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Hyène des cavernes
Hyène des cavernes
Crocuta crocuta spelaea
La hyène « bénéficie » toujours d’une très mauvaise image : un charognard perfide assoiffé de sang et de nourriture en putréfaction… Cette image d’Epinal est également appliquée à son ancêtre préhistorique, la hyène des cavernes, sans que ce comportement soit attesté ou prouvé de quelque manière que ce soit !
Les rôles des hyènes tachetées dans Le Roi Lion n’ont fait que renforcer un aspect bête et méchant de l’animal.
La hyène fait partie des féliformes (feliformia), qui contient aussi la famille des félins. La hyène est l’un des mammifères les plus connus de la période glaciaire dont on retrouve les restes ou les traces dans de nombreux site européens, soit sous forme d’ossements de hyène, soit des ossements des individus ayant servi de repas à ce carnivore, ou encore ses coprolithes…
Origine et répartition géographique des hyènes
La hyène des cavernes (Crocuta crocuta spelaea) est également connue sous le nom de hyène tachetée de la période glaciaire. Elle a vécu en Eurasie entre – 500 000 et – 20 000 ans.
Une étude génétique datant de 2020 (1) précise l’histoire des espèces des hyènes depuis le Paléolithique et met fin aux hypothèses controversées qui existaient entre les différentes lignées. Le genre Crocuta (hyènes tachetées d’Afrique et hyènes des cavernes eurasiennes) comprend à la fois des lignées éteintes et d’autres encore existantes à ce jour.
Grâce aux avancées de la paléogénétique sur le génome de la hyène des cavernes eurasienne du Pléistocène supérieur comparé avec les génomes des hyènes tachetées africaines modernes, les chercheurs ont pu retrouver les relations évolutives entre ces lignées de hyènes.
Vers 2,5 Ma en Afrique, à partir de l’ancestrale Crocuta, deux lignées vont se séparer : une population va rester en Afrique (Crocuta crocuta) et l’autre population va se tourner vers l’Eurasie (Crocuta spelea).
Pour les chercheurs, « cette époque coïncide étroitement avec le plus ancien fossile d’Homo trouvé en dehors de l’Afrique (Homo georgicus) en Géorgie et estimé à environ 1,8 Ma… » ce qui représente un gap de 0,7 Ma… On appréciera le terme « étroitement« .
Le paléoanthropologue John Hawks précise : « L’estimation du temps de divergence entre les hyènes tachetées d’Afrique et les hyènes des cavernes eurasiennes se situe à environ 2,7 millions d’années. Les échantillons européens et est-asiatiques sont également substantiellement séparés, mais avec un niveau apparent de mixité plus élevé tout au long de leur histoire évolutive.«
Aujourd’hui la famille des hyènidés est composée de quatre espèces : la hyène tachetée (Crocuta crocuta), la hyène rayée (Hyaena hyanena), la hyène brune (Parahyena brunnea) et la Protèle (Proteles cristata). Ces espèces se trouvent en Afrique et en Asie du sud-ouest.
Caractéristiques des hyènes des cavernes
Morphologiquement, la hyène des cavernes paléolithique est très proche de celle de la hyène tachetée africaine actuelle ou des chiens sauvages.
Il y a toutefois de grandes différences de taille et de poids : Crocuta spelaea pouvait atteindre 1 m au garrot et peser jusqu’à 130 kg. Le dimorphisme sexuel est très prononcé mais chez les hyènes des cavernes ce sont les femelles qui sont plus grandes que les mâles… comme chez la hyène tachetée.
La hyène des cavernes avait donc une stature imposante avec une ossature lourde, un gros crâne et la mâchoire la plus puissante des carnivores. Sa mâchoire est « apte à broyer des os aussi épais que ceux des chevaux sauvages ou des bisons des steppes » remarque Marylène Patou-Mathis.
D’après une représentation pariétale dans la grotte Chauvet, on pense que la robe de l’animal était tachetée, particulièrement sur l’avant du corps (voir l’image de la grotte Chauvet dans la partie « La Hyène dans l’art préhistorique »).
Décrite pour la première fois en 1823 par le naturaliste allemand G.A. Goldfuss, la hyène des cavernes a peuplé l’ensemble de l’Eurasie jusqu’à sa disparition en Sibérie, il y a environ 14 000 ans.
La hyène et l’homme préhistorique
On a retrouvé un grand nombre de restes de hyènes des cavernes dans les gisements fréquentés par les hominidés, Homo neanderthalensis et Homo sapiens. L’animal était en concurrence avec les humains, à la fois pour la recherche de nourriture mais également pour l’utilisation d’abris.
Pour la paléontologue Elodie-Laure Jimenez (Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique) « La hyène des cavernes est probablement le concurrent à la fois le plus numériquement présent et le plus inquiétant qu’ait connu les humains durant le Pléistocène. Archéologiquement parlant, au sein des grottes surtout (mais pas seulement), cela se traduit par un mélange très fréquent des restes liés à des occupations anthropiques et ceux liés à la présence des hyènes« .
Des rapports quelques peu conflictuels…
Les hommes pouvaient être au menu des hyènes.
Dans la grotte de Guattari (Italie) une étude scientifique arrive à la conclusions que plusieurs néandertaliens avaient été tués et/ou charognés par des hyènes, puis ramenés dans la grotte. Une fois dans la tanière les hyènes avaient fini leur repas et consommé leurs proies.
Une équipe internationale a identifié pour la première fois à Marillac – Les Pradelles (Charente) – des dents néandertaliennes partiellement digérées par des hyènes des cavernes. Suite à leur ingestion, la morphologie de ces dents est modifiée : elles ressemblent alors à des dents de lait de bovidés ou de cervidés. Il y a plus de 50 000 ans Néandertal était donc littéralement au menu de ces grands carnivores.
Pour le préhistorien Bruno Maureille : « Notre hypothèse, ici, pour expliquer la présence de restes humains est que les Néandertaliens ont traité certains de leurs contemporains comme ils ont traité les rennes. Nous avons proposé l’hypothèse d’une forme de cannibalisme pour expliquer la collection de vestiges humains qu’il y a dans ce gisement. » L’homme de Néandertal aurait donc pu être mangé en partie par ses congénères avant d’être dévoré par les hyènes.
Des restes humains mâchouillés par une hyène ? C’est ce que semble indiquer les traces de morsures et les brisures sur l’humérus de la grotte de Montmaurin. Pour l’instant le propriétaire du morceau d’os n’a pas été identifié et les préhistoriens hésitent entre H. sapiens et H. neanderthalensis. Tous les ossements retrouvés dans cette partie de stratigraphie portent des traces de mâchouillage de hyène. L’humérus humain ne déroge pas à la règle et il est évident que l’individu a été au menu de ces charmants carnivores.
La préhistorienne Marylène Patou-Mathis constate que « ce prédateur qui convoitait le même gibier que Néandertal était un redoutable concurrent, mais aussi un danger car il venait rôder autour des campements à la recherche de quelques os à ronger«
Dans les 8 mètres de strates archéologiques de la grotte de Fontéchevade à Orgedeuil (Charente), les fouilles et une nouvelle étude des ossements et des artefacts retrouvés ont permis de dater le site à -128 000 ans (stade isotopique 5°). Ce gisement a livré à la fois une industrie de type paléolithique moyen et des restes de hyènes des cavernes. Ces dernières ont occupé la grotte en alternance avec les humains pré-néandertaiens, néandertaliens et Homo sapiens. La hyène est en grande partie responsable de l’accumulation d’ossements sur le site.
Mode de vie de la hyène des cavernes (basé en partie sur celui des hyènes tachetées)
Les hyènes délimitent un territoire qui devient le terrain de jeu et de chasse exclusif au clan. Comme les hyènes actuelles, la hyène des cavernes devait marquer le territoire du clan en utilisant les deux glandes anales donnant dans le rectum pour déposer une odeur spécifique. Ce qui n’empêchait pas l’animal d’uriner et de déposer ses fèces tout autour de son repaire.
Reproduction
C’est une espèce très adaptable et opportuniste, vivant souvent dans de grands clans matriarcaux et affichant des comportements sociaux complexes. Les femelles ont tendance à rester dans le clan ou elles sont nées, alors que les mâles s’éloignent et forment parfois des clans de mâles. Ils tenteront de se reproduire avec des femelles d’autres clans. Pour mettre bas, les femelles hyènes s’écartent de leur clan ce qui permet d’éviter la violence des autres membres et de se placer à l’abri avec leurs petits.
Une fois que les hyénons deviennent un peu plus forts, vers 4-8 semaines, les mères reviennent alors au sein du clan avec leur portée, souvent composée de deux ou trois petits. Une tanière commune est alors utilisée.
Les hyènes tachetées se nourrissent de manière opportuniste, et la chasse et le charognage jouent un rôle important dans l’obtention de nourriture.
MNP Eyzies – Photo Kroko pour Hominides.com
Habitat
La grande majorité des ossements de hyène des cavernes ont été découverts dans les grottes qui leur servaient de tanières. La protection naturelle des cavités explique l’abondance de restes dans les grottes. Les hyènes des cavernes trouvaient un refuge avec leurs petits dans ces repaires, souvent empruntées à d’autres animaux qui constituent de vraies encyclopédies de la vie des hyènes. On y trouve en effet des accumulations d’ossements de hyènes mais également des restes de hyénons, des coprolithes (excréments fossilisés) et des os longs d’hominidés (humérus, fémurs, tibias…) ou d’autres espèces. Les os longs ont souvent été rongés aux extrémités et il n’en reste que la partie médiane. Parfois de petits os et des dents régurgités présentent des traces de digestion ; en témoignent les trous et cupules causés par les sucs gastriques.
En réexaminant une collection paléontologique issue de fouilles datant de 1943, des chercheurs de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB) ont découvert la présence exceptionnelle de 323 fossiles de hyènes juvéniles âgées pour la plupart de quelques semaines. Il y a 43 000 à 47 000 ans, en pleine période glaciaire, la Caverne Marie-Jeanne (Dinant) aurait été utilisée comme repaire par les hyènes pour y mettre bas. Le taux de mortalité exceptionnel de ces hyénons révèle que les frères et sœurs s’entretuaient pour survivre en cette période de pénurie alimentaire.
Alimentation
La hyène des cavernes était un animal hautement spécialisé, avec ses caractéristiques progressives et régressives plus développées que celles de son parent africain moderne. Crocuta spelaea se nourrissait de grands mammifères (principalement des chevaux sauvages, des bisons des steppes et des rhinocéros laineux) et était responsable de l’accumulation de centaines d’os de grands mammifères du Pléistocène dans des zones telles que des grottes horizontales, des dolines, des fosses de boue et des zones boueuses le long des rivières.
Ossements cassés par les hyènes
La régularité des fractures pratiquées par les hyènes et d’autres carnivores a parfois conduit les archéologues à interpréter ce type de vestiges comme pouvant être le fait de l’homme. La taphonomie permet de distinguer les actions humaines de celles des animaux.
Disparition de la hyène des cavernes
D’après la quantité de restes osseux, les paléontologues comptabilisent une baisse de la population des hyènes des cavernes il y a 20 000 ans, et une disparition totale il y a environ 11 000 ans.
La cause de l’extinction de la hyène des cavernes n’est probablement pas unique et certainement pas simple. Elle doit être, comme pour de nombreuses espèces disparues (mammouths, lion des cavernes…), le résultat d’une combinaison de facteurs, notamment le changement climatique et donc d’environnement, la disparition de certaines de ses principales proies (le rhinocéros laineux par exemple) et la compétition avec d’autres prédateurs comme l’Homme.
La hyène dans l’art préhistorique
L’archéologue Elodie-Laure Jimenez « Due à sa mauvaise réputation d’animal moqueur à l’allure ingrate, la hyène est peu représentée et peu présente dans l’imaginaire collectif. Elle était pourtant un grand carnivore essentiel des écosystèmes préhistoriques eurasiatiques dans lesquels elle jouait un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre, au même titre que son principal compétiteur, l’Homme de Néandertal. »
Dans l’art préhistorique les représentations des hyènes des cavernes sont donc extrêmement rares, que ce soit dans l’art pariétal ou dans l’art mobilier.
Photo Kroko pour Hominides.com
La hyène des cavernes dans les sites et les musées
Malgré leur présence omniprésente dans les assemblages européens du Pléistocène supérieur, les squelettes complets de Crocuta spelaea sont très rares dans les archives fossiles. Les spécimens les plus complets sont connus de la grotte de Koněprusy (République tchèque ; Diedrich et Žák, 2006) et des Oubliettes (Gargas, France ; Cardoso, 1993 voir ci-dessous). L’absence de squelettes très complets de cette espèce dans les archives fossiles peut être une conséquence de leurs habitudes alimentaires de charognards, et de cannibalisme…
Image Préhistorama
Sources
2004 SPASSOV NIKOLAI, TODOR STOYTCHEV 2004. The Presence of Cave Hyaena (Crocuta Crocuta Spelaea) In The Upper Palaeolithic Rock Art of Europe. Historia naturalis bulgarica. 16: 159-166.
2018 Néandertal était également au menu des hyènes aux Pradelles, en Charentes
2020 Hyena paleogenomes reveal a complex evolutionary history of cross-continental gene flow between spotted and cave hyena
2021 Guattari (Italie), des hyènes et des Néandertaliens
2021 New insights into cave hyena ethology and the implications for territorial competition with hominins in Late Pleistocene north-west Europe: the case of Caverne Marie-Jeanne (Belgium)
2022 Fraticide chez la hyène des cavernes
2022 Dans la grotte de Montmaurin, les hyènes ont mâchouillé les ossements humains
2023 Ancient genetic introgression between cave hyenas and spotted hyenas
C.R.
A lire sur les animaux ayant côtoyé l’Homme préhistorique
Eric Buffetaut