Les figures féminines schématiques
Brigitte et Gilles Delluc
Les figures féminines schématiques (4/10)
Art paléolithique en Périgord.
Palaeolithic art in Périgord.
Parietal human representations
4.1. Description
5.1. Description (Fig. 4(1-38))
André Leroi-Gourhan pensait que les figures féminines schématiques (FFS), de profil, habituellement limitées au tronc, au massif fessier et à la racine des cuisses, correspondaient au Magdalénien moyen (Leroi-Gourhan, 1964: p. 86). D’autres considéraient qu’elles concernaient seulement le Magdalénien supérieur, il y a 10 à 12 000 ans (Delluc et Delluc, 1995). Leur prototype le mieux daté de cette époque est la forme « Gare de Couze-Lalinde» : une femme mince de profil, à l’abdomen plat avec un cou fait de deux traits parallèles, un massif fessier proéminent et une cuisse terminée plus ou moins en pointe. La silhouette est complétée parfois par un sein, des bras, rarement la tête.
En fait, l’idée de représenter la femme de profil, en mettant en vedette son massif fessier, apparait presque en même temps que l’art paléolithique: les plus anciennes figures aujourd’hui connues remontent au Gravettien, il y a environ 25 000 ans.
La grotte gravettienne de Cussac (Le Buisson-de-Cadouin) recèle au moins quatre de ces gravures, dont certaines ne se limitent pas au logo tronc-fesse-cuisse mais présentent quelques détails supplémentaires: tête avec cheveux, seins, bras, abdomen d’allure gravide. Sur un grand panneau, associées avec un ensemble animalier complexe (cheval, bisons, mammouth, mégacéros, canidé), apparaissent deux figures féminines de profil très explicite, à seins pendants, associés à des signes rappelant les signes échancrés. Dans la partie amont de la grotte, deux figures analogues de grande taille occupent des panneaux bien isolés, voisins, et apparaissent comme le centre de l’organisation thématique. Dans cette zone de la cavité, d’autres panneaux sont essentiellement décorés par des représentations de sexes masculins ou féminins plus ou moins schématisés, isolés ou non. Les silhouettes féminines gravées sur le plafond de Pech-Merle (Lot), associées à des signes échancrés et à des mammouths, ressemblent énormément à celles de Cussac.
Certaines de ces figures féminines de profil, assez détaillées, sont donc contemporaines des célèbres vénus gravétienes. Au fil du temps, mais surtout au cours du Magdalénien, cette forme cursive de la représentation de la femme de profil connaîtra de nombreuses expressions plus ou moins géométrisées. à Villars (Magdalénien ancien probable), un tracé, simplifié presque à l’état de claviforme, est peint dans la Rotonde des chevaux (Fig. 4(4)) et un autre (Fig. 4(5)) est isolé dans un recoin, associé seulement à un trait sinueux (Delluc et Delluc, 1974).à Comarque (Magdalénien moyen) (Delluc et Delluc, 1981), un tracé est vigoureusement gravé, bien individualisé dans une niche, associé avec deux traits courts parallèles, le tout sous la gravure d’un grand cheval: il est composé d’un tronc vertical fait de deux traits parallèles et d’un massif fessier proéminent (Fig. 4(7)). Une autre FFS, très oblique, associée à deux courts traits parallèles, est gravée dans un recoin (Fig. 4(8)). Un phénomène de redondance marque la robe du cheval géant tout au fond de la galerie ornée: six images en parenthèses sont alignées, la première de la série étant la plus proche des FFS classiques (Fig. 4(6)). Dans la galerie ornée, ces diverses FFS alternent avec des images vulvaires, mais ne leur sont pas directement associées.
à Saint-Cirq (Magdalénien moyen ?), une FFS (Fig. 4(9)) prend place entre une tête humaine bestialisée et un cheval. Elle apparaît en marge du panneau central centré sur l’homme, où existe aussi une image vulvaire triangulaire (Delluc et Delluc, 1987a).
De l’entrée de la grotte de La Roche à Lalinde, dans un habitat du Magdalénien sans doute supérieur, proviennent cinq blocs ornés de nombreuses FFS devenues les modèles de ce type : tronc mince, massif fessier proéminent, fendu souvent par un trait vertical. Les conditions précaires de leur découverte empêchent de connaître précisément leur position dans l’habitat. Cependant, ils étaient accompagnés d’un bloc rocheux gravé d’un chamois et de quelques objets de matière osseuse décorés d’animaux (bouquetin, chevaux) ou de signes géométriques. Ce qui est remarquable, c’est que les cinq blocs à FFS ne comportent pas de tracés d’un autre type (Delluc et Delluc, 2008b).
A cette catégorie semble correspondre la vingtaine de FFS de la grotte de Fronsac en Dordogne (Magdalénien d’après le style des animaux) (Fig. 4(10-22)). Dans l’étroite galerie des Femmes, juste avant un étranglement du conduit, le panneau principal des gravures est centré par une file de 4 figures féminines schématiques (Fig. 5), bien alignées l’une devant l’autre, entourée par une dizaine d’autres de dimensions et de forme variable (avec parfois la vulve dessinée, mais toujours sans tête, ni bras, ni sein). à mi-chemin de l’étranglement et sur la même paroi, est gravée une FFS solitaire. Tout au fond, l’une des parois de la galerie est marquée par deux FFS emboûtées, d’un tracé très géométrique (Fig. 4(18)) et la paroi opposée par un petit ensemble finement gravé comprenant, d’une part, un cheval et un bison et, d’autre part, une tête humaine et deux mains. Dans la galerie des Animaux, une seule petite FFS atypique (Fig. 4(17)) est associée à un décor fait d’animaux, dominé par un phallus et deux images vulvaires (Delluc et Delluc, 1996).La grotte magdalénienne de Gabillou (Gaussen, 1964 ; Duhard, 1990, 1996 : Fig. 101, p. 205) présente une figure féminine acéphale, en décubitus dorsal, montrant un voire deux seins (Fig. 2(8)). Le contour de sa fesse s’invagine en une petite cavité pelvienne, en goutte (vagin ou anus). Elle est située tout au fond de la galerie ornée, juste en face de l’homme à la tête encornée.
Aux Combarelles, Monique et Claude Archambeau (Archambeau et Archambeau, 1991) ont relevé une douzaine de FFS, toutes plus ou moins penchées en avant et présentant souvent un sein (Fig. 4(23-34)). Un panneau relativement isolé (Barrière, 1997 : p. 58 et 251, G56, 57, 58), un peu avant le panneau des anthropomorphes, FFS et vulve en écusson (Barrière, 1997 : p. 60-61, G69 à G77), comprend deux FFS et une vulve ou trois FFS contiguës avec, chez deux d’entre elles, un trait vertical fendant le massif fessier. Cette dernière interprétation a été mise en évidence par C. et M. Archambeau (Archambeau et Archambeau, 1991 : 70 et 71) et acceptée par C. Barrière (Barrière, 1997 : p. 251). Elle rappelle le schéma observé sur les FFS des blocs de La Roche de Lalinde (Delluc et Delluc, 2008a, 2008b). En outre, la position de ces trois FFS contiguës est assez analogue à celle des FFS de la grotte de Fronsac dans la galerie des Femmes.
Dans ce chapitre, on peut citer encore la grotte de Vielmouly II (Meyrals), dans la vallée de la Beune, non loin de Sous-Grand-Lac. Dans un recoin isolé par un passage surbaissé de la voûte, sont gravés les restes d’un tracé animalier et deux figures féminines schématiques, examinées avec G. Bosinski : tronc étroit de profil et massif fessier proéminent (Fig. 4(35, 36)). Les deux figures féminines occupent une lame de rocher isolée. L’érosion de la roche est telle qu’il est difficile de se faire une idée de l’état d’intégrité des lieux (Delluc et Delluc, 1987b). Dans la grotte de Paulin-Cournazac (Les Eyzies), au décor limité à quelques traits dont un mammouth, « plutôt magdalénien» (Roussot, 1984a), l’étage inférieur très difficile d’accès comporte un tracé simplifié, en parenthèses, sur argile, qui évoque une figure féminine (Fig. 4(37)), au milieu de tracés non figuratifs.
Dans la grotte ornée de La Font-Bargeix (Champeau-la-Chapelle-Pommier), rapportable au Magdalénien VI comme le gisement d’entrée, une possible figure féminine schématique gravée (Fig. 4(38)), est isolée. Sur la paroi opposée, un peu plus loin, est gravée une série de dix petites images vulvaires côte à côte (Barrière et al., 1990).
5.2. Commentaires
La place des figures féminines schématiques est difficile à préciser. Elles sont très nombreuses au Magdalénien. Mais elles apparaissent dès le Gravettien: elles sont alors un peu plus détaillées comme à Cussac ou à Pech-Merle. Elles sont parfois schématisées à l’extrême comme à Commarque, au Magdalénien moyen. Elles connaissent des variations dans la schématisation et dans l’orientation telles qu’il est parfois difficile de les reconnaûtre. Sur les parois des grottes, elles apparaissent parfois associées à des animaux. Le plus souvent, elles sont associées à d’autres FFS ou à d’autres représentations humaines entières ou fragmentaires (par exemple, aux Combarelles, à Fronsac, mais aussi à Saint-Cirq et à La Font-Bargeix). Elles apparaissent le plus souvent à plusieurs exemplaires. En Périgord, l’habitat de la grotte de La Roche à Lalinde est l’exemple le plus célèbre. Dans le domaine souterrain, la galerie des Femmes de la Grotte de Fronsac représente l’exemple le plus spectaculaire: les FFS en commandent toute l’organisation, à l’entrée, au centre, dans les recoins, au fond.