Les représentations humaines pariétales – Conclusion
Brigitte et Gilles Delluc
Conclusion (10/10)
Les représentations humaines pariétales
Palaeolithic art in Périgord.
Parietal human representations
11 Description
En Périgord, les figures humaines pariétales bien déterminables, entières ou fragmentaires, sont bien plus nombreuses qu’on ne l’imagine habituellement (plus d’une centaine). Les représentations féminines sont 6 fois plus nombreuses que les masculines (96 contre 16).
Les représentations d’hommes incontestables répondent souvent à un même gabarit: de profil, tourné vers la gauche le plus souvent (comme si elles avaient été dessinées par des droitiers), en procubitus, sans hypertrophie de la ceinture pelvienne, avec extension des membres supérieurs et triple flexion des membres inférieurs. Le sexe est souvent figuré, tendu en avant, terminé par le gland mais dépourvu du scrotum.
Dans chaque site concerné, ces figures sont toujours dessinées à un unique exemplaire et occupe une place remarquable dans des panneaux complexes. C’est classiquement une figure de fond, comme dans les grottes de Lascaux, Villars et Gabillou (Magdalénien ancien), ainsi que l’avait déjà noté André Leroi-Gourhan. Mais la figure masculine siège aussi au centre du décor, dans les grottes de Saint-Cirq, Sous-Grand-Lac et des Combarelles (Magdalénien moyen ou supérieur).
Il en va de même pour les représentations de phallus, au sillon balano-préputial vigoureusement gravé, sans représentation du scrotum. à Bara-Bahau, un phallus domine même la composition pyramidale. Dans la galerie des Animaux de Fronsac, un grand phallus et deux vulves commandent toute la composition. Dans la galerie des Femmes de la même grotte, figure un seul phallus associé à une image vulvaire, dans l’endroit le plus difficile d’accès du conduit.
La majorité des femmes réalistes provient des abris gravettiens anciennement fouillés. Elles répondent toutes au même schéma: des femmes multipares à nouveau enceintes, mais on ne connaût pas le rôle de ces sculptures dans l’organisation de ces sites anciennement fouillés. Les femmes réalistes identifiables des grottes se réduisent à deux exemplaires. Bien que moins détaillées, elles paraissent présenter les mêmes caractères anatomiques. Leur position dans la caverne mérite d’être signalée: celle de Gabillou est gravée tout au fond de la galerie en compagnie d’un homme revêtu d’une dépouille de bison (le « Sorcier») ; celle de Comarque est figurée, pratiquement seule, dans l’entrée du sanctuaire.
Les femmes apparaissent beaucoup plus souvent sous forme schématisée, de profil, caractérisées par une hypertrophie du massif fessier, le plus souvent sans détails périphériques: les figures féminines schématiques (FFS). Outre les figures féminines de la Roche de Lalinde et de la Gare de Couze (une bonne vingtaine sur blocs rocheux mobiles), on dénombre une quarantaine de ces logos sur les parois des grottes du Périgord, à toutes les périodes du Paléolithique supérieur et à tous les stades de la simplification, sans corrélation entre la schématisation et la chronologie.
Contrairement à ce que pensait A. Leroi-Gourhan, cette forme de représentation cursive de la femme n’est pas réservée au Magdalénien, mais elle apparaût dès le Gravettien. à Cussac, plusieurs FFS avec tête, seins ptosés et abdomen gravide, comme à Pech-Merle (Lot), occupent une place centrale dans deux parties privilégiées de la grotte. Plus tard, dans la grotte magdalénienne de Fronsac, les FFS forment le thème principal de la galerie des Femmes, au centre, dans les recoins et dans le fond de ce conduit.
Les figures considérées comme anthropomorphes ne concernent que les grottes de Gabillou et des Combarelles. Le caractère non assuré de leur détermination et la difficulté de les comparer avec les représentations humaines identifiables ne permettent pas de les faire entrer dans les présentes pages.
Les images sexuelles féminines sont nombreuses sur les blocs de rocher issus des abrishabitats aurignaciens des environs des Eyzies (une trentaine) et des grottes ornées à toutes les époques du Paléolithique supérieur (au moins autant). Elles sont très rarement figurées en vue périnéale, losangique, comme à Sous-Grand-Lac. Elles sont bien plus souvent dessinées en simple vue pubienne, triangulaires ou ovalaires. Certaines d’entre elles affectent la forme d’un cercle échancré, analogue aux images gravettiennes observées à Pech-Merle ou à Roucadour (Lot) : par exemple à Cussac, à La Cavaille et à Laussel. Comme l’avait remarqué A. LeroiGourhan, elles sont parfois localisées près de creux dans la paroi, comme à Comarque. Elles sont souvent associées à d’autres types de représentations humaines, comme à Saint-Cirq, SousGrand-Lac ou Les Combarelles. Elles forment parfois le thème dominant du sanctuaire, comme à La Font-Bargeix ou, semble-t-il, à Cazelle. Deux images en ID (oméga), surchargées par un phallus reconnaissable à son extrémité balanique, sont gravées sur le sol d’un recoin de la grotte de Cussac et semblent correspondre à une image symbolique de coït, acte physiologique dont on connaût le caractère exceptionnel dans l’art paléolithique.
Une quinzaine de têtes humaines, le plus souvent caricaturales ou schématiques, ont été relevées, sans tenir compte des aspects non identifiables avec certitude. Certaines ont un massif facial projeté en avant, leur donnant un aspect « bestialisé », selon le mot de A. Leroi-Gourhan, comme à Saint-Cirq. Certaines autres, décrites comme telles sont plus probablement des animaux (ours ?) que des humains (Comarque et les Combarelles). D’autres sont réduites à des masques, comme à Bernifal. D’autres enfin semblent avoir été délibérément dessinées pour surprendre voire pour faire sourire, comme à Gabillou (le « Lucifer») ou à Rouffignac (nez en trompette de l’une et aspect patelin d’une autre). Elles sont le plus souvent localisées dans des recoins, parfois d’accès scabreux comme à Bernifal, mais participent parfois à la composition des panneaux centraux, comme à Saint-Cirq.
En Périgord, on compte très peu de mains négatives: rien de comparable à ce que l’on observe dans les Pyrénées ou dans le Lot voisin, en dehors de la grotte du Roc de Vézac, avec ses deux mains (une rouge et une noire), associées à des signes échancrés. Les mains gravées sont aussi très peu nombreuses (Bernifal et Fronsac). On peut noter cependant que leur localisation n’est pas indifférente: une paire de mains gravées marque l’entrée dans Bernifal (en face de deux mains négatives noires) et une autre le fond de Fronsac.
Enfin, l’étude des figures humaines permet peut-être de se faire une idée de l’identité des artistes. La prédominance des figures féminines pourrait indiquer qu’il s’agit d’hommes. Cette observation va bien dans le sens des neurosciences et de la division sexuelle du travail, observée dans tous les peuples dits primitifs et commandée par les hormones, les phéromones, les neurotransmetteurs, les neuropeptides … : les femmes passent leur journée à s’occuper des enfants, de la maison et de la cueillette, les hommes vont à la chasse quelques heures par jour. Ils disposent de temps libre pour décorer les sanctuaires souterrains, animés de motivations que l’on ignore. Chasseurs, ils connaissent en outre parfaitement l’anatomie et l’éthologie des animaux. La place centrale donnée à quelques représentations d’hommes incontestables irait bien dans le même sens que cette abondance de figures féminines schématiques ou réduites à leur vulve.