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Chevaux de la grotte du Pech Merle : réalistes et non symboliques ?
Publiant ses travaux dans Proceedings of the National Academy of Sciences, une équipe internationale a passé au crible de l’analyse génétique les ossements fossiles de dizaines de chevaux préhistoriques, établissant que certains d’entre eux étaient de couleur mouchetée : de quoi résoudre, semble-t-il, le débat sur le caractère symbolique ou bien réaliste des chevaux ponctués de la grotte ornée du Pech Merle…
L’étude
Une équipe internationale, dirigée par Arne Ludwig, de l’Institut Leibniz de recherche zoologique de Berlin, en collaboration avec Terry O’Connor, archéologue à l’université d’York (Royaume-Uni), a mené une étude génétique à grande échelle d’os et de dents fossiles de chevaux préhistoriques, s’intéressant particulièrement à la couleur de leur pelage.
Confirmant des travaux antérieurs, les chercheurs ont trouvé une majorité de brun et de noir. Mais – fait nouveau – ils ont également établi que 20 % des spécimens analysés portaient un gène donnant, chez les chevaux actuels, une robe pommelée (blanche tachetée de gris ou de noir). Les auteurs en concluent que les représentations d’animaux sur les parois des grottes, tels les fameux chevaux ponctués du Pech Merle (- 25 000 ans, Lot, France), étaient faites de façon tout à fait réaliste par les artistes du paléolithique.
Un large échantillon
L’étude porte sur 31 chevaux sauvages fossilisés vieux de 35 000 ans au maximum, issus de 15 sites répartis de l’Europe occidentale à la Sibérie. Parmi cet échantillon, sur les 10 équidés venant du sud-ouest de la France ou de la côte cantabrique d’Espagne, 4 portaient le ‘gène-dalmatien’, ce qui suggère que cette couleur était relativement fréquente en Europe de l’ouest. Les 2 autres cas concernent des fossiles trouvés en Ukraine. Les autres chevaux analysés étaient de couleur noire ou marron – tels ceux représentés à Lascaux.
Double enjeu
« Il était d’une importance critique de s’assurer que les représentations de chevaux des peintures rupestres étaient basées sur l’expérience de la vie réelle plutôt que des produits de l’imagination », explique Arne Ludwig, en tant que zoologiste intéressée par le critère de précision de ces œuvres dépeignant la diversité de la faune européenne d’avant le dernier âge glaciaire.
D’autre part, si les chevaux mouchetés existent aujourd’hui, grâce aux sélections opérées par l’élevage (qui date probablement d’il y a quelque 4 500 ans, au Néolithique, quelque part entre Ukraine et Kazakhstan), on ignorait s’il en existait au Paléolithique, le milieu de steppes et de toundra ne nécessitant pas un tel camouflage naturel. De sorte que certains préhistoriens voyaient dans les chevaux du Pech Merle l’émanation d’un symbolisme (rituel ou mystique). Désormais, on sait en tout cas qu’il existait bien des chevaux des 3 couleurs – brun, noir, pommelé – peintes dans les diverses grottes.
Exit le symbolisme, place au dessin naturaliste ?
« Notre recherche supprime la nécessité de chercher une quelconque explication symbolique aux chevaux [ponctués]. Les gens dessinaient ce qu’ils voyaient, et leurs représentations ont le potentiel de nous fournir un aperçu ‘de première main’ de l’environnement physique que les humains rencontraient », conclut Terry O’Connor.
Reste toutefois que les motifs abstraits (points ou traits) ou les empreintes de mains qui figurent hors des portraits d’animaux sur les parois de nombre de grottes ornées, sont difficilement interprétables sans connotation symbolique ou au moins abstraite…
Sources
BBC,
DailyMail
Image : photo P. Cabrol (c) Centre de Préhistoire du Pech Merle
Réactions des préhistoriens en France
Michel Lorblanchet
12/11/11 Je connais les grandes lignes de cette analyse ADN qui à mon avis nous apporte une indication générale intéressante en montrant la diversité des colorations de pelages des chevaux préhistoriques, mais je je partage pas le point de vue des auteurs des analyses en ce qui concerne les chevaux ponctués de Pech-Merle.
J’ai longuement étudié ce panneau pendant plus de 25 ans ; J’en ai fait le relevé détaillé, j’ai efffectué l’analyse des pigments en collaboration avec le physicien Michel Labeau, j’ai effectué des fouilles dans la grotte et au pied du panneau, je l’ai reproduit expérimentalement et c’est sur un de mes échantillons de prélèvement que Me H.Valladas du laboratoire du radiocarbone de Gif-Sur -Yvette a obtenu la datation de 24640 (+-390) BP.
Le panneau des chevaux ponctués comporte au total 263 motifs noirs et rouges dont 2 chevaux, 6 mains négatives, 7 pochoirs de pouces repliés, I poisson, 241 ponctuations, trois tracés rouges, deux signes rouges rectangulaires pleins et une signe quadrangulaire ponctué noir.
Les observations suivantes que j’ai pu faire au cours de mon étude de ces peintures m’ont amené à penser que les chevaux de Pech Merle ne sont pas des « chevaux pommelés » , mais des « chevaux ponctués » c’est -à direr asssociés à 241 ponctuations noires et rouges d’un type de signes commun dans l’art archaïque du Quercy. Les arguments qui contredisent l’interprétation de ces points comme des colorations de pelages sont :
1) 72 points noirs sont situés à l’extérieur des chevaux et ne peuvent donc pas représenter des taches de pelages.
2) Parmi les 169 ponctuations localisées sur le corps des chevaux, (généralement calibrées), 140 sont noires et 29 sont rouges ; les pelages seraient-ils vraiment bicolores ou plutôt tricolores ?
3) L’analyse des superpositions des motifs et de la composition du panneau montrent que les ponctuations ont été effectuées au stade III, après la réalisation des chevaux et des mains qui les entourent. Si ces points représentaient des taches de pelage , ils aurait été plus logique que le peintre remplisse les silhouettes des animaux immédiatement après avoir tracé le contour de ces derniers.
4) Toutes les ponctuations comme les pochoirs de mains et de pouces ont été réalisées par la technique du crachis, c’est à dire du soufflage du pigment avec la bouche comme le font aujourd »hui encore les Aborigènes australiens et comme je l’ai expérimentalement reproduit.
Ces points soufflés calibrés sont courants dans les grottes ornées gravettiennes du Quercy où ils sont isolés ou souvent associés aux images de mains. A Pech-Merle par exemple, nous les retrouvons isolés dont une quarantaine sur la plafond de la galerie du Combel et d’autres formant des signes géométriques quadrangulaires.
5) Les chevaux ponctués de Pech-Merle contituent une composition unique dans l’art pariétal palolithique. Les très rares animaux ponctués ou tachetés que l’on voit à Lascaux ne ressemblent pas aux chevaux de Pech-Merle : un grand taureau finement moucheté … la licorne est aussi tachetée, mais l’analyse de l’ADN des licornes a-t-elle été effectuée ? la vache rouge à tête noire du diverticule axial présente un corps à la pigmentation irrégulière évoquant un pommelage diffus mais c’est le résultat de la technique du crachis lorsqu’elle tente, sans intention figurative, de couvrir une large surface.
6) d’un point de vue général les représentations de pelages des chevaux au Paléolithique se résument à des encolures plus sombres parfois réduites à ce que je nomme des « barres d’encolures », des traits d’épaules et des M ventraux, d’exceptionnelles zébrures sur les pattes (dans la grotte magdalénienne d’Ekaïn). Certains de ces détails internes se retrouvent sur d’autres animaux que des chevaux (un félin et des animaux fantastiques au Combel).
Romain Pigeaud
11/11/11 Les nouvelles analyses génétiques qui nous sont communiquées par cet article sont extrêmement intéressantes. Elles semblent démontrer que la robe des chevaux que les artistes paléolithiques observaient dans la nature, était plus diversifiée qu’on ne le pense généralement : baie (comme le cheval de Przewalski qui, rappelons-le, n’a aucun lien de filiation directe avec le cheval préhistorique européen) ou gris-noire (comme l’actuel cheval de Mérens ou le Tarpan). Il aurait donc pu exister des chevaux à la robe pommelée dès l’époque préhistorique. Cette découverte est importante car jusqu’ici, le caractère pommelé était considéré comme une conséquence de la domestication, ainsi que la crinière tombante (et non plus hérissée).
En soi, ce n’est pas choquant, ni même étonnant. Il existe des représentations de chevaux d’allure pommelée, comme un « poney » de la célèbre frise du diverticule axial de Lascaux (Dordogne), noir avec des taches blanches. Un cheval de la grotte Mayenne-Sciences (Mayenne) a été dessiné sur une paroi altérée dont les enlèvements de matière donnent cet aspect si caractéristique à sa robe. D’autres, qui présentent des traces de coups ou d’impacts nombreux, comme à Montespan (Haute-Garonne), étaient interprétés comme des animaux blessés ; peut-être s’agit-il tout simplement d’une manière de symboliser le pommelage ? Enfin, certains chevaux, comme celui de La Pileta (Andalousie, Espagne), portent sur leur robe des symboles graphiques réguliers qui peuvent, là aussi, remplir la même fonction. A présent que la présence de robes pommelées peut être démontrée dès avant la domestication, cette interprétation est à nouveau recevable.
Vous remarquerez qu’il est un exemple que je ne cite pas : les chevaux du Pech-Merle.
C’est que je trouve qu’il est particulièrement mal choisi par les auteurs de l’article : c’est l’exception qui confirme la règle, en quelque sorte ! Le principal reproche que je leur fais, c’est de na pas avoir approfondi leurs recherches (la bibliographie en témoigne). S’ils s’en étaient donnés la peine, ils auraient pu consulter les articles et les ouvrages que Michel Lorblanchet a consacrés à ce sujet, en particulier son magistral ouvrage, Art pariétal, grottes ornées du Quercy, paru aux éditions du Rouergue en 2010. Michel Lorblanchet a très bien démontré que ces chevaux ne peuvent être qualifiés de pommelés : les ponctuations qui les affligent ne respectent pas les contours de leur corps, mais se répandent sur la paroi, par exemple autour de la tête du cheval de droite. Ils font partie d’un système symbolique très élaboré, composé d’empreintes de mains et de pouces soufflés, d’accumulations d’argiles. Il s’agit d’une composition. Il faut donc continuer à les appeler « chevaux ponctués ».
L’article que nous commentons est issu d’une longue tradition de publications qui, depuis la fin du XIXe siècle, cherche à tout prix à identifier précisément les animaux représentés sur les parois des grottes et les objets mobilier. Ce qui est tout à fait respectable, à condition de ne jamais oublier que nous sommes en face d’œuvres de l’esprit, et non de simples copies. Le naturaliste Bourdelle s’y était essayé en son temps, et avait renoncé : il trouvait presque autant d’espèces de chevaux que de représentations !
L’art préhistorique est naturaliste, c’est entendu. Mais il n’est pas réaliste. Un exemple : les chevaux sauvages portent sur leurs épaules des traits de pelages, que l’on appelle raies cruciales. Ils en ont habituellement un ou deux. A Lascaux et Ekaïn (Pays Basque, Espagne), les artistes en ont figuré plus de cinq, parfois même jusqu’à dix ! La nature est un donné, que nos amis ont traduit dans leur langage graphique. Alors oui, peut-être que le modèle des artistes du Pech-Merle était un cheval pommelé, mais lorsqu’ils ont dessiné et peint la célèbre frise, ils l’ont en quelque sorte transfiguré. Le pommelage est sorti de la bête et a « contaminé » le reste de la paroi. Les chevaux sont devenus ponctués. Pour l’éternité. Et l’ADN n’y pourra jamais rien.
Romain Pigeaud
Spécialiste de l’art paléolithique
Chercheur associé
USM 103 – UMR 7194 du CNRS
Département de Préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle
Institut de Paléontologie Humaine, Paris
Jean Clottes
09/11/11 Cette étude fait beaucoup de bruit médiatique. Elle est la bienvenue et elle est intéressante parce qu’elle prouve que les deux chevaux ponctués de Pech-Merle n’étaient pas imaginaires mais que ces animaux existaient bien dans la nature. Cela ne prouve rien d’autre et surtout pas que les artistes préhistoriques n’avaient pas d’autre but que la reproduction servile de leur environnement. D’ailleurs, les chevaux de Pech-Merle sont partiellement entourés des mêmes ponctuations, en dehors de leur corps, ce qui est incompatible avec une “simple” copie des animaux.
Deux remarques principales s’imposent. La première, c’est que ce résultat ne change rien à ce que l’on sait des qualités d’observation et de reproduction fidèle de la réalité par ces artistes. Depuis plus d’un siècle, le caractère naturaliste de l’art paléolithique est une évidence que nul ne conteste. Par exemple, pour les chevaux, la différence de coloration du pelage entre le ventre et le dos est souvent remarquablement rendue (Ekain, Lascaux, Cosquer, etc.), les sabots sont très détaillés (Niaux), la crinière est hérissée comme chez les chevaux de Przewalski, les attitudes et actions sont indiquées (Lascaux), etc. On pourrait en dire autant de tous les animaux représentés (bisons, aurochs, mammouths et tant d’autres), au point que dans de nombreux cas, on peut préciser l’âge, l’attitude ou la saison. Le naturalisme est inhérent à l’art paléolithique, même s’il existe aussi des animaux beaucoup plus schématiques et certains fantastiques ou irréels.
Deuxième remarque : on ne peut pas se baser sur le plus ou moins grand naturalisme des oeuvres pour en tirer des conclusions sur leur caractère symbolico-religieux ou non. Dans une église, une simple croix de bois aura-t-elle plus de valeur symbolique qu’une reproduction réaliste de la Crucifixion ? L’Islam qui ne représente pas la réalité est-il plus symbolique et religieux que le Christianisme ou le Bouddhisme ? Le Diable, créature composite à cornes, queue animale et pieds fourchus, serait-il plus symbolique que l’Enfant Jésus et sa mère, qui sont naturalistes ?
Les dessins paléolithiques étaient fondés sur ce que les gens voyaient dans la nature et sur l’interprétation qu’ils en faisaient dans le cadre de leurs mythes et de leurs croyances et non pas en vu de rendus photographiques. D’ailleurs, on sait depuis longtemps que la faune représentée était choisie et ne correspondait pas exactement à celle qui se trouvait dans l’environnement. Par exemple, loups et renards sont rarissimes dans l’art, de même que les oiseaux. Les peintres de Niaux représentaient surtout des bisons et mangeaient surtout du bouquetin. On pourrait multiplier les exemples.
Bref, cette découverte présente un intérêt certain mais limité à Pech-Merle et elle ne saurait en aucun cas être extrapolée pour interpréter l’art paléolithique d’une manière exagérément restrictive.
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