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Des Homo sapiens il y a 300 000 ans au Maroc
Ce n’est pas une nouvelle espèce mais bien des Homo sapiens qui sont âgés de 300 000 ans, soit 100 000 ans de plus que les plus anciens connus.
Le site de Jebel Irhoud est situé à 100 km à l’ouest de Marrakech, et à 50 km de la ville de Safi. Depuis sa découverte en 1961, le site a permis d’exhumer un grand nombre d’outils et des restes humains appartenant à plusieurs individus (2 adultes, 2 enfants). Si dans un premier temps ces fossiles étaient identifiés comme appartenant à des Néandertaliens d’Afrique du nord, les examens successifs ont permis de les attribuer à des Homo sapiens, semblables à ceux de Qafzeh ou Skhul (Israël). La datation initiale était estimée à 40 000 ans en arrière.
Une étude plus particulière (ESR et Uranium) sur l’un des restes donnait un âge beaucoup plus ancien de 160 000 ans ± 16 000 ans. De nouvelles campagnes de fouilles ont été organisées à partir de 2004 avec des chercheurs marocains, des chercheurs du Max Planck Institute et d’autres institutions scientifiques. Il restait 3 mètres de dépôts à étudier !
Deux méthodes de datations utilisées
Les paléoanthropologues Simon Neubauer, Jean-Jacques Hublin et Philipp Gunz ont utilisé des techniques de Ce nouveau chantier à Jebel Irhoud a permis de découvrir de nouveaux matériels archéologiques, mais également de préciser une nouvelle chronologie des couches sédimentaires du gisement. Elément important pour l’étude, les hominidés de Jebel Irhoud maîtrisaient le feu et ont brûlé un grand nombre d’éclats de silex. C’est une opportunité importante car les chercheurs ont pu utiliser, sur ces morceaux de silex une méthode de datation dite par thermoluminescence. Jean-Jacques Hublin indique « on a pu établir une datation, pour les niveaux d’où proviennent les restes humains, autour de 315 000 ans (± 34 000 ans) ». Par ailleurs, cette datation a été confirmée avec l’utilisation d’une deuxième méthode dite par « résonnance électronique de spin ».
Pour l’équipe de chercheurs, cette ancienneté fait de Jebel Irhoud le plus vieux site avec restes humains du Middle Stone Age en Afrique.
Photo : outils de pierre trouvés sur le gisement de Jebel Irhoud, Mohammed Kamal, MPI EVA Leipzig, License: CC-BY-SA 2.0
Des Homo sapiens primitifs de 300 000 ans
C’est à la base du gisement que les paléoanthropologues ont trouvé une couche sédimentaire particulièrement riche en restes humains correspondant probablement à un épisode particulier du dépôt. Au total, 5 individus ont été mis au jour, 3 adultes, un adolescent et un enfant. Parmi eux, on distingue
– Irhoud 10 : un squelette d’adulte avec des morceaux de la face et une boîte crânienne déformée,
– Irhoud 11 : une mandibule d’adulte presque complète, de nombreuses dents ainsi que des éléments du squelette.
Photo Face Reconstitution de la face d’Iroud 10 Photo : Sarah Freidline, MPI EVA Leipzig Photo Mandibule Mandibule d’Irhoud 11 Photo : Jean-Jacques Hublin, MPI EVA Leipzig).
Pour l’équipe de chercheurs, il ne fait aucun doute que ces fossiles appartiennent à l’espèce Homo sapiens, ou pour le moins à ces premiers représentants. L’analyse des données morphologiques de la face montre que les individus de Jebel Irhoud ne sont ni des Néandertaliens, ni des Homo erectus. Ils se situent en plein milieu de la variabilité des hommes modernes (voir schéma ci-contre).
Schéma 1 : Analyse comparative de la forme de la face
Zone jaune : Hommes archaïques appartenant au genre Homo
Zone Rouge : Néandertaliens
Zone Bleu : Homo sapiens
Les individus de Jebel Irhoud (étoiles rose) se positionnent en plein milieu des autres Homo sapiens.
Un endocrâne plus primitif
Contrairement à leur morphologie faciale très « actuelle », la boîte crânienne des fossiles de Jebel Irhoud est beaucoup plus allongée et non globulaire par rapport aux hommes modernes. La forme globale de l’endocrâne semble plus primitive. La comparaison avec les crânes de Néandertaliens et d’Homo erectus montrent que la forme de l’endocrâne est différente de ces deux espèces, mais également en « amont » de la lignée des Homo sapiens (voir schéma ci-contre).
Pour le professeur Hublin, « Jebel Irhoud est déjà dans la variabilité actuelle en termes de taille du cerveau »… « il a un relativement grand cerveau mais un cervelet qui est en proportionnellement nettement plus petit que celui de l’homme moderne. «
Schéma 2 : Analyse comparative de la forme endocrânienne Zone verte : Homo erectus Zone Rouge : Néandertaliens Zone Bleu : Homo sapiens Les individus de Jebel Irhoud (étoiles rose) se positionnent à mi-chemin des 3 zones.
Une vraie révolution sur les origines d’Homo sapiens
Jean-Jacques Hublin rappelle : « on a longtemps cru que l’espèce Homo sapiens était apparue dans une région sub-saharienne, probablement en Afrique de l’est ». On voit maintenant que cette origine n’est pas unique.
Il rajoute qu’il serait tout à fait possible de trouver des Homo sapiens encore plus anciens… soulignant avec un sourire « qu’il y a encore beaucoup d’endroits en Afrique où rien n’a été trouvé ».
Cette découverte démontre que l’histoire évolutive des Homo sapiens est complexe et qu’elle trouve ses origines encore plus loin dans le temps. Il apparaît également que ces premiers hommes modernes se sont probablement disséminés à partir et sur plusieurs régions du continent africain. Jean-Jacques Hublin souligne « le berceau des origines de l’homme est toujours en Afrique… mais c’est tout le continent africain« .
Si les origines des Homo sapiens restent toujours situées en Afrique, les plus anciens fossiles viennent de se déplacer de plusieurs milliers de kilomètres…
C.R.
Sources
– Conférence et dossier de presse du 07/06/17 avec le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin, le géologue Daniel Richter, le paléoanthropologue Abdelouahed Ben-Ncer.
– New fossils from Jebel Irhoud, Morocco and the pan-African origin of Homo sapiens
– The age of the hominin fossils from Jebel Irhoud, Morocco, and the origins of the Middle Stone Age