Les figures masculines complètes
Brigitte et Gilles Delluc
Les figures masculines complètes (2/10)
Art paléolithique en Périgord.
Palaeolithic art in Périgord.
Parietal human representations
3.1. Description
Certaines figures ont un schéma corporel typiquement masculin, mince, pourvu souvent d’un sexe érigé. D’autres, au contraire, ont un abdomen un peu plus ballonné, mais sans hypertrophie fessière.
Deux de ces hommes datent du début du Magdalénien. Le plus célèbre est celui de la scène de Lascaux : 17 à 18 000 ans BP, en fonction des différentes dates C14 obtenues sur des charbons trouvés dans la couche archéologique et sur un fragment de sagaie issu des déblais du Puits (Leroi-Gourhan et Evin in Leroi-Gourhan et al., 1979 : p. 81–86 ; Aujoulat et al., 1998), correspond au Magdalénien II en fonction de l’étude de l’industrie lithique et osseuse par J. Allain (Allain in Leroi-Gourhan et al., 1979 : p. 87–120). Le second est celui de Villars, rapprochable de Lascaux d’après le style des figures, datation confirmée par une datation C14 obtenue sur une dent brûlée trouvée au pied de la scène de l’homme et du bison : environ 18 000 BP.
A Lascaux, la scène de l’homme et du bison, accompagnée de plusieurs signes (des signes barbelés et trois séries de deux points) est peinte tout au fond d’une galerie étroite, le Puits, en face d’une tête de cheval et à côté d’un rhinocéros. Cette galerie est un diverticule difficile d’accès se branchant sur le grand axe de l’Abside et de la Nef, qui fait suite à la Salle des Taureaux et au Diverticule axial. L’homme (Fig. 1(1)) est une simple silhouette géométrique: son corps, longiligne et raide, ithyphallique, est surmonté d’une tête caricaturale à bec d’oiseau, mais avec deux yeux vus de trois quarts sur l’arête du front. Il écarte ses membres supérieurs étendus, aux mains faites de quatre doigts en éventail. Ses deux membres inférieurs sont terminés par des pieds minces et pointus (Delluc et Delluc, 2008a : p. 283).
Contrairement à Lascaux, Villars est un sanctuaire modeste (Delluc et Delluc, 1974). Mais il est très organisé et riche en signes, parmi lesquels un signe barbelé rouge, des nappes de points noirs, un signe cruciforme, un autre en grille et deux tracés évoquant des figures féminines schématiques (FFS). Ici, la scène de l’homme et du bison (Planche 1(1)) occupe le tréfonds de la Salle des Peintures après une succession de deux ensembles principaux, très loin de l’entrée.
L’homme (Fig. 1(2)) est figuré de profil, les membres inférieurs en triple flexion. Son corps, cambré, est mince et élancé. Sa tête semble pourvue d’une coiffure, retombant en arrière. Il élève ses deux membres supérieurs tendus en avant et son membre inférieur semble terminé par un unique pied massif.
Les figures humaines de Saint-Cirq (Saint-Cirq-du-Bugue) et de Sous-Grand-Lac (Meyrals) sont gravées de profil et regardant à gauche (Delluc et Delluc, 1987a, 1987b). Toutes deux ithyphalliques, elles ont un gabarit très analogue (Fig. 1(3, 4)) : une tête ronde aux traits non caricaturaux ; un tronc aux épaules étroites et aux hanches en flexion ; des membres supérieurs étendus en avant ; des membres inférieurs plus ou moins fléchis. Elles sont rapportables au Magdalénien moyen d’après le style des représentations animales voisines. Ces deux grottes sont des sanctuaires élémentaires composés essentiellement d’un panneau centré sur la figure masculine autour de laquelle gravitent des représentations animales fragmentaires (cheval et bison, complétés par une biche à Sous-Grand-Lac et par un bouquetin à Saint-Cirq) et des signes (dont une image vulvaire ovalaire, périnéale, à Sous-Grand-Lac et triangulaire, pubienne, à Saint-Cirq). Non loin du panneau gravé, se lisent à Saint-Cirq, deux têtes humaines et une figure féminine schématique (FFS). L’homme de Sous-Grand-Lac est strié par des griffades de sauvagine parfois interprétées à tort pour des traits gravés.
Les Combarelles (Les Eyzies), longue cavité magdalénienne complexe, comporte de nombreuses représentations humaines complètes ou incomplètes, réalistes ou simplifiées, participant de près ou de loin aux différents panneaux: 47 sujets pour M. et C. Archambeau, 39 pour C. Barrière. Parmi ces tracés, une silhouette masculine gravée, très connue, rappelle beaucoup les trois précédentes par son attitude (Archambeau et Archambeau, 1991 : p. 66-67, Fig. 21 ; Barrière, 1997 : p. 272, Fig. 262 ; G70 dans la numérotation Barrière) : c’est un humain de profil, penché et regardant vers la gauche, tête ronde, membres supérieurs étendus vers l’avant et vers le haut, sexe pointu érigé, hanches en flexion (Fig. 1(5)). Cependant, son abdomen est curieusement ballonné et ses genoux sont figurés en extension forcée, anormale, mimant des pattes animales. Cet homme est gravé au milieu d’une accumulation de représentations humaines schématiques ou fragmentaires: en avant de lui, sur le même panneau, une figure anthropomorphe, de même gabarit mais moins humaine et non sexuée, et, en arrière de lui, une ou deux figures féminines schématiques et une vulve en écusson. Sur la paroi opposée, est gravé un panneau animalier au milieu duquel apparaût nettement le membre inférieur d’un homme en position assise, directement associé à un cheval: la cuisse, la jambe, la cheville et le coup de pied sont très nets (Archambeau et Archambeau, 1991 : p. 60-61 ; Barrière, 1997 : p. 61 et 266, D73).
La grotte magdalénienne de Gabillou (Sourzac) (Gaussen, 1964 ; Duhard, 1990, 1996 : Fig. 101, p. 205) comporte, à l’extrême fin de la galerie ornée, une silhouette très connue, baptisé « le sorcier de Gabillou» par J. Gaussen. C’est un homme, vu de trois quarts, au tronc mince légèrement penché en avant, les bras tendus en avant, les membres inférieurs en triple flexion. Il est vêtu d’une peau de bison pendant sous les fesses, avec la queue et les deux pattes à sabots bisulques (Fig. 1(6)). Elle fait face à une incontestable figure féminine acéphale (Fig. 2(9)). La galerie ornée est scandée par d’autres tracés considérés comme des humains bestialisés ou schématiques, traités plus loin avec les figures anthropomorphes prêtant à discussion.
Une figure humaine de découverte récente est gravée presque à l’entrée du segment orné terminal de la grotte exiguë de La Font-Bargeix (Champeau-et-Ia-Chapelle-Pommier), en compagnie d’une image vulvaire triangulaire, dans une zone très basse de plafond. La décoration de cette cavité se rapporte très probablement au Magdalénien final, comme le gisement de l’entrée. C’est un humain de profil, tourné vers la gauche (Fig. 1(7)). La tête est bien ronde, mais le nez est fort et retroussé. La bouche paraût ouverte, sans menton. Le bras (ou le sein) semble réduit à un moignon triangulaire. L’abdomen est ballonné. Les hanches sont fléchies et le membre inférieur est court. Il n’est pas sexué. L’absence d’ hypertrophie du massif fessier plaide en faveur d’une figure masculine ramassée sur elle-même. Les proportions du corps sont un peu celles d’un très jeune enfant: la tête est presque aussi grosse que le tronc. Quelques mètres plus loin, la voûte et les parois sont gravées de quelques animaux (bison, cheval, cerfs) et, surtout, d’une frise d’une dizaine de vulves triangulaires (Barrière et al., 1990).
3.2. Commentaires
Toutes ces figures masculines incontestables, complètes et réalistes, occupent une place importante dans l’organisation du sanctuaire.
à Lascaux et à Villars, l’homme est opposé à un bison en un affrontement exceptionnel dans tout l’art paléolithique. Chacune de ces deux scènes forment le centre d’un véritable naos, situé au plus profond d’un sanctuaire complexe, comportant plusieurs salles ornées de panneaux où interviennent les figures animales classiques (chevaux, bovins, cervidés, bouquetins) et des signes. Ces deux sanctuaires, situés l’un et l’autre un peu en marge du Périgord, datent en outre de la même époque : le début du Magdalénien, 17 à 18 000 ans BP.
à Saint-Cirq et à Sous-Grand-Lac, l’homme représenté de profil, ithyphallique, en position semi-fléchie, est le centre du panneau principal complété en périphérie par quelques signes dont une image vulvaire et par quelques représentations animales simplifiées. D’après le style des représentations animales, ces deux petits sanctuaires des environs des Eyzies datent du Magdalénien moyen.
On peut en rapprocher l’homme des Combarelles, rapportable à un Magdalénien peut-être un peu plus tardif. Bien que son abdomen soit plus ballonné que celui des figures précédentes, il ressemble beaucoup aux hommes de Saint-Cirq et de Sous-Grand-Lac. Il est à noter, en outre, qu’il est au centre d’une composition où abondent les figures humaines simplifiées ou schématiques.
De même, l’homme masqué de la grotte du Gabillou, rapporté à un Magdalénien ancien, comme Villars et Lascaux, est lui aussi gravé tout au fond d’un sanctuaire complexe. Son originalité majeure par rapport aux hommes de Lascaux, Villars, Saint-Cirq, Sous-Grand-Lac et des Combarelles est, bien sûr, d’être paré des dépouilles d’un bison. Mais son corps de profil, avec les bras tendus en avant et les membres inférieurs semi-fléchis, est en fait dessiné suivant un schéma très proche de celui de l’homme de Villars. Il est le seul, avec celui de Lascaux, à avoir été dessiné en profil droit (par un gaucher ?).
La figure humaine de La Font Bargeix mérite un commentaire particulier. En effet, il s’agit incontestablement d’un humain. Son gabarit ramassé sur lui-même tient peut-être seulement à sa localisation sur le bord d’une galerie très basse de plafond : le graveur se tenait couché, recroquevillé. En revanche, sa position par rapport au sanctuaire, proprement dit, a certainement une signification. Ce n’est pas une figure de fond: il est gravé à l’entrée de la partie terminale ornée de cette grotte du Magdalénien final, presqu’en face d’une image vulvaire isolée. Le sanctuaire lui-même est centré sur une file de dix images vulvaires, associée à d’autres signes géométriques (pouvant être considérés comme des dérivés de telles images) et à quelques figures animales classiques (bison, cheval, cerfs).
En définitive, ces sept représentations explicites d’hommes, rapportables au Magdalénien, occupent toutes une place importante dans chacune de ces grottes ornées et le sanctuaire semble s’organiser autour de ce point. Leur gestuelle (membres supérieurs étendus, membres inférieurs en flexion, sexe érigé) peut faire discuter soit la représentation de gestes dont la signification s’est perdue, soit le souci de mieux expliciter le schéma corporel d’une silhouette plus rectiligne.
anthropomorphes
têtes