Les figures féminines complètes
Brigitte et Gilles Delluc
Les figures féminines complètes (3/10)
Art paléolithique en Périgord.
Palaeolithic art in Périgord.
Parietal human representations
4.1. Description
Elles sont exceptionnelles dans le monde souterrain, proprement dit. Les plus connues sont des sculptures gravettiennes en bas-relief et elles proviennent d’habitats sous abris rocheux. Elles sont frappées par une obésité gynoïde (de la ceinture pelvienne) et présentent un abdomen gravide et des seins ptosés : ce sont des femmes ayant déjà eu des grossesses et à nouveau enceintes.
Le site majeur est le grand abri de Laussel (Marquay). C’est le plus connu des abris gravettiens des environs des Eyzies. Il a livré trois femmes sculptées en bas relief, vues de face, dites « Vénus» (Fig. 2(1-3)). Les traits du visage sont absents. L’une d’elles, la célèbre « Vénus à la corne », est la plus caractéristique: c’est une multipare, à nouveau enceinte. Ses seins sont ptosés ; son pubis est dépourvu de fente vulvaire. Elle décorait un énorme bloc immeuble en limite d’un habitat gravettien sous abri. Les deux autres Vénus (la Vénus dite de Berlin et la Vénus à la tête quadrillée) ont à peu près le même aspect (Duhard, 1993).
Elles ont été trouvées dans le même habitat, en compagnie d’un bloc sculpté en bas relief d’un humain, dit « le Chasseur» (c’est en fait plutôt une représentation de jeune fille) (Fig. 2(4)), et d’un autre gravé de deux représentations humaines en carte àjouer (probablement une femme en train d’accoucher) (Fig. 2(5)). D’autres objets rapportables à l’Aurignacien ou au Gravettien méritent d’être signalés: des petits blocs à figurations animales (grands herbivores, biche, mammouth à ligne ventrale en arche) ; six blocs vigoureusement gravés d’images vulvaires (dont deux cercles échancrés) et phalliques, plus ou moins schématisées; un bloc, sommairement épannelé et difficile à déchiffrer, décrit comme représentant un humain à tête et phallus dressé. Ces objets ont été découverts au cours de fouilles remontant au début du xx » siècle: il n’est pas possible de mieux préciser la datation de chacun d’eux (Delluc et Delluc, 1991 : p. 175-194).
La fouille de l’habitat du niveau 3 (Gravettien supérieur) de l’abri Pataud (Les Eyzies) par Hallam Movius a fourni un ensemble en définitive assez analogue : une femme enceinte de quelques mois, les seins gonflés et le triangle pubien gravé, est sculptée en bas relief sur un petit bloc (Figs. 2(6) et 3) ; des images ovalaires centrées sur une ligne de cupules, évoquant des images vulvaires schématiques (comparables à une vulve de Laugerie-Haute), sont vigoureusement gravées sur trois gros blocs de rocher ; des représentations animales (cheval, bisons, biche) sont finement gravés sur trois galets. Tous ces objets appartenaient à un habitat bien daté, très organisé entre falaise et blocs effondrés, autour de plusieurs foyers (Delluc et Delluc, 2000, 2004).
Le site de Terme-Pialat (Montferrand-du-Périgord) a livré un bloc gravé d’une silhouette de femme de profil, tournée vers la gauche, pourvue d’une obésité gynoïde au gabarit gravettien classique (Fig. 2(7)). Sur le même bloc, est gravée une autre figure humaine, de face, limitée à la partie supérieure du corps, dont le sexe prête à discussion. Les contours de la tête et des épaules ne sont pas sans analogies avec les figures humaines en carte à jouer de Laussel (Delluc et Delluc, 1978 : p. 377). Pour A. Leroi-Gourhan, c’est une femme vue de face (Leroi-Gourhan, 1971 : p. 84). Mais, le long de son flanc droit, un relief allongé verticalement, a été interprété comme un phallus par le Dr Jean-Pierre Duhard. Ces deux figures constitueraient un couple, représentation quasi unique dans l’art préhistorique. Cette interprétation mérite de demeurer à l’état d’hypothèse, car le tracé du second personnage est assez imprécis. Le bloc a été découvert dans un dépôt de pente du début du Paléolithique supérieur (Aurignacien et Gravettien) et cette trouvaille ne renseigne pas sur l’organisation du site.
La grotte magdalénienne de Gabillou (Gaussen, 1964 ; Duhard, 1990, 1996 : Fig. 101, p. 205) présente une figure féminine acéphale, en décubitus dorsal, montrant un voire deux seins (Fig. 2(8)). Le contour de sa fesse s’invagine en une petite cavité pelvienne, en goutte (vagin ou anus). Elle est située tout au fond de la galerie ornée, juste en face de l’homme à la tête encornée.
Dans la grotte de Comarque (Les Eyzies), occupée au Magdalénien moyen environ 13 000 ans BP, date obtenue grâce à deux datations C14 cohérentes sur des ossements de renne (Delluc et Delluc, 1981), la paroi de la première salle, face à l’entrée, est occupée par la silhouette alanguie d’une femme enceinte (Duhard et al., 1993) : son abdomen gonflé et ses bras sont des reliefs naturels complétés par des traits gravés pour le contour du tronc, pour le sexe et les cuisses, pour les épaules et pour les seins (Fig. 2(9)). C’est une représentation unique dans cette région. Par sa situation et par son aspect, et bien que plus rudimentaire, elle peut être comparée aux deux sculptures de La Magdeleine des Albis (Tarn) qui occupent les deux parois de cet abri. On peut la rapprocher aussi des femmes du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin (Vienne).
4.2. Commentaires
La place des figures féminines complètes est plus difficile à cerner que celle des hommes. La plupart proviennent de sites d’habitats gravettiens. Seules deux représentations proviennent de grottes profondes rapportées au Magdalénien moyen.
Pour la période gravettienne, le site majeur est Laussel, mais la fouille est ancienne et la localisation des objets imprécise. Dans cet habitat, au pied d’une falaise, en dehors des célèbres Vénus (la Vénus à la corne, la Vénus à la tête quadrillée, la Vénus de Berlin), il y avait sans doute aussi d’autres sculptures et gravures humaines entières (le Chasseur, sans doute une adolescente, et la « Carte à jouer », sans doute une parturiente) ou fragmentaires (des images vulvaires et des phallus), et quelques représentations animales. Un autre site des environs des Eyzies, daté du Gravettien, a fourni une autre figure féminine: c’est l’abri Pataud. Il s’agit encore d’un habitat au pied d’une falaise dans lequel on a trouvé tout un ensemble de vestiges: des rochers gravés d’images ovalaires centrées sur une ligne de cupules ; des galets gravés de représentations animales. On ne peut rien dire de Terme Pialat qui a été trouvée dans des éboulis de pente au pied d’un habitat non fouillé.
Il est difficile de dégager une règle des deux représentations de femmes magdaléniennes trouvées en Périgord. Mais leur localisation est remarquable. L’une d’elles est gravée tout au fond de la grotte de Gabillou, en face de l’homme masqué, au terme d’une galerie recelant d’autres figures anthropomorphes plus ou moins convaincantes. L’autre, à Comarque, est gravée dans la première salle juste en face de l’entrée : elle est située juste avant le court diverticule qui donne accès à la galerie ornée proprement dite dont la décoration est scandée par de nombreuses figures humaines fragmentaires ou schématiques (vulves, FFS et têtes humaines).