Les premières armes
Les premières armes
Assez loin de l’image d’Épinal véhiculée par le cinéma ou la B.D, l’Homme préhistorique ne porte pas perpétuellement sur l’épaule une énorme massue, ni à la ceinture une lourde hache de silex ligaturée à un manche, toutes deux destinées surtout à régler ses conflits de voisinage… Ses armes sont moins massives, plus élaborées et faites pour chasser.
par Frédéric Belnet
Les plus anciennes armes
Sur les sites préhistoriques, les armes – celles identifiées comme telles par les préhistoriens, en tout cas – sont plus rares que les outils lithiques et apparaissent plus tard. Elles sont vraisemblablement destinées, pour l’essentiel, à la chasse. Certains matériaux organiques (bois, tendons d’animaux…) entrant dans leur fabrication se conservent mal, ne laissant aux chercheurs que de rares indices.
Tout récemment, une équipe internationale, s’intéressant à des pierres de moins de 10 cm de longueur, taillées sur les deux bords de façon symétrique et découvertes sur le site de Kathu Pan (Afrique du Sud), en fabrique des répliques qu’elle utilise expérimentalement pour percer la carcasse d’un animal. Les traces laissées par ces impacts sont identiques à celles observées sur les originaux : ces derniers sont donc des pointes de sagaies utilisées pour la chasse. Or, elles proviennent de sédiments très solidement datés à un demi-million d’années : ce sont les plus anciennes pointes d’armes en pierre – et par la même occasion les plus anciennes armes – connues à ce jour.
Mise à jour 2015
Des outils vieux de 3,5 millions d’années
Une équipe de chercheurs a découvert des outils de pierre sur le site archéologique de Lomekwi, au Kénya. Datés de 3,3 millions d’années, cela les positionne comme les plus anciens outils de pierre jamais découverts. Il repousse de 700 000 ans les précédents plus vieux outils utilisés par l’humanité en provenance du site de Gona en Ethiopie (-2,6 millions d’années). C’est également en Ethiopie que l’on avait retrouvé de l’outillage lithique à Hadar et dans la vallée de l’Omo (-2,35 millions d’années).
C’est à proximité du lac Turkana que cette découverte a été faite sur le gisement de Lomekwi 3.
Les premiers outils âgés de 3,5 millions d’années
L’âge du bois
« L’Age de pierre a sans doute été avant tout un âge du bois », dit le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin. Des épieux (armes de contact) tout en bois, à la pointe parfois durcie au feu – et exceptionnellement conservés jusqu’à nos jours – sont également connus pour cette époque, celle du Paléolithique inférieur, et pour le Paléolithique moyen : le fragment d’épieu en bois d’if d’un diamètre de 3,60 cm de Clacton-on-Sea (Angleterre), vieux de 200 à 450 000 ans ; les trois spécimens en sapin de Schöningen (Allemagne), vieux de 3 à 400 000 ans, longs d’1,80 m à 2,25 m, ayant 2,9 à 4,7 cm de diamètre et parfois considérés comme des javelots (armes de jet) ; l’épieu en if (en morceaux) de 2,40 m de Lehringen (Allemagne), fiché dans le corps d’un éléphant il y a quelque 125 000 ans. Toutes ces armes sont l’œuvre d’Homo heidelbergensis ou de son descendant Néandertal.
Vieilles de 65 000 ans, des pointes d’armes (peut-être de flèches) en pierre, récemment mises au jour dans la grotte de Sibudu, en Afrique du Sud, portent des traces de colle résineuse, preuve de leur fixation à des hampes. « La présence de colle implique que ces premiers hommes étaient capables de produire des outils composites « , note le Dr Lombard, de l’Université de Johannesbourg.
De nouveaux matériaux
Au Paléolithique supérieur (à partir de -40 000 ans), Homo sapiens généralise l’emploi des matières dures animales : os longs d’animaux, bois de cervidés (notamment de renne) et ivoire des défenses de mammouth, prélevées le plus souvent sur des carcasses d’animaux trouvés morts.
Dans ces matériaux, les artisans de l’Aurignacien (-40 à -28 000 ans) et du Gravettien (-28 à -22 000 ans) taillent des baguettes, un peu courbes au départ, qu’ils redressent à l’aide de leviers, les fameux bâtons percés, souvent en bois de cervidé (c’est du moins la fonction imaginée par les préhistoriens pour ces curieux objets). Une fois droites, les baguettes sont taillées en pointes de sagaies, avec un bout offensif et l’autre aménagé en biseau ou en fourche pour être fixé sur une hampe de bois de quelque 2 m, qui s’orne souvent d’un empennage. Parfois creusée de rainures où viennent s’insérer de petites lames de silex collées à la résine, la sagaie est une arme de jet efficace.
Toujours plus efficaces
Elle le devient d’avantage encore lancée à l’aide d’un propulseur, un engin inventé au Solutréen (vers -19 000 ans). Il s’agit d’une sorte de bâton muni à un bout d’un crochet (une butée), sur laquelle on cale la hampe d’une sagaie. Le chasseur saisit puis lance l’ensemble, et le propulseur, généralement retenu au poignet par une lanière, prolonge la poussée du bras comme un levier, catapultant le projectile jusqu’à 100 m (avec précision jusqu’à 30 m). Une technique adaptée à la chasse en plaine plus qu’en forêt. Si les archéologues du 19e siècle ne retrouvent que les butées (en os, en bois de renne ou en ivoire) de ces instruments, la comparaison avec celles des propulseurs ‘modernes’ ramenés par les ethnologues permet l’identification. « Certaines têtes de propulseur sont magnifiquement sculptées, comme celle de Bédeilhac (Ariège), ornée d’un faon surmonté d’un oiseau. Le crochet porte pourtant des traces d’usure indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un objet d’apparat », dit le préhistorien Antoine Balzeau.
Des armes pérennes
Les hommes du Magdalénien (-17 à -10 000 et au-delà) s’intéressent aux animaux aquatiques, et inventent le harpon. Toujours en matière dure animale, sa pointe, dont un des bords (parfois les deux) est muni de barbelures qui la maintiennent dans le corps de la proie, est amovible, se détachant de la hampe à laquelle elle est toutefois reliée par un filin, ce qui permet de haler le gibier aquatique (ou terrestre ?) à soi.
Enfin, si l’on écarte les pointes sud-africaines de Sibudu (mentionnées plus haut) et de petites pointes gravettiennes, perçues par certains auteurs comme des pointes de flèches, la technologie de l’arc n’apparaît qu’à la fin du Paléolithique, vers -10 000 ans. En bois, droit et d’une longueur d’1,50 m environ, l’arc est particulièrement adapté à une chasse individuelle en milieu forestier. Au-delà de cette période, avec le Néolithique, apparaîtront agriculture, réserves alimentaires et propriété, avec leur corollaire : la guerre proprement dite… et les armes destinées à cet usage.
Frédéric Belnet,
journaliste scientifique
A voir
Les armes préhistoriques découvertes dans les grottes ou abris sous roches sont réparties dans plusieurs musées de France. On peut citer Le Musée de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac, le Musée d’Archéologie Nationale à Saint Germain-en-Laye, le Musée d’Aquitaine à Bordeaux…
En savoir plus : Musées et sites de Préhistoire.
A faire
D’avril à octobre, le site de Castel Merle, à Sergeac (Périgord), organise des ateliers de tir au propulseur (et autres armes préhistoriques) à proximité des nombreux abris sous roche. L’occasion de tester son habilité en famille, car il existe des épreuves pour les adultes et les enfants…
En savoir plus sur le site de Castel Merle.
A lire
La vie des hommes à la Préhistoire (Editions Ouest-France). Un ouvrage généraliste de Brigitte et Gilles Delluc qui nous présente le quotidien des hommes préhistoriques, fait de chasse, certes, mais aussi de gestes et de besoins simples auxquels on ne pense pas naturellement… Rien n’est inventé et tout est prouvé !
En savoir plus sur le livre La Vie des hommes à la Préhistoire.
Nos premières fois Nicolas Teyssandier Avec « Nos premières fois », le préhistorien Nicolas Teyssandier nous livre un inventaire très particulier, celui des premières fois de l’Humanité, « nos » premières fois culturelles, techniques, matérielles : le premier outil, bien sûr, mais aussi le premier couple, le premier bijou, le premier meurtre, le premier chat, le premier dieu ou encore le premier mot…Ces premières fois qui constituent notre mémoire collective prennent ici la forme d’un grand récit qui s’appuie sur les connaissances le s plus actuelles en préhistoire et en évolution humaine. En savoir plus sur Nos première fois |