco-tourisme est présenté comme une chance de maintenir et même de développer les populations de grands singes dans leur milieu naturel. Qu’en pensez-vous ?
Emmanuelle Grundmann
Je suis tout à fait d’accord à une seule condition : que cela soit très bien géré. Cela fonctionne très bien pour les gorilles de montagne mais beaucoup moins pour les orangs-outans par exemple. C’est très surveillé pour les gorilles de montagne, les règles sont très strictes, 1h pas plus, et jamais deux jours de suite le même groupe de gorilles par exemple, alors que pour les orangs-outans à Sumatra notamment, il n’y a aucune règle. Or les maladies se transmettent très facilement des grands singes vers les hommes mais aussi et surtout des hommes vers les grands singes. Et on peut s’interroger dans ce cas précis de l’intérêt d’approvisionner tous les jours des orangs-outans qui peuvent très bien survivre en forêt de manière indépendante. C’est simplement pour les attirer pour pouvoir faire payer les touristes qui viennent les voir comme on va au zoo.
Certains centres de réhabilitation sont aussi devenus des ‘zoos’ et ne remplissent plus du tout leur rôle premier de conservation et là, il faut s’interroger.
Donc, comme pour tout, cela peut être bénéfique à condition que cela soit très surveillé et réglementé. Car le tourisme de masse peut aussi devenir une cause de disparition des grands singes si l’on n’y prête pas garde.
Hominidés.com remercie Emmanuelle Grundmann pour sa collaboration.
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