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Dans le rift Est-Africain, des hominines auraient vécu dans un milieu fertile et non aride
Dans le rift Est-Africain, des hominines auraient vécu dans un milieu fertile et non aride.
Communiqué du Muséum National d’Histoire Naturelle
Une nouvelle étude révèle que dans le rift Est-Africain, des hominines n’ont pas eu à faire face à une extrême aridité, contrairement à ce que l’on pensait jusqu’à présent. La zone était parcourue par de larges cours d’eau douce, et loin d’avoir évolué aux dépens d’une aridité contraignante, les populations locales auraient eu accès à des ressources inespérées. Rencontre avec Xavier Boës, chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle.
Il y a environ 8 millions d’années, l’apparition d’une faille gigantesque aurait créé une barrière naturelle ayant séparé l’Est et l’Ouest du continent africain avec des environnements distincts. Si à l’Ouest, l’air était plutôt humide et la végétation luxuriante, à l’Est, le climat s’était asséché et tout le milieu aurait été profondément transformé. Les primates qui se trouvaient dans la région Est se seraient alors adaptés en se redressant, donnant naissance au genre Homo auquel nous appartenons. C’est la théorie de l’East Side Story, une hypothèse popularisée par Yves Coppens, qui tentait d’expliquer l’apparition de la lignée humaine en Afrique de l’Est par des changements climatiques majeurs.
Pourtant, aujourd’hui, cette théorie est largement remise en question. Suite à des découvertes majeures concernant le paléoenvironnement Est-Africain, il apparait que dans cette région aussi, les hominines auraient pu avoir accès à de vastes réserves d’eau douce, à une faune et une flore développées, et donc, à des ressources nombreuses. En somme, ils n’auraient pas eu à vivre dans l’aridité.
Pourquoi pensait-on que toute la région du rift est du rift est-agricain (et particulièrement le Kenya) était aride il y a 4 millions d’années ?
Nous sommes à une époque où beaucoup de conceptions changent, et ce que l’on apprenait dans les livres, de façon très théorique, n’est pas validé par les données de terrain.
On pensait qu’au Quaternaire, le climat changeait beaucoup, et que le milieu du rift était devenu aride. Les hominines, dans la théorie classique, auraient évolué car certains se seraient adaptés à ce milieu aride pour survivre. Aujourd’hui, nous avons la preuve suite à une étude interdisciplinaire d’une dizaine d’années sur le terrain, qu’il n’en est rien. Ce n’est pas une variation de climat à cette époque qui a joué dans l’évolution humaine.
Certes, d’un point de vue climatique, la région du rift Est-Africain était aride il y a 4 millions d’années. À partir du moment où les barrières du rift se sont formées, cela a bloqué la venue de la mousson par l’Est ou par l’Ouest, et au centre du rift se trouve en plus de cela une dépression dans laquelle l’eau ne tombe pas. Avec la mise en place du climat glaciaire, après – 2,7 Ma, l’eau était également moins disponible dans les circulations atmosphériques car elle était dans les calottes glaciaires. L’eau disponible pour la planète étant « stockée » aux pôles et nous pensions que cela avait rendu la zone du rift encore plus aride.
Aujourd’hui, en traçant la température avec des isotopes, on s’est rendu compte que le rift ne s’est pas aridifié plus qu’avant avec la mise en place des glaciations. Il était certes aride climatiquement parlant depuis – 10 Ma, mais cela signifiait seulement qu’il y avait peu de pluie. Il était aride avant, et il l’est resté en termes de climat. Pour autant, cela ne disait rien de la présence d’eau au sol.
Pourquoi nous sommes nous trompés concernant l’environnement de cette région ? Car nous avions des fossiles d’espèces qui supportaient bien le milieu aride, et nous avons donc pensé que si elles étaient là, c’était parce que la zone était très sèche. La théorie évolue !
Alors oui : le milieu du rift est aride. Il l’était il y a 4 Ma, et aussi il y a 10 Ma. Mais en fait, il a pu largement se transformer avec l’apport d’eau venant de lacs situés dans d’autres régions du rift, et cela a eu un grand impact sur la biodiversité locale.
Quelles sont les conséquences de la présence d’eau douce dans les régions ouest du bassin pour la faune et la flore ? et pour les homininés ?
Bien que le climat du rift soit aride depuis la mise en place des barrières, nous avons mis en évidence la présence d’eau en abondance qui arrivait dans le rift par des connexions avec des bassins situés à plus de 1 000 mètres d’altitude au Kenya et en Éthiopie.
Depuis 2010, des scientifiques trouvent des fossiles d’espèces aquatiques dans cet espace, ce qui pouvait déconcerter étant donné que les études paléontologiques suggéraient autre chose. Aujourd’hui, nous savons pourquoi ils sont là ! En fait, les lacs de ces régions débordaient et inondaient périodiquement le rift. Durant de longues périodes, on trouvait donc de l’eau en abondance dans cette région, contrairement à ce qu’on avait pu penser !
Des bassins se connectaient entre eux, et par un effet de vases communicants, l’eau finissait par couler au fond du rift. Face à cette abondance, des cours d’eau se sont formés et sont même sortis du rift pour rejoindre l’océan Indien à l’Est, ou même la Méditerranée à l’Ouest. Grâce à ce mouvement, l’eau n’a pas eu le temps de stagner et n’est pas devenue salée.
Avec de l’eau douce, la biodiversité locale a donc pu s’épanouir. L’espace a été colonisé par des espèces qui ne se trouvaient pas là avant : des crocodiles d’eau douce, des poissons, des mollusques d’eau douce… Cela change tout ce que l’on savait sur la chaîne alimentaire disponible pour les populations présentes à l’époque. Ainsi, contrairement à ce que l’on pensait, les hominines vivaient dans un espace qui avait beaucoup de ressources, où ils pouvaient trouver de la nourriture en abondance.
La flore aussi bénéficie de cette eau : des forêts galerie apparaissent dans la zone aride, le long des cours d’eau. Des espèces d’hominines auraient ainsi pu se déplacer en longeant ces cours d’eau, notamment quand il y avait un peu moins d’eau disponible au fond du rift. Quand les cours d’eau de l’Est et ceux de l’Ouest se connectaient au rift, et que des forêts apparaissaient, il n’est vraiment pas impossible que les espèces de l’Est et de l’Ouest s’y soient rencontrés.
Quelle importance a joué la présence d’eau et de ressources pour l’évolution de ces homininés ?
Voilà plus de 30 ans que l’on pense que les ressources ont un impact sur le développement des espèces, et que ces ressources varient en tandem avec celles du climat. En effet, la biodiversité varie en tandem avec le climat. Or dans cette zone, ce que l’on a pu comprendre, c’est que ce n’est pas le climat qui explique la présence d’espèces d’eau douce, mais plutôt les connexions de flux d’eau douce en provenance d’autres régions climatiques.
Le rift va devenir progressivement un nœud de connexions et de rencontre entre espèces, ce qui a pu favoriser la diversité. La découverte de ces cours d’eau prouve que la zone, en tant que lieu de rencontre et riche en ressources, était ainsi un moteur d’évolution, bien plus que l’aridité. C’est l’eau qui a été un vecteur, indépendamment du climat.
Difficile, en revanche, de savoir avec précision quelles ont été les conséquences biologiques sur les espèces de l’époque. On peut tout de même dire que les hominines ne vivaient pas dans un milieu où ils étaient soumis à un stress hydrique, et ainsi qu’ils n’ont pas eu à s’adapter à des conditions dures.
Il y avait beaucoup plus de ressources diversifiées en termes de nourriture, notamment aquatiques, et avaient ainsi accès à plus de ressources carnées et aquatiques, et donc à des protéines. Cela aura peut-être amélioré leurs connexions cérébrales, mais pas de certitude, car nous ne savons pas exactement quelles ressources ont été consommées. Chez des espèces similaires, côté Est, nous avons tout de même la certitude qu’il y a eu des consommations d’animaux aquatiques, comme des poissons et même des tortues d’eau douce, car nous avons retrouvé des traces de découpe.
Suite à ces découvertes, avez-vous identifié une grande différence de modes et de conditions de vie entre les homininés de l’est du rift africain et ceux partis vers l’ouest ?
Finalement, il n’y aurait pas eu de grande différence entre l’Est et l’Ouest, mais la question est difficile, car nous sommes très dépendants des découvertes, surtout à l’Est. Nous avons beaucoup plus de sites archéologiques à l’Ouest, ce qui permet d’avoir davantage de données. Pourquoi retrouvons-nous si peu de sites ? Serait-ce à cause des moins bonnes conditions d’enfouissement ? Pas vraiment.
À l’Est, les hominines ont connu une activité volcanique beaucoup plus intense. En effet, l’activité volcanique s’est déportée à l’Est du bassin autour de – 4 Ma. Là, on a retrouvé énormément d’indices de cette activité volcanique, comme du basalte. Le style volcanique était alors effusif : les coulées de lave pouvaient ainsi se faire sur des kilomètres. Évidemment, les hominines de l’époque cherchaient à éviter les coulées de lave ! Donc, ils migrent. Après – 2 Ma, c’est la fin du volcanisme effusif, il devient explosif : le volcan ne s’étend plus que sur une largeur limitée, même s’il explose de temps à autres. Cela expliquerait la présence majoritaire de sites archéologiques à l’ouest, plus qu’à l’est.
Pour autant, il va falloir « combler » ce manque d’études et se concentrer sur l’analyse de toute la région Est, tout de même prometteuse. Loin d’analyser « le rift » comme un tout, il faut bien distinguer chaque zone dans les recherches. Comprendre leurs différences est capital pour mieux saisir les premiers instants de la lignée humaine.
Source
DANS LE RIFT EST-AFRICAIN, DES HOMININES AURAIENT VÉCU DANS UN MILIEU FERTILE ET NON ARIDE
Communiqué Musée National d’Histoire Naturelle
Référence scientifique
Xavier Boës, Bert Van Bocxlaer, Sandrine Prat, Craig Feibel, Jason Lewis, Vincent Arrighi, Nicholas Taylor, Sonia Harmand 2024 – Aridity, availability of drinking water and freshwater foods, and hominin and archeological sites during the Late Pliocene–Early Pleistocene in the western region of the Turkana Basin (Kenya): A review – Journal of Human Evolution Vol. 186, 103466 – https://doi.org/10.1016/j.jhevol.2023.103466
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