Naissance de l’écriture
Origines de l’écriture – Les premières traces écrites de l’humanité
Les origines de l’écriture – le début de l’Histoire
On a l’habitude de dire que la Préhistoire se termine avec la naissance de l’écriture. C’est effectivement avec ce changement culturel que l’homme va rentrer dans l’histoire et commencer à laisser des traces écrites. Les premiers écrits servaient surtout de livres de comptabilité ou d’inventaires. Mais l’homme va rapidement utiliser ce nouveau moyen de communication pour raconter des histoires… et surtout son histoire !
L’art rupestre, une première forme d’écriture ?
Il y a 40 000 ans, l’homme préhistorique commence à graver, peindre. Sans parler d’écriture on peut déjà remarquer que nos ancêtres ont cherché à communiquer, à transmettre un message, à témoigner (?)… Les grottes des Combarelles, de Font-de-Gaume ou de Lascaux laissent une impression très forte lorsqu’on les visite, comme si l’homme préhistorique avait voulu nous dire quelque chose, nous transmettre sa pensée. Il est pour l’instant difficile de comprendre le message. Si les tentatives d’explication des gravures et peinture pariétales sont nombreuses, aucune ne fait vraiment l’unanimité…
Pourquoi l’écriture ?
Une écriture devenue indispensable comme moyen de communication
L’écriture est devenue un véritable « besoin » avec le développement d’un système de société hiérarchisée, l’existence d’un pouvoir centralisé, l’émergence des religions.
Les temples, centres de pouvoir religieux mais aussi administratif, vont devoir s’organiser, comptabiliser et mesurer. Les échanges commerciaux entre villes et contrées se multipliant, il faudra formaliser les actes de ventes.
Les « calculis » (voir ci-contre), ancêtres de nos factures, vont assez vite être remplacés par des tablettes d’argile dont le format va permettre d’indiquer le propriétaire d’un bien, et d’inventorier la totalité des marchandises.
L’écriture est née il y a 6000 ans dans deux contrées voisines, la Mésopotamie et l’Egypte, de manière presque simultanée mais différenciée. Si les hiéroglyphes égyptiens et les pictogrammes sumériens sont tous les deux formés de petites images, celles-ci sont totalement propres à leur région.
Les calculis Pour faciliter les échanges commerciaux, les marchands utilisaient de petits objets en terre cuite qui représentaient la marchandise accompagnée. Valeurs des calculis : le petit cône valait 1, la petite boule 10, le grand cône 60 et le grand cône percé 600. Pour "sceller" la transaction, ces figurines étaient enfouies dans une masse d'argile arrondie.
Les premiers écrits viennent de Mésopotamie
6000 BP La première écriture analytique
C’est dans les restes des temples des cités d’Uruk et de Lagash (le Pays de Sumer, l’actuel Irak) qu’on retrouve les premières traces d’écriture. Elles sont datées de 3300 ans avant JC. Les sumériens utilisaient des roseaux taillés en pointe (les calames) pour tracer les signes sur des tablettes d’argile.
Cette écriture était composée de pictogrammes ou signes représentant un seul mot ou concept. On a évalué que cette écriture était constituée de plus de 1500 représentations. Les sumériens utilisaient l’écriture pour la rédaction de livres de comptabilité et dénombraient ainsi les possessions du temple comme les sacs de grains, les têtes de bétail…
Pour certains « mots » les sumériens inventaient des idéogrammes en mélangeant deux pictogrammes…
5 700 BP Le cunéiforme
Les formes stylisées vont disparaître, elles vont être remplacées par l’écriture cunéiforme. Les sumériens vont prendre l’habitude de travailler différemment leurs calames : ils vont les tailler en biseau. En les enfonçant dans l’argile, l’empreinte avait une forme de « clou » d’où on a tiré le nom cunéiforme.
On a évalué que cette écriture étaient composée de seulement 600 signes.
Ces signes (non figuratifs) vont évoluer vers la représentation d’un son : le phonétisme. Ainsi, en associant une suite de sons, on va pouvoir écrire un mot : l’image du « chat » suivie de l’image du « pot » peuvent exprimer le mot « chapeau »…. C’est l’ancêtre du rébus !
Pour aider à la lecture les sumériens utilisaient également des déterminatifs qui permettaient d’indiquer le genre ou le contexte des mots employés.
L’écriture commence en Egypte avec les hiéroglyphes
5000 BP les premiers hiéroglyphes
On a commencé à retrouver des documents où figurent des hiéroglyphes qui ont été datés de 3000 ans avant J-C. On suppose que l’écriture hiéroglyphique est plus ancienne que cette datation. Les premiers écrits comportent déjà des retransmissions de langue parlée mais ils abordent aussi de nombreux aspects de la civilisation égyptienne : pharmacologie, actes administratifs, éducation… Cette écriture n’a pas pu se développer aussi complètement en quelques années… l’origine n’est donc pas encore retrouvée mais certainement plus ancienne.
On a déterminé 3 sortes de signes dans les textes anciens :
– les pictogrammes, seuls ou en combinaison pour représenter une chose ou une idée,
– les phonogrammes, qui expriment un son,
– les déterminatifs qui aident le lecteur pour la compréhension du texte, en classifiant les 2 sortes de signes précédentes.
Le sens de lecture de l’écriture hiéroglyphique, un cas particulier
De manière générale les hiéroglyphes se lisent de droite à gauche sur un papyrus…
Sur les murs d’un temple le sens de lecture est indiqué par les figures intégrées dans les hiéroglyphes. Par exemple, si les figures sont tournées vers la gauche, alors le texte se lit de gauche à droite…
Tout cela paraît relativement simple, sauf que… parfois sur un temple le sens de lecture peut être « inversé » par la présence d’une statue divine à proximité du texte. Dans ce cas, même si les figures regardent vers la divinité le sens de lecture peut être inversé…
L’écriture cursive
Parallèlement aux hiéroglyphes un autre type d’écriture apparaît en Egypte : l’écriture cursive (ou hiératique). Plus simple et moins travaillée, cette écriture permet de rédiger plus rapidement des textes. Elle comporte toutefois, comme les hiéroglyphes, des idéogrammes, des phonogrammes et des déterminatifs.
En 650 avant J-C une autre écriture cursive se développe, encore plus simplifiée : l’écriture démotique. Cette nouvelle forme d’écriture n’est plus réservée aux scribes et sa « simplicité » va lui permettre de s’étendre à d’autres couches de la population…
Première écritures en Crète (et en Grèce)
4000 ans BP premières écriture crétoise
C’est à cette époque que se développe l’écriture en Crète et probablement en Grèce continentale. C’est particulièrement dans l’ancienne cité de Knossos que des inscriptions sur des tablettes d’argile ou gravées dans la pierre ont été retrouvées en 1900. On dénombre 3 sortes d’écriture :
– le linéaire B, le plus ancien (- 2000 ans avant J-C) est composé de 200 signes syllabaires (formés de syllabes). On suppose qu’il traduit une forme ancienne du grec. L’écriture a été déchiffrée en 1952.
– le linéaire A, ( – 1750 à – 1450 ans avant J-C) formé de signes stylisés dont la signification n’a pas pu encore être retrouvée.
– le disque de Phaïstos (- 700 ans avant J-C) qui présente sur ses 2 faces 45 signes figuratifs. C’est un unicum, c’est-à-dire que cette écriture a seulement été retrouvée sur ce disque. Elle reste incompréhensible et sa véracité a souvent été mise en doute.
La Chine : premiers écrits
3200 BP les premiers textes déchiffrables
L’écriture chinoise est la seule à avoir connu une véritable continuité depuis plus de 3 000 ans. Les premiers caractères étaient des textes oraculaires gravés sur des carapaces de tortues ou des omoplates de bovidés. S’ils sont pour la plupart illisibles pour le Chinois du XXIème siècle, les caractères actuels ayant acquis leur forme définitive il y a environ 2000 ans, ils n’en sont pas moins les ancêtres directs de l’écriture moderne, écriture qu’adoptèrent successivement la Corée, le Vietnam et le Japon au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne. A l’image du système de numération indo-arabe ou des pictogrammes modernes, les caractères chinois véhiculent un sens indépendamment de la langue parlée par l’utilisateur. Ils ont ainsi été le véhicule de la philosophie (confucianisme), de la religion (bouddhisme), de l’art de la calligraphie et de beaucoup d’autres choses dans ces différents pays. Notons que les Chinois ont été précurseurs dans tout ce qui se rapporte à l’écriture : ils ont entre autres inventé le papier (support de l’écriture depuis deux mille ans) et l’imprimerie (xylographie à partir du VIIème siècle, caractères mobiles au XIème siècle, environ quatre cents ans avant Gutenberg).
Entre -1400 et -400 ans
Musée de l’Homme – Photo Kroko pour Hominides.com
Chine, XIIe siècle avant J.-C. ?
Fragments de carapace de tortue.
Paris, BnF, manuscrits orientaux
Les caractères chinois, ou sinogrammes, sont traditionnellement classés en quatre catégories principales :
- Les pictogrammes, dessins plus ou moins stylisés d’objets ou d’êtres vivants (soleil, montagne, arbre, homme, poisson…). Ce sont les « briques élémentaires » de l’écriture chinoise. On en compte environ deux cents.
- Les idéogrammes simples, tantôt tracés abstraits ou géométriques désignant des chiffres ou des formes, tantôt pictogrammes auxquels un trait est rajouté afin de désigner une partie de l’objet (un trait au bas de l’arbre = racine).
- Les idéogrammes composés, associations de deux, voire trois pictogrammes, créés pour désigner des concepts abstraits (soleil + lune = clarté, homme + arbre = repos, oiseau + arbre = se rassembler, femme + enfant = aimer…).
- Les idéo-phonogrammes, associations d’un pictogramme, donnant une indication sur le champ sémantique du caractère (rapport avec l’eau, le feu, l’arbre, la femme, etc.) et d’un élément à valeur phonétique. Ils constituent à peu près les trois quarts de langue courante.
3700 – 3100 BP
Si l’on recense plus de quarante mille caractères différents, quatre à cinq mille « suffisent » à former les quelques dizaines de milliers de mots composés (le plus souvent de deux caractères) de la langue moderne. Précisons enfin que l’écriture chinoise a connu une simplification partielle dans les années 60 en Chine continentale (on parle de caractères « simplifiés »), alors que Taïwan et Hongkong sont restés fidèles à l’écriture traditionnelle.
1 : Inscription oraculaire (XIIIe siècle av. J.-C.) 2 : Inscription sur bronze (XIe siècle av. J.-C.) 3 : Petite sygillaire (IIIe siècle av. J.-C.) 4 : Ecriture « moderne » (à partir du IIe siècle après J.-C.) 5 : Ecriture simplifiée (à partir de 1964).
Article La Chine, premiers écrits
Philippe Che, Maître de conférences, Aix-Marseille Université, spécialiste de la Chine ancienne.
Invention de l’alphabet
Un premier alphabet il y a 3400 ans ?
Continuant à se répandre dans le monde, l’écriture va utiliser de nouvelles règles : c’est l’invention de l’alphabet.
« L’alphabet se compose d’un ensemble conventionnel de signes écrits dont chacun correspond à un seul son parlé ; tous ces signes, dont le nombre est limité, sont susceptibles d’être disposés selon des combinaisons interchangeables de façon à former des diverses syllabes et les différents mots. L’écriture semble avoir été inventée vers 3400 BP à Ougarit… un port de commerce alors très actif, où on a découvert en 1928 une série de tablettes écrites à l’aide de 30 signes seulement, d’aspect cunéiformes, utilisés pour noter des sons et non plus des idées…«
Claude-Louis Gallien (Homo, Histoire plurielle d’un genre singulier, Puf)
Lexique
BP : Before Present – avant l’époque actuelle
Cunéiforme : en forme de clou
Oraculaire : qui a la qualité d’un oracle ; qui parle comme un oracle.
Pour aller plus loin
Livres
Livres : Naissance de l’écriture : Cunéiformes et hiéroglyphes : [exposition], Galeries nationales du Grand Palais, 7 mai-9 août 1982 . Livre édité à l’occasion de l’exposition du 7 mai au 9 août 1982 à la Galerie Nationale du Grand Palais. Histoire de l’écriture de Louis-Jean Calvet, Collection Hachette Pluriel,1998 |
Revues Archéologia – N° 167 : La naissance de l’écriture
Références pour la partie Ecriture chinoise
Jean-François Billeter, L’art chinois de l’écriture. Genève : éditions Skira, 1989.
Thomas Francis Carter, The invention of printing in China and its spread westward. New York : The Ronald Press Company, 1925.
A visiter
Le Musée du Louvre et la partie consacrée aux antiquités égyptiennes et orientales
Le Musée du Caire pour ses richesses : papyrus, matériels d’écriture
Le Musée de Figeac consacré à Champollion : le site de la ville
Sites
L’aventure des écritures : http://classes.bnf.fr/dossiecr/index.htm
Les débuts de la comptabilité en Mésopotamie : https://journals.openedition.org/comptabilites/1877?lang=en
en format Kindle en format eBook | La genèse de l’écriture (2022) Denise Schmandt-Besserat Pour les civilisations antiques, l’écriture était un don divin. Les philosophes et les linguistes ont spéculé sur ses origines. À la fin du XXe siècle, des objets archéologiques ont permis de retracer l’évolution de pratiques aboutissant aux premières traces d’écriture en Mésopotamie. Bousculant le mythe et les certitudes savantes, leur étude a montré que les fonctions primordiales de l’écriture ne relèvent ni de la transmission, ni de la conservation du langage, mais de la gestion de biens. La conception scientifique de la genèse de l’écriture découle des découvertes de Denise Schmandt-Besserat. Ce livre présente les preuves matérielles que sont les « jetons », examine leur évolution jusqu’à la transmission de leurs fonctions aux tablettes d’argile, puis analyse les implications socioéconomiques de ce processus multimillénaire, avant de restituer la classification des artefacts. Cette démarche est comparable à celle d’André Leroi-Gourhan : elle introduit une problématique fondamentale dans le champ des études paléo-historiques en même temps qu’une méthode éclairant la relation entre une classe d’artefacts et l’évolution de l’humanité. Dans une postface inédite, Grégory Chambon fait le point sur les enjeux toujours actuels de cette œuvre fondatrice. |
Bertrand Roussel