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Du loup au chien à la préhistoire
Le chien depuis la Préhistoire
Origines et domestication
Le chien, meilleur ami de l’homme, depuis très longtemps… au Paléolithique ?
Depuis quand les chiens sont-ils apparus ? Quel rapport la lignée des chiens (Canis lupus familiaris) entretient-elle avec le loup (Canis lupus) ? Pourquoi et comment cet animal a été le premier à être domestiqué ? Pourquoi existe-t-il autant de chiens différents, du chihuahua au Saint Bernard ?
Le consensus dans la communauté scientifique fait remonter au minimum à – 15 000 ans pour trouver les premières traces archéologiques et génétiques de la domestication du chien. Un changement majeur et le début d’une cohabitation entre l’Homme et l’animal qui perdure de nos jours.
Le loup gris, à l’origine des chiens
Chercher les origines du plus ancien ami de l’Homme, c’est également comprendre le début des processus qui mènent à la domestication.
Il est totalement admis que les origines des chiens sont directement liées au loup, Canis lupus, et plus particulièrement au loup gris, dont la lignée est aujourd’hui totalement éteinte. Depuis 2016 des études génétiques ne racontent pas forcément la même histoire… Là où une étude voit une origine unique ayant eu lieu dans une seule région, une autre étude plaide pour une double origine avec d’un côté des ancêtres européens et de l’autre des ancêtres asiatiques.
Selon une étude publiée en 2016 dans la revue Science (Genomic and archeologicalevidence suggest a dual origin of domestic dogs) les origines du chien sont doubles. L’équipe de recherche a séquencé l’ADN ancien de 59 chiens qui ont vécu il y a entre 14 700 et 3 090 ans et de plus de 600 chiens actuels provenant d’Europe, de Sibérie et du Proche-Orient.
« Les premiers chiens seraient apparus en Europe il y a plus de 15 000 ans à la fin du Paléolithique et, de manière indépendante en Asie de l’Est, il y a plus de 12 500 ans », expliquait l’archéozoologue Anne Tresset (CNRS-MNHN) qui avait participé à cette publication. L’étude fait ressortir que, il y a 11 000 ans, il existait au moins 5 lignées distinctes de chiens ! Ces lignées se sont, depuis, mélangées et déplacées de telle façon qu’elles sont à l’origine de nos chiens actuels.
En 2017, c’est une étude internationale parue dans la revue Nature Communications « Ancient genomes heat up dog domestication debate » qui revisite les origines de la domestication canine à la lumière de l’ADN provenant des restes de deux chiens du Néolithique (datés respectivement de 7000 et 4700 ans), découverts l’un en Allemagne, l’autre en Irlande. Les scientifiques ont comparé les données génétiques obtenues sur ces restes avec celles de plus de 5600 chiens modernes.
Pour l’équipe de scientifiques, les chiens et les loups ont génétiquement divergé il y a 36 900 à 41500 ans. Par ailleurs, les chiens originaires de l’est et ceux de l’ouest se seraient séparés il y a 17500 à 23900 ans. Entre ces deux options, les chiens auraient été domestiqués sur une période comprise entre 20 000 et 40 000 ans.
En 2022, une étude portant sur l’ADN du loup de l’ère glaciaire effectuée par l’Institut Francis Crick montre que les chiens ont une ascendance de deux populations de loups distinctes (Grey wolf genomic history reveals a dual ancestry of dogs). Les chercheurs ont analysé 72 génomes de loups anciens, couvrant les 100 000 dernières années, d’Europe, de Sibérie et d’Amérique du Nord.
La conclusion de cette étude peut se lire de deux façons : soit en faveur d’une double domestication (un foyer en Eurasie de l’est, un autre au Proche Orient) ou un phénomène d’hybridation avec des loups locaux.
Domestication du loup
Quelles que soient les origines du chien, on trouve un loup gris au début du processus !
Les loups se rapprochent des humains
L’hypothèse avancée par de nombreux spécialistes est que tout a commencé par une phase de commensalisme*. Il y a 15 000 ans, au minimum, des loups curieux et surtout peu agressifs et craintifs, se sont rapprochés des campements humains. On peut supposer que ces premières « visites » ont dû se faire lorsque les nomades avaient quitté le campement et que les loups trouvaient des restes de nourriture.
Enhardis et surtout attirés par la nourriture, les loups se sont probablement rapprochés de plus en plus souvent et se sont habitués à l’humain.
https://www.lookandlearn.com/history-images/M301156/The-dog-first-friend-of-Man
Une association rentable pour les deux parties.
Au Paléolithique supérieur, les chasseurs-cueilleurs comme les loups gris ont des méthodes de chasse relativement identiques. Ils traquent et attaquent en groupe. Il y a une coopération entre les individus dans les deux espèces. Le loup, par rapport à l’homme, possède un odorat et une ouïe plus développés et peut se déplacer à une vitesse supérieure. L’Homme, lui, peut utiliser des armes de jets et communiquer de plusieurs manières.
L’Homme va probablement voir l’intérêt d’entretenir un bon rapport avec cet animal : ce concurrent pourrait être un partenaire utile pour la chasse et la protection du campement. Dans un premier temps il va certainement sélectionner les animaux les moins agressifs et les plus amicaux. Puis il va les faire se reproduire entre eux en ne conservant pas les plus sauvages.
De cette sélection-domestication vont naître, au fil des générations successives, des animaux physiquement différents, et au caractère plus doux… les chiens.
Cette hypothèse de processus de domestication est soutenue par les résultats d’une étude de grande ampleur effectuée en Sibérie depuis 1959. Des renards sauvages sont sélectionnés selon certains critères comportementaux comme la docilité. La reproduction de ces animaux les plus « compatibles » a conduit à tout un tas de modifications morphologiques, physiologiques et comportementales, comme celles observées lors du processus de domestication dans de nombreuses espèces. Comme cela a été le cas pour les chiens, ces renards ont vu leurs morphologies se modifier. Cela correspond le plus souvent à la conservation de traits juvéniles : formes plus rondes, museau plus court et large, diminution de la taille, apparition de différents patrons de couleur, oreilles tombantes…
Les chiens…
Les hommes préhistoriques auraient donc apprivoisé les moins sauvages des loups qui les côtoyaient, sélectionnant en même temps, plus ou moins volontairement, d’autres caractéristiques qui ont eu un impact sur la morphologie des canidés. Différentes tailles (et dans une moindre mesure, formes) de chiens sont ainsi documentées dès le Paléolithique supérieur, chez les premiers chiens, sans que l’on ne comprenne aujourd’hui totalement les raisons de cette diversité. Il est cependant très difficile de dresser un panorama de la diversité des canidés à cette époque, car peu de restes ont été retrouvés, et ils sont souvent fragmentés !
La taille, le pelage, le caractère, la psychologie vont faire partie des choix qui mèneront, au fil du temps, à la construction de la diversité canine, jusqu’à aboutir à l’extraordinaire diversité que l’on connait aujourd’hui. Si les plus de 300 races de chiens reconnues de nos jours sont le fruit de sélections très récentes ces deux derniers siècles avec la création des standards, des sélections étaient probablement déjà opérées au Néolithique, le chien étant déjà domestiqué depuis longtemps, évoluant dans un environnement plus fermé et contrôlé par l’Homme.
En 2022, une étude du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society tente de décrire la diversité morphologique des chiens à la préhistoire. Elle est basée sur l’étude de 525 mâchoires inférieures de chiens provenant de sites européens datés entre 11000 et 5 000 ans BP comparées à des mâchoires de chiens de races variées, de loups et de dingos modernes. Les résultats sont passionnants mais pas forcément simplificateurs…
L’étude « a montré, pour la première fois, qu’à cette période très ancienne les chiens présentaient déjà une grande variété de tailles et de formes de têtes. Les chiens préhistoriques européens avaient soit des mandibules de taille équivalente à certains chiens de taille moyenne actuels comme le husky ou le golden retriever, soit de taille équivalente à nos beagles actuels, voire même de petits chiens comme le loulou de Poméranie (aussi appelé spitz nain) ou le teckel » . Mais le plus étonnant pour les chercheurs réside dans le fait qu’ils ont « mis en évidence qu’une partie de la variabilité des chiens préhistoriques ne semblait pas avoir d’équivalent parmi nos chiens actuels ni parmi les loups ».
En simplifiant, c’est donc que les anciens morphotypes de chiens ne se retrouvent pas tous dans les chiens d’aujourd’hui !
Pour les chercheurs, cette absence partielle de continuité permet même de pouvoir distinguer facilement une mâchoire de chien préhistorique de celle d’une chien moderne : le premier possède une mâchoire robuste et arquée.
Le loup et le chien dans l’art préhistorique
Les loups, les chiens et autres canidés ne sont pas un sujet fréquent dans l’art paléolithique. Ces animaux, qui devaient pourtant être souvent à proximité de l’humain, sont très peu représentés… comme l’humanité d’ailleurs. La majorité des représentations de canidés se trouve sur l’art mobilier, ne laissant que quelques figures pour l’art pariétal.
Par ailleurs, pour compliquer encore la chose, il n’est pas facile de les identifier et les préhistoriens peinent à les différencier avec certitude !
A droite – Gravure sur os : possibles canidés se suivant – Grotte de Bourouilla à Arancou.
A Altxerri (ALTUNA y APELLÁNIZ, 1986: 26, fig. 11). B Limeuil (TOSELLO, 2003: 90, fig. 35). C Arudy (ZERVOS, 1957: 353, fig. 379). D Santimamiñe S1a (BARANDIARÁN, 1973: 214). E Arancou (BARANDIARÁN, 2003: 92, doc. 15). F Les Eyzies5 (BARANDIARÁN, 1993: 14, fig. 1.). G Gönnersdorf G1 (BOSINSKI et al., 2001: 24). H Rochereil (TOSELLO, 2003: 458, fig. 361.a.3). I Parpalló P5a (VILLAVERDE, 1994: 16225). J La Marche (MÉLARD, 2008: 249, pl. 37.b). K Font de Gaume (CLEYET-MERLE, 2014: 36, fig. 53). L Polesini (MAIDA y MUSSI, 2017: 100, fig. 3). M La Vache (ROBERT, 1953: 101, fig. 1).
Les restes de chien et de loup
Les restes archéologiques des loups et des chiens du Paléolithique sont rares et très partiels ! Le plus souvent les chercheurs mettent à jour des dents qui font partie des éléments osseux qui se conservent le mieux.
Les squelettes les plus complets datent du Mésolithique et surtout du Néolithique car ils sont souvent associés à une sépulture humaine, comme c’est le cas de ce chien découvert avec les restes de son maître à Sölvesborg en Suède, ou celui de Mallaha en Israël.
Moins sympathiques mais très fréquents ce sont surtout les restes de « poubelles néolithiques » qui donnent lieu à des découvertes du plus grand nombre de restes de chiens. Ce qui montre que les chiens pouvaient même aussi être consommés à cette période.
Les loups sont moins fréquents dans les gisements car leur présence est plus opportuniste ou « accidentelle », ou alors parce qu’ils ont pu être tués pour utiliser leur peau, percer et tailler leurs dents pour en faire des parures…
Parmi les découvertes exceptionnelles il est à noter le sol gelé du Yukon (pergisol) qui a permis d’exhumer le corps momifié d’un louveteau presque entier, avec encore ses poils, qui est mort il y a 57 000 ans…
Dans certains cas ce sont seulement des coprolithes de canidés qui sont retrouvés mais seule une étude approfondie peut attribuer ces excréments à une espèce en particulier.
C.R.
Hominides.com remercie Colline Brassard pour la relecture de cet article.
Docteur vétérinaire, Docteur en anatomie fonctionnelle et en archéozoologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Lexique
(*) commensalisme : association d’organismes d’espèces différentes, profitable pour l’un d’eux et sans danger pour l’autre.
Sources
2012 Des restes de chiens magdaléniens à l’abri du Morin (Gironde, France). Implications socio-économiques d’une innovation zootechnique
2017 Los cánidos en las manifestaciones gráficas paleolíticas – Canids in the palaeolithic graphic manifestations
2017 Ancient genomes heat up dog domestication debate
2020 Une expérience de domestication du renard
2022 Grey wolf genomic history reveals a dual ancestry of dogs
2022 Unexpected morphological diversity in ancient dogs compared to modern relatives
2022 A quoi ressemblaient les chiens à la préhistoire ?
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2011 Des chiens en France il y a 11 500 à 15 000 ans
2012 Un crâne fossilisé daté de 33 000 ans en Sibérie
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Eric Buffetaut