Les figures anthropomorphes
Brigitte et Gilles Delluc
Les figures anthropomorphes (5/10)
Art paléolithique en Périgord.
Palaeolithic art in Périgord.
Parietal human representations
6.1. Description
D’autres tracés passent pour des humains, mais l’identification humaine de la plupart de ces tracés plus ou moins schématisés ou bestialisés laisse place au doute.
Il convient certainement d’éliminer les deux signes complexes, en éventail, gravés dans l’Abside de Lascaux, décrits par Henri Breuil et André Glory comme des représentations de « sorciers » (Vialou, 1979 : p. 244 et 280). Il s’agirait alors de personnages entièrement dissimulés par leurs « vêtements» et cette identification n’est plus retenue. Ces deux tracés sont situés de part et d’autre de l’ensemble complexe de l’Abside.
La grotte de Gabillou (Gaussen, 1964) comporte cinq représentations humaines ou pseudohumaines. Dans la première partie de la galerie ornée, sur la paroi droite, un tout petit tracé est décrit comme une figure humaine simplifiée, limitée à quelques traits en croix représentant essentiellement les membres et semblant tenir un bâton (considéré comme un caractère masculin) (Gaussen, 1964: p. 41 n » 38 et Planche 7, n » 1). à son contact, sur sa gauche, est gravée une autre figure (Gaussen, 1964 : p. 41, n » 37 et Planche 7, n » 1), beaucoup plus grande, définie comme « pseudo-humaine» et comme « sorcier» par 1. Gaussen, comme « personnage cornu» par A. Leroi-Gourhan et comme «femme acéphale penchée» pour J.-P. Duhard (qui en dissocie la tête et qui interprète, comme représentation du vagin, un tracé en goutte interrompant la fesse) (Fig. 6(1)). Le caractère mal identifiable du corps (animal ou humain ?) et la présence d’une tête d’aurochs au contact quasi immédiat de son cou empêchent même de retenir cette figure parmi les humains incontestables. Pourtant, pour certains, cette figure affrontée à la petite silhouette masculine simplifiée rappellerait le thème homme-bison de Lascaux et de Villars. Dans la partie moyenne de la galerie ornée, est gravé un être hybride, classé également par J. Gaussen dans la catégorie des « sorciers» : tête de boviné aux deux yeux curieusement placés, organe sexuel mi animal mi humain, corps et membres très sommaires (Gaussen, 1964 : Planche 18, n » 109 du plan) (Fig. 6(2)). Pour J.-P. Duhard, c’est un homme (Duhard, 1996 : p. 204). à vrai dire, l’identification reste mal assurée. Un peu plus loin dans la galerie, J.-P. Duhard a relevé une autre figure ambiguë qu’il décrit comme féminine (Fig. 6(3)) : c’est un tracé mi-humain mi-animal, acéphale, dont la fesse est marquée par un petit cercle évoquant un anus ou un vagin, sous la racine d’une queue courte (Duhard, 1996 : p. 204-05, Fig. 101, n » 155b). Enfin, sur la paroi opposée, la célèbre « Femme à l’anorak» (Fig. 6(4)) semble engoncée dans un vêtement. Cet humain est en fait très atypique et de sexe indéterminé.
Dans la grotte des Combarelles, trois figures méritent discussion. Une figure a servi de prototype à A. Leroi-Gourhan pour illustrer les humains à tête « bestialisée » (Leroi-Gourhan, 1971 : p. 392, Fig. 522 et p. 472). Elle est classée comme indéterminée par M. et C. Archambeau (Archambeau et Archambeau, 1991 : p. 6, Fig. 34). à la suite de H. Breuil, C. Barrière (Barrière, 1997: Fig. 420, p. 387), la classe parmi les anthropomorphes, mais considère qu’elle évoque plus un ours qu’autre chose (Barrière, 1997, p. 501, n » D157). En effet, rien ne vient à l’appui de l’identification d’un homme, en dehors du crâne arrondi et de l’œil, et cette figure pourrait plutôt figurer parmi les ours possibles (Fig. 7(1)).
La figure n » G69 (numérotation Barrière) est généralement décrite comme représentant une femme, gravée à proximité immédiate de l’homme précédemment décrit (G70 dans la numérotation Barrière). Selon l’auteur, « malgré des caractères peu humains, l’ensemble paraût bien composer une scène précédant l’accouplement d’un homme qui suit une femme» (Barrière, 1997: p. 501). Le corps de la figure G69 (Fig. 7(2)) n’a pourtant rien de féminin, surtout si on le compare avec celui des innombrables figures féminines identifiées tout au long du Paléolithique supérieur et, tout particulièrement, sur le panneau lui-même, à droite de l’homme. La partie la plus humaine du tracé est la tête ronde, avec son œil et sa bouche. Mais il est difficile d’en tirer argument car c’est justement la partie la plus souvent omise sur les représentations féminines.
La dernière des figures envisagée ici est « l’homme-mammouth» de Henri Breuil (Capitan et al., 1924 : p. 22). M. et C. Archambeau la classent parmi les figurations énigmatiques, étant donné la difficulté de lecture des raccords des traits interprétés comme la trompe ou les défenses de mammouth (Archambeau et Archambeau, 1991 : p. 56-57). Le support étant très détérioré, C. Barrière indique qu’il n’a pas pu retrouver le relevé de Breuil (Barrière, 1997 : p. 500). Cependant, il confirme la forme élancée du corps, l’existence de un, voire de deux bras, la tête arrondie, rejetée en arrière, avec un grand œil oblong (Barrière, 1997: p. 168, n » D20) : «La face rectiligne se prolonge en avant en une certaine continuité directionnelle avec de grands traits recourbés vers le haut, d’où l’idée de trompe et de défenses de mammouth, mais qui pourraient être aussi bien en prolongement du bras droit» (Fig. 7(3)). Lorsque l’on débarrasse le relevé de C. Barrière de ces traits, on obtient, en effet, le profil élancé d’un homme au gabarit classique. En outre, sa position mérite d’être signalée: il est gravé dans la première partie de la galerie ornée, presque isolé, au voisinage d’un triangle pubien.
A Rouffignac, a été relevée, dans la galerie Henri Breuil, une figure gravée, baptisée «anthropomorphe» (Fig. 8(1)). Cette figure a été décrite comme« un quadrupède, mais la croupe est trop grêle pour un félin ou un ours auquel on pourrait penser et la tête est beaucoup plus anthropomorphique qu’animale. On a nettement l’impression, selon l’auteur, d’un homme marchant à quatre pattes» (Barrière, 1982 : p. 147). Cette attribution demeure très conjecturale.
Dans la grotte de La Croix (Condat-sur-Trincou), à 10 km au sud de Villars, après une zone d’entrée marquée par plusieurs signes quadrangulaires quadrillés, la zone profonde est constituée d’un seul panneau gravé: deux chevaux de style magdalénien encadrent une autre figure gravée. Elle peut faire discuter un humain difforme, penché en avant (Fig. 8(2)). Mais le mufle pointu et l’absence de lordose cervicale pourraient plaider aussi en faveur d’un ours. Le membre supérieur est terminé par quatre doigts ou griffes non rétractiles. Une image vulvaire triangulaire se lit en bordure du panneau (Delluc et Delluc, 1987c).
6.2. Commentaires
Les tracés qui passent pour des représentations d’anthropomorphes proviennent essentiellement de Gabillou et des Combarelles. à vrai dire, ces identifications restent le plus souvent approximatives et, dans l’état actuel de nos connaissances, elles n’apportent pas grand-chose à la réflexion sur le sens à leur donner, en dehors du fait qu’elles n’occupent pas la place des figures humaines avérées, quelles soient masculines ou féminines.