Les images sexuelles féminines
Brigitte et Gilles Delluc
Les images sexuelles féminines (6/10)
Les représentations humaines pariétales
Palaeolithic art in Périgord.
Parietal human representations
7.1. Description
Dans les abris aurignaciens des environs des Eyzies en Dordogne, elles ont été vigoureusement gravées sur les parois des lieux où vivaient des Aurignaciens (Fig. 9). Mais ces roches ont été le plus souvent très morcelées sous l’action du gel et il n’en demeure que quelques rares témoignages (La Ferrassie, bloc n° 1 ; le Poisson, grande dalle effondrée). Ils ont été conservés plus souvent sur des blocs rocheux qui faisaient partie de ces habitats (Blanchard, Castanet, Cellier, La Ferrassie, Le Poisson). Ces images vulvaires sont de forme très variables, depuis les plus analytiques jusqu’aux plus maladroites ou schématiques et cela parfois sur un même bloc (Delluc et Delluc, 1978) : ainsi sur le bloc de Cellier, n° 6 (Fig. 9(15)). Parfois, ces tracés peuvent être décrits comme un cercle ou un ovale interrompu par une invagination du trait de contour: Cellier, bloc n° 2 (Fig. 9(13)) ; Laussel, bloc n° 4 (Fig. 9(19)). à plusieurs reprises, ces images apparaissent à plusieurs exemplaires sur une même face rocheuse ou sur des faces contiguës: Blanchard, bloc n° 10 (Fig. 9(4)) ; Castanet, blocs n° 2 et 5 (Fig. 9(5, 6)) ; Cellier, bloc n° 6 (Fig. 9(15)) ; La Ferrassie, blocs n° 2 et 16 (Fig. 9(8, 10)) ; Laussel, blocs n° 1,3 et 4 (Delluc et Delluc, 1978). Elles sont parfois, mais rarement, contiguës à des représentations de phallus : Blanchard, bloc n° 8 (Fig. 9(2)) ; Castanet, bloc n° 3 ; La Ferrassie, bloc n° 3 (Fig. 9(9)). Elles sont tout aussi rarement associées à des représentations animales: Cellier, bloc n° 2 (Fig. 9(13)) ; La Ferrassie, bloc n° 16 (Fig. 9(10)).
Il est très vraisemblable que les gravures de La Cavaille (Couze-et-Saint-Front) remontent au tout début du Paléolithique supérieur (les Châtelperroniens l’ont même fréquentée). C’est une petite grotte couloir dont la décoration est centrée sur une grande image vulvaire atypique et complexe (60 cm de diamètre environ). Ce cercle à peu près complet est échancré par une invagination du trait; le tout est cerné par plusieurs traits de contour (Figs. 10(1) et Il). Ce tracé est assez analogue à ceux observés sur deux blocs des environs des Eyzies: Cellier, bloc n » 2 et Laussel, bloc n° 4 (Fig. 10(13, 19)). Il rappelle aussi les cercles échancrés du Lot (Roucadour et Pech-Merle) et de la vallée de la Dordogne (Cussac et Roc de Vézac). Il occupe l’essentiel de la paroi droite de la grotte. Sur la paroi opposée se déroule un panneau animalier plus classique: il commence par un grand bovin et un grand mammouth et il est centré sur un petit cheval entouré par trois autres petits mammouths très archaïques (Delluc et Delluc, 1991).
Dans les abris et les grottes décorées pendant la période gravettienne en Aquitaine, il demeure assez peu de documents relatifs aux représentations d’images sexuelles féminines. Elles y apparaissent en petit nombre et souvent dans des recoins. La grotte la plus spectaculaire est celle de Cussac. Mais peu d’informations ont été publiées (Aujoulat et al., 2004). Dans la zone la plus spectaculaire de la grotte, prennent place deux séries alignées de représentations de cette nature : d’une part, trois images triangulaires fendues, pubiennes: d’autre part, sept petites images en goutte inversée. Dans une zone plus reculée, figurent deux images dessinant un oméga d’imprimerie (en bas de casse), surchargé par un phallus explicité par le sillon balano-préputial et le méat urétral. Non loin, un autre phallus identique est gravé à côté d’une image en goutte inversée hérissée de fins traits. On peut en rapprocher une demi-douzaine de signes échancrés (en forme de pomme à simple trait de contour), très analogues à ceux de Pech-Merle et de Roucadour (Lot). Ils peuvent être rapprochés aussi des tracés en cercle ou ovale interrompus par une invagination du trait de contour observés sur les blocs aurignaciens de Cellier (bloc n° 2) et de Laussel (bloc n » 4) et sur la paroi droite de la grotte de La Cavaille. à Cussac, ces « pommes» apparaissent dans les grands panneaux d’animaux, mais aussi dans des panneaux isolés, proches des figures féminines.
On peut ajouter que, dans la grotte de Roucadour (Lot), au centre de l’un des panneaux animaliers complexes, à côté de plusieurs signes « en pomme », figure une petite image de vulve triangulaire bien visible. Enfin, à l’abri Pataud (Les Eyzies), dans la couche 2 rapportée au Gravettien final (Delluc et Delluc, 2004), un gros bloc de rocher, effondré non loin de la sépulture d’une jeune femme, a été gravé d’une image de vulve ovalaire, avec un sillon médian fait de trois traits (Fig. 10(2)).
Au Fourneau du Diable (Bourdeilles), un énorme bloc en bordure d’un habitat rapporté au Solutréen supérieur, organisé entre falaise et blocs effondrés, a été sculpté en bas relief de trois bovins et un cheval, complété par quelques autres figures animales gravées ou sculptées moins évidentes (Delluc et Delluc, 1991 : p. 309-314). Une vulve ovalaire, muni d’un sillon médian, est profondément gravée dans un angle du panneau découpé et exposé au musée des Eyzies (Fig. 10(3)).
Les grottes rattachées au Magdalénien ancien sont peu nombreuses. à ce jour, aucune vulve explicite n’y a été relevée. Tout au plus pourrait-on discuter une image trifide gravée sur l’encolure du Cheval aux harpons de l’Abside de Lascaux. En revanche, dans de nombreuses grottes rapportées au Magdalénien moyen et supérieur, des représentations explicites de vulves sont gravées. Elles sont volontiers situées près de diverticules, ainsi que l’avait bien noté André Leroi-Gourhan. C’est vrai aussi dans la grotte magdalénienne voisine de Pergouset (Lot) (Lorblanchet, 2001).
Pendant la période magdalénienne, les vulves interviennent assez souvent en liaison avec les représentations humaines explicites.
Ainsi, dans la zone profonde de la petite grotte de Saint-Cirq, rapportable au Magdalénien moyen, un signe triangulaire vulvaire (Fig. 10(4)) est gravé sur un repli de la paroi en bordure de la coupole centrée sur la représentation masculine ithyphallique, intégrée parmi des animaux plus ou moins réduits à leur tête (bison, bouquetin, cheval) et des bâtonnets. De même, à Sous-GrandLac, à côté de l’homme, est gravée une image vulvaire, mais ici elle est losangique à double contour, évoquant non une image pubienne, mais un aspect périnéal, très inhabituel (Fig. 10(5)).
à Comarque (Delluc et Delluc, 1981), trois vulves plus ou moins triangulaires et fendues, gravées près de creux pariétaux ou de niches, scandent la décoration de la galerie ornée, où sont gravées aussi plusieurs FFS, un profil humain et un autre « bestialisé ». En outre, deux images trifides vulvaires sont gravées de part et d’autre de l’entrée dans la galerie ornée (Fig. 10(6-10)).
Dans la grotte de Fronsac (Delluc et Delluc, 1996), les vulves jouent un rôle plus particulier.
Dans la galerie des Animaux, deux grandes images ovalaires (l’une étant piriforme) (Fig. 10(11, 12)) sont associées à une grande représentation de phallus, autour de laquelle s’organise le panneau. Dans la galerie des Femmes, une grande vulve triangulaire, gravée au-dessus et dans l’axe d’une petite niche naturelle de la paroi (Fig. 10(13)), semble faire le pendant du panneau principal des figures féminines schématiques; dans un recoin, presque inaccessible, de la même galerie, une image trifide (Fig. 10(14)) est associée à un phallus.
La grotte de La Font-Bargeix (Barrière et al., 1990) mérite une mention particulière. Dans la zone d’entrée, sur un panneau isolé non loin de l’homme, est gravée une vulve triangulaire avec un sillon médian fait de plusieurs traits. La partie la plus profonde de la galerie ornée est centrée sur une étonnante frise gravée de neuf images vulvaires triangulaires, le plus souvent fendues, au tracé plus ou moins bien exécuté (Fig. 10(15-23)). Elles sont alignées sur un bandeau pariétal haut d’environ 10 cm (Fig. 12). Entre le personnage humain de l’entrée et cette frise, sont gravés deux signes géométriques d’allure vulvaire (Fig. 10(24, 25)) et un tracé évoquant une figure féminine très simplifiée (Fig. 4(38)). Au-delà de la frise des vulves, des animaux (bison, cheval, cervidés) forment un ensemble voisin mais relativement distinct.
Signalons encore, dans la grotte de La Croix, deux tracés qui peuvent être rapprochées des images sexuelles féminines: une image trifide près du tracé anthropomorphe et un triangle strié d’allure vulvaire en bordure du panneau animalier (Delluc et Delluc, 1987c).
On dispose de peu d’informations sur la grotte de Cazelle (Les Eyzies), où a été identifiée « une vingtaine de représentations sexuelles». « La plupart sont limitées au contour du triangle pubien et du sillon médian. Toutefois, on remarque à trois reprises la présence des membres inférieurs (Fig. 10(26)). [Ces tracés sont groupés] à proximité de l’unique carrefour du sanctuaire ». Au fond de la petite grotte sont gravés « une douzaine de figures animales et de signes» (Aujoulat, 2003)
5.2. Commentaires
La place des figures féminines schématiques est difficile à préciser. Elles sont très nombreuses au Magdalénien. Mais elles apparaissent dès le Gravettien: elles sont alors un peu plus détaillées comme à Cussac ou à Pech-Merle. Elles sont parfois schématisées à l’extrême comme à Commarque, au Magdalénien moyen. Elles connaissent des variations dans la schématisation et dans l’orientation telles qu’il est parfois difficile de les reconnaûtre. Sur les parois des grottes, elles apparaissent parfois associées à des animaux. Le plus souvent, elles sont associées à d’autres FFS ou à d’autres représentations humaines entières ou fragmentaires (par exemple, aux Combarelles, à Fronsac, mais aussi à Saint-Cirq et à La Font-Bargeix). Elles apparaissent le plus souvent à plusieurs exemplaires. En Périgord, l’habitat de la grotte de La Roche à Lalinde est l’exemple le plus célèbre. Dans le domaine souterrain, la galerie des Femmes de la Grotte de Fronsac représente l’exemple le plus spectaculaire: les FFS en commandent toute l’organisation, à l’entrée, au centre, dans les recoins, au fond.
La grotte des Combarelles, à côté des figures humaines plus ou moins complètes et plus ou moins schématisées ou caricaturales, compte une bonne dizaine d’images vulvaires (14 tracés selon Barrière, 1997 : p. 475-477), depuis le triangle à sillon médian jusqu’au tracé en V à trait médian. Un autre panneau, relativement isolé, mérite attention (Barrière, 1997 : p. 426, Fig. 494). C’est celui des deux vulves G123 et G124 (Fig. 10(27, 28)). L’une des images vulvaires plus intéressantes (Fig. 10(29)) est un tracé en écusson à fente médiane gravée (G73 dans la numérotation Barrière). Elle est gravée sur le panneau comprenant les deux figures anthropomorphes, G69 et G70, et deux ou trois FFS (Barrière, 1997 : Fig. 259, p. 270).
7.2. Commentaires
Les images sexuelles féminines, triangles pubiens ou ovales fendus, plus rarement en vue périnéale, nous sont apparues très fréquentes tout au long du Paléolithique supérieur depuis le tout début. Elles sont gravées, parfois sculptées ou peintes soit sur des panneaux animaliers, comme des signes, soit, plus souvent, comme des entités autonomes. Il s’agit bien plus souvent de vulves figurées en vue pubienne (triangle ou ovale fendu ou images apparentées), que d’images périnéales, plus ou moins losangiques, très rares. Les cuisses, rarement représentées, sont alors imaginées respectivement en adduction ou en abduction.
Les plus connues ornent des blocs rocheux issus d’habitats aurignaciens des environs des Eyzies: elles peuvent être traitées de façon analytique ou synthétique et elles apparaissent le plus souvent à plusieurs exemplaires; elles sont parfois gravées sur le même bloc qu’un phallus (à Cellier et à La Ferrassie) ; elles sont rarement associées à des représentations animales, mais cela existe (en particulier à Cellier et à La Ferrassie). Sur les parois des grottes ou dans les abris ornés, les images vulvaires sont rares avant le Magdalénien, mais elles existent dès le début du Paléolithique supérieur. La plus ancienne connue est celle de La Cavaille : la figure est particulièrement spectaculaire (un cercle échancré par une invagination du trait de contour) et elle occupe le centre de l’ensemble pariétal. La décoration de la grotte gravettienne de Cussac en fournit des exemples de plusieurs types, chacun d’eux semblant avoir un rôle très particulier: des triangles pubiens; des images en goutte inversée, en série isolées; dans un recoin, deux images en oméga minuscule associées à des représentations explicites de phallus ; des images en « pomme» éventuellement associées aux panneaux animaliers. Citons encore l’image vulvaire ovalaire gravée sur un rocher près de la sépulture d’une jeune femme dans le gravettien final de l’abri Pataud et celle gravée sur le gros rocher sculpté de bovins et de chevaux en bas relief en bordure de l’habitat solutréen du Fourneau du Diable. Ces images plus ou moins en « pomme» ne vont pas sans rappeler les tracés analogues observés dans les grottes de Pech-Merle et de Roucadour, rattachées au Gravettien.
Les images vulvaires sont assez fréquentes dans les grottes ornées magdaléniennes, mais elles ont été longtemps méconnues et, sauf exception, elles sont peu spectaculaires. Comme l’avait noté A. Leroi-Gourhan, elles sont souvent localisées près de diverticules ou de creux de la paroi: ainsi à Comarque, à Saint-Cirq ou à Fronsac.
Elles sont parfois associées entre elles comme à La Font-Bargeix où une frise de dix vulves triangulaires constitue le centre du sanctuaire. à Fronsac, les sexes féminins scandent toute la décoration: dans la Galerie des Femmes, une vulve triangulaire fait le pendant d’une série de FFS, dans le panneau principal, tandis qu’une autre plus schématique est associée à un phallus dans la partie la plus exiguë du couloir ; dans la galerie des Animaux, deux sexes féminins ovalaires sont associées à un grand phallus au centre du panneau principal.
Aux Combarelles, une vulve triangulaire en écusson est gravée au centre du panneau regroupant un homme, un anthropomorphe et des FFS.
En définitive, les images vulvaires sont souvent multiples. Elles apparaissent souvent comme un thème dominant isolé ou associé à d’autres thèmes humains. Mais elles interviennent aussi, à titre individuel, dans des ensembles animaliers comme à La Cavaille ou au Fourneau du Diable.