Les bases magiques de l’art préhistorique 2/2
Henri Begouen
Revue Scientia, 1939
Après avoir exposé sommairement en quoi consiste l’art préhistorique pariétal : fresques d’ Altamira et de Niaux, gravures des Combarelles et des Trois Frères, sculptures en pierre du Cap Blanc et modelages d’argile du Tuc d’Audoubert et de Montespan, le prof. Begouen recherche quelles ont pu être les raisons d’être et les bases de ces manifestations artistiques. Ont-elles été produites uniquement pour la satisfaction de l’esprit, ainsi que cela a lieu de nos jours et c’est ce qu’on appelle l’art pour l’art ou bien faut-il leur chercher un autre motif et lui donner une base magique, c’est-à-dire utilitaire. C’est cette dernière théorie qu’après Lang, Reinach, Cartailhac et autres savants, M. Begouen développe dans cet article. C’est en somme la thèse de l’envoûtement, basée sur la croyance à l’existence pour chaque être ou objet, d’un double, chose Imprécise et immatérielle, comme l’ombre ou l’image, mais en un don tellement intime avec l’objet. que celui-ci ressent tout ce qui affecte son double. A noter que cette croyance a persisté à travers l’antiquité et le moyen âge, jusqu’à nos jours. Une atmosphère de mystère est nécessaire pour ces actions, d’où le choix dans les grottes obscures, difficiles, profondes, de recoins reculés et de parois en quelque sorte consacrées, où s’emmêlent les dessins parfois d’une manière inextricable. Des flèches, des blessures ou des mutilations soulignent souvent ce que M. Begouen appelle la magie de la chasse ou de la destruction. Mais il est un autre ordre d’idées pour lequel la magie intervient également; c’est pour augmenter le nombre des animaux à chasser, c’est à quoi l’auteur donne le nom de magie de la fécondité ou de la reproduction et il donne de l’une et de l’autre de curieux exemples.
Les bases magiques de l’art préhistorique (Première partie)
Les bases magiques de l’art préhistorique (Deuxième partie)
II
Mais comment l’homme primitif s’est-il rendu compte qu’il pouvait dessiner? La légende grecque d’après laquelle un amoureux aurait entouré d’un trait l’ombre de sa bien-aimée se profilant sur un mur peut bien avoir sa part poétique de vérité.
Pénétrons donc avec notre homme préhistorique dans les couloirs mystérieux d’une caverne. La lampe fumeuse éclaire mal sa marche incertaine autour des blocs éboulés, derrière lesquels il peut s’attendre à voir surgir tout à coup une hyène et surtout le terrible ours des cavernes. Et voici, justement, un bloc de rocher qui en présente la silhouette. Il s’arrête un instant, saisi de crainte, avant qu’un examen plus attentif lui ait permis de se rendre compte de son erreur. Plus loin une arête de pierre a la forme d’un dos de bison. Il sait bien que ce lourd animal des plaines n’a pu pénétrer dans cette grotte, mais qui sait si ce n’est pas son « double » qui, après la mort de quelque vieux mâle ne serait pas venu s’y réfugier? Rassuré, il se complait un instant à examiner de plus près ces formes étranges. Il y manque si peu de choses pour que ce soit une image exacte dont il sera alors le maûtre.
Il lui vient alors l’idée de compléter l’image et d’un coup de silex il délimite le ventre resté imprécis. D’un point, il fait un oeil à une vague tête, qui alors prend vie, ou bien il ajoute une corne qui manque. C’est ce que nous appelons « l’utilisation des formes naturelles ».
L’homme a, ainsi corrigé et complété des jeux de la nature. Nous en avons de très fréquents exemples dans l’art préhistorique. A Niaux, un trou éclairé d’une certaine façon représente une tête de cervidé vue de face; avec deux bois dessinés à droite et à gauche, l’illusion est complétée. Ailleurs des stalactites affectent la forme d’une croupe et des pattes de derrière d’un cheval; on n’a eu qu’à dessiner un dos, une encolure, un avant-train et l’animal complet est représenté.
L’homme a ainsi pris connaissance peu à peu de son pouvoir de réalisation, et après avoir commencé par utiliser des formes naturelles, il est arrivé à créer de toutes pièces ce qu’il voulait représenter. Quelle est la forme d’art qui la première est arrivée à son plein développement, la sculpture ou le dessin? Des auteurs ont prétendu que la sculpture, c’est-à-dire la représentation d’un objet sous ses trois dimensions, étant la plus exacte et la plus près de la nature, devait avoir eu le pas sur la représentation à deux dimensions qui exige une certaine éducation des sens. Piette était de cet avis et donnait à la sculpture l’antériorité dès l’époque aurignacienne.
On a cependant des dessins de cette période, moins parfaits comme technique, il est vrai, que ces statuettes appelées par dérision des Vénus, trouvées à Brassempouy, Willendorf, G imaldi, technique, et, en dernière lieu, Gagarino, sur le Don. Mais il semble bien que ces deux formes d’art se sont développées parallèlement pour arriver à leur apogée à l’époque magdalénienne.
Une constatation qui s’impose lorsqu’on visite une grotte ornée, et qui s’oppose absolument à l’idée que ces dessins et peintures aient été faits dans un but décoratif et pour le plaisir des yeux, est la superposition destructive des dessins les uns sur les autres sur certaines parois. Nous avons déjà signalé la localisation de ces oeuvres d’art dans les recoins mystérieux au fond des grottes. Il convient de remarquer que parfois elles sont accumulées seulement sur certains panneaux qui semblent avoir été en quelque sorte consacrés, alors que des parois voisines sont restées absolument vierges. Sur les premières les animaux s’enchevêtrent les uns sur les autres, parfois en un tel fouillis de traits qu’il est très difficile de retrouver et de séparer leurs contours. Même dans les oeuvres de grande allure, comme les chevaux de Cap Blanc, on a détruit, par exemple, un cheval pour sculpter dans une partie de sa masse, un bison. De même à Isturitz un grand renne a été saccagé, pour y superposer d’autres animaux. Lorsqu’il s’agit de dessins, aux Trois Frères, ces superpositions sont devenues parfois indéchiffrables.
Une seule explication me paraût plausible. C’est que une seule l’exécution du dessin ou de la sculpture importait. La représentation de l’animal était un acte qui valait par lui-même. Une fois que cet acte était accompli, le résultat immédiat et matériel de cet acte, le dessin n’avait plus aucune importance. On s’en désintéressait d’une façon absolue. On attendait seulement le résultat médiat et futur. Lorsque plus tard il était nécessaire de se livrer à une nouvelle opération d’envoûtement, comme ce panneau était considéré sans doute, comme jouissant de vertus particulières, d’un pouvoir spécial, on venait y représenter de nouveaux animaux sans se préoccuper le moins du monde de ce qui avait été fait précédemment.
Dans plusieurs de nos grottes nous avons parfois des animaux qui ont été retouchés. A Altamira, un sanglier a quatre paires de pattes. Aux Trois Frères, un félin a eu la tête refaite trois fois et la queue deux. Si nous nous rapportons à ce qui se passe chez certaines peuplades sauvages, l’explication est la suivante: il faut pour chaque acte d’envoûtement une figuration nouvelle. On ne peut se servir d’un passe-partout, si l’on peut dire. Il faut qu’au moins une particularité importante différencie nettement ce simulacre et lui donne une personnalité nouvelle. Si par suite de la loi du moindre effort, qui, étant humaine, a dû exister déjà dans ces temps lointains, l’artiste hésitait à refaire en entier une gravure aussi importante que ce félin, il s’est contenté de refaire et de changer sa tête et sa queue. Et ainsi il pensait avoir déjà sur lui un commencement d’empire et de pouvoir. Mais des particularités relevées sur certaines figurations animales, surtout dans les grottes pyrénéennes, nous permettent de pousser plus loin nos hypothèses, et j’estime que nous y trouvons la preuve irréfutable de l’idée magique.
A Niaux, au Tue d’Audoubert, aux Trois Frères et dans d’autres grottes, sur la presque totalité des dessins et peintures nous voyons des flèches dessinées sur les flancs des animaux, ou bien des taches semblant indiquer des blessures. Parfois aussi ce signe mystérieux appelé « claviforme », de « clava » massue, les domine. A Montespan un grossier modelage de félin est appuyé contre la paroi.
Une partie de la masse d’argile est éboulée, mais l’avant-train persiste, sur le poitrail et à l’épaule se voient toute une série de trous, en partie recouverts par de la stalagmite, qui garantit leur ancienneté. On sait qu’un crâne de jeune ours des cavernes a été trouvé entre les pattes du modelage d’un ourson sans tête et qu’à la section du cou Breuil et moi avons relevé la trace de la cheville de bois à laquelle avait été suspendue la tête de l’animal. La croupe du modelage semble avoir été frottée par quelque chose d’à la fois souple et solide comme la peau d’un ours. Toute la statue est lardée de coups. Félin et ourson ont dû servir à des cérémonies d’envoûtement, et ces modelages n’ont été faits que dans ce but.
Une question vient naturellement à l’esprit, à laquelle il convient de répondre. Quel était l’auteur de tous ces dessins, et quel rôle jouait-il dans la tribu ? Avec notre théorie de l’art magique la réponse à ces deux questions est toute simple. L’artiste devait être le sorcier de la tribu, et comme tel il jouissait d’une influence prépondérante. Certains dessins de la caverne des Trois Frères nous permettent de nous l’imaginer. Le plus célèbre est une figuration humaine fort étrange, gravée et peinte, à 3 m. 50 au-dessus du sol, sur une paroi, où il domine toute la salle, dont les murs sont couverts de dessins. Fortement incliné en avant, les bras ballants, il semble danser. Il est masqué. Il porte une longue barbe sans doute postiche, car elle est très soignée et lisse comme une queue de cheval. Il a des yeux ronds, des oreilles de loup ou de renard et une ramure de cerf sur la tête. Les bras semblent enfermés dans des pattes d’ours ou de lion, une queue de cheval dont le bout se termine en houppette, est fichée au bas de son dos. Deux autres dessins plus petits nous montrent des hommes ayant également sur la tête des massacres de bisons dont la peau leur couvre le dos. Ce travestissement rappelle à s’y méprendre celui des sorciers ou shamans du nord de l’Amérique et de la Sibérie. On sait que ceux-ci revêtent les attributs caractéristiques de certains animaux, dont ils estiment ainsi prendre la puissance et les différentes qualités: prudence du renard, force de l’ours, rapidité du cerf, etc.
L’influence de ce sorcier devait être plus grande que celle du chef. Or sa principale qualité devait être, nous le voyons, d’être un bon artiste; et cela nous amène à cette constatation que d’aucuns trouveront paradoxale: à cette époque où l’on est tenté de croire que la force primait tout, c’était un artiste, donc un intellectuel, qui était celui auquel les chefs mêmes obéissaient.
Maintenant que nous connaissons l’artiste sorcier, revenons à l’ourson de la caverne de Montespan. Il nous est facile de reconstituer ce qui a dû se dérouler. A la veille de la chasse décidée pour se débarrasser de quelques ours, devenu un danger public pour la tribu, le sorcier en a réuni les chasseurs et est venu avec eux au fond de cette grotte mystérieuse qui est son antre. Sur cette espèce de mannequin de terre, il a étendu la peau d’un autre ours et en a fixé la tête par une cheville sur le cou. Après des danses et des incantations dont les descriptions de Catlin, à propos des cérémonies des Peaux-rouges partant pour la chasse aux bisons peuvent nous donner un aperçu, les chasseurs ont lardé l’animal de coups de sagaie, comme faisaient d’ailleurs les chasseurs de kangourous ou les Pygmées de Frobenius, dont j’ai raconté l’histoire plus haut. Il dut en être de même pour le félin de cette même grotte de Montespan. Mais je pense qu’il devait y avoir des cérémonies plus intimes ; si l’ampleur des galeries de la difficile grotte de Montespan, permet de supposer la présence d’un certain nombre de personnes, l’étroitesse des galeries d’autres grottes s’y oppose absolument. Le sorcier devait alors opérer seul ou presque. Il dessinait l’animal, bison, renne ou cheval dont la chasse était en vue, et sans doute avec des incantations et objurgations appropriées, il lui dessinait sur le flanc ou l’épaule le trait qui devait le tuer. Certains nous montrent même que le choix de l’emplacement du dessin était parfois déterminé par des circonstances exceptionnelles. Au Tue d’Audoubert un très bel avant-train de bison est gravé avec soin. Au défaut de l’épaule trois longues flèches sont dessinées; elles aboutissent à des trous naturels de la roche qui simulent des blessures, et qui ont conditionné l’établissement du dessin. A Niaux, sur l’argile même, un bison a été dessiné au doigt, à côté de trois petits trous creusés par des gouttes d’eau ayant suinté jadis de la voûte et y ayant formé de petites cupules de stalagmite.
Dans un certain nombre de grottes on a trouvé des signes ayant en quelque sorte la forme d’une hutte, et qu’on a appelés pour cela « tectiforme ». Pour moi, j’estime que ce sont des pièges. A Font-de-Gaume un mammouth semble piétiner un de ces tectiformes dont le pilier central est brisé, ce qui ne s’explique bien que par la chute de cet animal dans une fosse, seul moyen de chasse qu’on peut supposer pour un animal d’une pareille puissance, en présence des pauvres armes de pierre et d’os de l’homme de cette époque. A Montespan, on ne peut interpréter que par une chasse de chevaux poussée par des rabatteurs à coups de pierres et de traits dans une palissade aboutissant à un piège, un dessin assez grossier sur une paroi d’argile où on voit des chevaux derrière une série de traits verticaux. A Niaux se trouve un dessin analogue.
On a remarqué que parfois dans certains dessins, la tête n’était pas faite, d’autres fois les yeux, les oreilles ou les cornes n’étaient pas dessinés. Un papyrus égyptien nous donne, par analogie, l’explication de ces omissions volontaires. C’est un traité d’envoûtement. Il indique comment on peut rendre inoffensif un animal dangereux. On le dessine en supprimant la partie dangereuse de son corps, par exemple pour le serpent, sa tête, pour le scorpion, sa queue. Quel était le premier danger pour un magdalénien partant pour la chasse ? C’est que le gibier ne s’aperçoive de son approche en l’entendant ou en le voyant venir. Qu’un pouvoir magique supprime l’ouïe ou la vue de l’animal chassé et l’homme pourra s’approcher de lui à une distance utile, c’est pourquoi dans ces dessins de la grotte, l’artiste aura supprimé oreilles et yeux de l’animal chassé. Il lui aura enlevé ses premières défenses.
Je n’ai pas besoin de tirer la conclusion de tous ces faits. De vous-mêmes, je le pense, vous aurez dit: tout cela c’est de la magie de la chasse, et vous aurez eu raison. C’est ce que j’appelle la magie de la destruction.
Mais l’homme des cavernes n’était pas le sauvage à peine dégrossi que l’on se plaût souvent à supposer. Quand on cherche à étudier son genre de vie, qu’on se rend compte des difficultés de son existence et de la façon dont il a eu les surmonter, on se fait de lui une toute autre idée bien plus favorable.. Cet homme raisonnait et nul doute qu’il ne se soit dit: « C’est bien de tuer le gibier, mais pour le tuer il faut qu’il y en ait en abondance. Pourquoi donc ne favoriserions-nous pas sa reproduction par des cérémonies magiques, comme nous facilitions sa mort sous nos coups par nos incantations ? « Je suis persuadé que ce raisonnement a été tenu et ce projet mis à exécution, car cette même mentalité nous la retrouvons chez les peuples primitifs actuels, en particulier chez les Australiens. Spencer et Gillen nous en citent un certain nombre d’exemples fort curieux. Une des bases principales de la nourriture de ces peuples est l’émeu, grand oiseau coureur du genre du nandou, qui vit dans les grandes prairies. Dans l’espoir de favoriser la propagation de l’espèce, les naturels du pays se livrent au printemps, à l’époque de la pariade, à une cérémonie magique appelée « ititchieuma ». On dessine sur le sol l’image de l’oiseau, on l’entoure de caillou ronds qui sont censés représenter ses oeufs, et toute la tribu, en costume de fête, c’est-à-dire le corps nu mais couvert de peinture, entoure ce simulacre. On ne le perce pas de coups de sagaie, comme nous l’avons vu faire lorsqu’il s’agit de la magie de destruction, mais au contraire on semble l’entourer de sollicitude, et par des chants louangeurs et des danses, on veut obliger l’esprit émeu à être fécond.
Nous avons tout lieu de croire que des cérémonies semblables ont eu lieu aux temps préhistoriques. Sans doute l’écho des chants n’est pas venu jusqu’à nous. Mais le sol a conservé quelques empreintes que, sans trop de témérité, nous pouvons considérer comme nous transmettant le souvenir de quelques danses rituelles.
Si étrange que cela puisse paraûtre à première vue, la conservation après tant de millénaires de ces empreintes de pieds humains que nous avons relevées dans la galerie supérieure du Tuc d’Audoubert, leur authenticité et leur ancienneté ne peuvent être mises en doute. Cette partie de la grotte était fermée par d’épaisses colonnes de stalagmite, et nous avons dû briser ces piliers pour pénétrer dans cette partie de la grotte, qui était en quelque sorte mise sous scellés de calcaire depuis des siècles et des siècles. L’argile du sol était tellement fine que les pieds nus des hommes s’y sont imprimés avec tant de netteté qu’on peut parfois à la loupe reconnaûtre les papilles de la peau, et enfin avec le temps une légère couche de stalagmite s’est formée sur l’argile comme pour la protéger et en garantir l’ancienneté. Je n’ai pas besoin de dire avec quel soin jaloux nous conservons ces précieuses reliques, et on concevra avec quelle émotion nous les avons vues dès le premier jour de la découverte de la grotte. On rappelle souvent Mariette relevant des traces de pas sur la poussière du Sérapoeum. Combien plus anciennes sont celles que nous avons relevées dans une salle basse du Tuc d’Audoubert, près du groupe des bisons d’argile. Une mince couche, une pellicule de stalagmite a recouvert une série d’empreintes de talons fortement imprimés dans le sol. Il n’y a absolument que des talons, dont l’inclinaison indique une manière de marcher peu usuelle et peu commode. Il y a donc là quelque chose de voulu, et comme ces traces de talons jalonnent nettement cinq pistes différentes, il y a tout lieu de penser que cette marche était dirigée, commandée, indiquant une sorte de danse rituelle. Or ces talons sont ceux de jeunes gens de treize à quatorze ans, au moment de la puberté, et cinq boudins d’argile de forme phallique, déposés dans un coin, éveillent l’idée de ces cérémonies d’initiation si fréquentes chez les primitifs. Tout à côté se dresse le groupe des bisons d’argile, le mâle et la femelle. Ils sont intacts. Leurs corps ne sont pas lardés de coups comme les modelages de Montèspan, mais leur ensemble évoque l’idée de fécondation. D’autres œuvres d’art sont même parfois d’un réalisme plus grand, comme un groupe de la frise du Roc représentant nettement une saillie. Mais nombreuses sont les figurations de deux animaux, mâle et femelle, côte à côte ou se suivant, et cela est d’autant plus remarquable qu’il est bien rare que l’artiste préhistorique ait associé des animaux de façon à former une scène. On ne trouve d’exception que s’il s’agit de jeunes placés sur le corps de femelles. A-t-on voulu figurer le petit suivant sa mère ou bien le petit encore dans le ventre de sa mère? Je préfère cette dernière hypothèse, en faisant remarquer qu’un grand nombre de figurations chevalines ont un très gros ventre et représentent sans conteste des juments pleines.
Ne faut-il pas faire remonter à l’espèce humaine et à l’époque aurignacienne cette idée de magie de la fécondité? Les nombreuses statuettes de cette période le feraient supposer. Généralement, plus de neuf fois sur dix, ce sont des femmes. Quoique, par dérision, on leur ait donné le nom de Vénus, elles sont horribles, obèses, stéatomères, parfois stéatopyges, avec de gros seins pendants comme des outres, des ventres énormes. Les dernières trouvées à Gagarino, en Russie, sont nettement des femmes enceintes. D’autres détails indiquent qu’on a surtout voulu représenter dans la femme son rôle de reproductrice et de mère.
Dans ce qui précède, je ne me suis occupé que de l’art rupestre, laissant résolument de côté l’art pourtant si abondant et si remarquable qui s’est exercé sur les objets mobiliers: propulseurs, bâtons troués, amulettes, gravures sur os et sur pierre. Là aussi l’intention magique se retrouve, mais il faut avouer qu’elle s’y manifeste d’une façon moins sensible. Sans doute fréquents sont les animaux percés de flèches, les mâles suivant les femelles, mais le goût de la décoration y prend parfois une importance qu’on ne saurait nier. Le problème est donc beaucoup plus complexe.
Toulouse, Université.
H. Begouen