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Les tectiformes
Parmi les différents signes de l’art pariétal préhistorique, le tectiforme a une place un peu à part. C’est une figure assez travaillée, construite graphiquement, qui provoque immédiatement chez le « lecteur » un besoin de comprendre et de comparer. Les traits qui constituent le tectiforme, droits ou courbes, évoquent toujours une structure géométrique complexe. On recherche alors une analogie et l’on retombe assez rapidement sur des formes connues.
C’est en 1902 que les premiers tectiformes gravés sont identifiés dans la grotte des Combarelles par Henri Breuil et Louis Capitan. La forme générale évoquant « la charpente d’un toit de maison ou une hutte », les préhistoriens les nomment tectiformes (en forme de toit). En 1903, les mêmes découvrent avec Denis Peyronydes signes semblables, mais cette fois-ci, dans la grotte de Bernifal, ils sont peints ou gravés à côté, ou sur, des représentations d’animaux.
Définition et structure du tectiforme
Ethymologiquement le tectiforme est un signe en forme de toit ou de toiture. Pour certains chercheurs d’autres signes géométriques sont parfois englobés dans le terme tectiformes, mais sans avoir une forme de toit. Ces figures « associées » sont les quadrangulaires, les pectiformes, les penniformes, les scalariformes, les scutiformes… (Ces formes dérivées ne seront pas décrites dans cet article).
D’un tectiforme à l’autre on peut retrouver des caractéristiques de base communes. Le tectiforme a toujours un mat (pilier) central au centre du signe. A sa base, un sol perpendiculaire, et à son sommet des lignes obliques d’un « toit » qui descendent à droite et à gauche de la figure. Ensuite, chaque tectiforme peut présenter des compléments sous forme de tracés verticaux ou obliques qui remplissent ou délimitent la structure.
Où trouve-t-on des tectiformes ?
Le motif des tectiformes se retrouve uniquement dans l‘art pariétal et est totalement absent des supports mobiles. Le signe est donc forcément associé à une cavité rocheuse. Il est présent dans seulement 4 grottes en France et plus particulièrement dans un rayon de 8 kilomètres autour des Eyzies-de-Tayac (Périgord) : les Combarelles, Font-de-Gaume, Bernifal, et Rouffignac.
Des figures tectiformes ont été décrites à Bara-Bahau, La Mouthe, El Castillo, Pasiega ou Kapova, mais la structure est finalement trop différente des tectiformes originaux des 4 grottes de la région des Eyzies. A propos des signes retrouvés au Portel, La Pasiega, Enlène.. .André Leroi-Gourhan indique (L’art parietal : le langage de la préhistoire) « …Ils ont souvent été qualifiés de « tectiformes, terme hautement qualificatif qu’il vaudrait mieux réserver aux vrais tectiformes du groupe des Eyzies … ».
On s’étonne cependant de ne retrouver aucun de ces signes sur des objets d’art mobilier qui auraient pu être réalisés au sein des groupes humains qui ont peint ou gravé les parois des grottes. Cela ne fait qu’ajouter un peu plus de « mystère » à ces signes dont on ignore encore le sens profond.
Techniques utilisées pour les tectiformes
Les tectiformes n’ont pas fait l’objet d’une technique particulière pour s’afficher sur les parois. Chaque tectifome de chaque grotte a ses particularités.
Dans la grotte des Combarelles I (figures 1 à 3), comme pour le reste de la cavité, c’est la gravure qui a été utilisée pour 2 des 3 tectiformes recensés. Un dernier tectiforme peint en rouge a été découvert par Claude Barrière.
A Font-de-Gaume (figures 4 à 15) les tectiformes sont peints avec des pigments rouges (oxyde de fer) et fortement associés aux figures de mammouths puisque le signe est peint sur l’animal !
La caverne de Font-de-Gaume nous fournira un dernier exemple: le thème du mammouth et du tectiforme, que nous retrouvons trois fois sur la même paroi. On a d’abord trois petits mammouths gravés et trois tectiformes rouges joliment alignés; un peu plus loin, un tectiforme est peint sur un mammouth gravé, et à quelques mètres de là, deux mammouths paraissent encore se diriger vers deux tectiformes. Il est d’autant plus improbable qu’un tel leitmotiv soit le fruit du hasard qu’on rencontre à nouveau dans la grotte voisine de Bernifal une série de tectiformes gravés sur des mammouths. Georges Sauvet, ESSAI DE SéMIOLOGIE PRéHISTORIQUE.
Dans la grotte de Bernifal (figures 16 à 19), l’un des tectiformes est très particulier car il est formé par la juxtaposition de centaines de points rouges mesurant moins de un centimètre de diamètre. Ce tectiforme pointillisme est donc présent à un seul exemplaire à Bernifal mais également dans l’ensemble des grottes ornées… » Les tectiformes gravés de Bernifal sont situés dans l’étroitesse située au centre de cette cavité-galerie de modestes dimensions (environ 90 mètres de longueur). » Denis Vialou.
A Rouffignac (figures 20 à 27) les tectiformes ont été tracés avec le doigt dans une paroi très molle. Pour Denis Vialou « plusieurs des tectiformes de Rouffignac sont identiques, mais faits de tracés au doigt sur des parois calcaires très tendres ». Une récente étude effectuée par Frédéric et Jean Plassard a permis de trouver un 13ème, puis un 14ème tectiformes dans la cavité.
Tectiformes -représentationsTectiformes de style périgourdin
(dimensions : 30 à 50 cm en moyenne)
Source: » L’art préhistorique » – Alain Roussot – Editions Sud-Ouest.
« Les dispositifs pariétaux de ces grottes ont dû être en partie réalisés vers les 14e et 13e millénaires. Ceux de Rouffignac et de Bernifal offrent une forte homogénéité. Celui de Font-de-Gaume est au contraire hétérogène, en partie antérieur et en partie postérieur. Le dispositif des Combarelles s’est achevé par l’adjonction de représentations de la fin du Magdalénien.» Denis Vialou.
Hypothèses sur la signification des tectiformes
Une forme de toit ou de maison, une structure très géométrique et élaborée… c’est suffisant pour éveiller l’intérêt et surtout l’imagination des chercheurs, mais aussi des simples visiteurs d’une grotte. La liste des hypothèses est longue et nous avons choisi les plus marquantes en éliminant les plus « fantaisistes » et convenues, comme la comparaison entre un tectiforme et une soucoupe volante (selon Aimé Michel), ou une construction avec des murs et une cheminée…
Pour les découvreurs, en 1902, la première chose qui vient à l’esprit est la forme de toit et nous sommes donc face à une structure d’habitat , une sorte de hutte primitive avec son pilier de soutènement, sa charpente…
En 1903 Capitan, Breuil et Peyrony reconnaissent la proximité du signe avec une « maison » mais ils émettent une nouvelle hypothèse, le tectiforme pourrait être une marque, un signe de propriété apposé sur un animal (comme à Bernifal) pour signifier qu’il appartient à un clan, un groupe humain : « le magdalénien aurait voulu ainsi marquer l’animal de son signe de propriété comme le touareg marque de son wasm les animaux qui lui appartiennent, cette prise de possession virtuelle de l’image de l’animal correspondant, pour le troglodyte, à la prise de possession réelle de l’animal qui peut lui être utile. » Cette hypothèse est reprise beaucoup plus tard par le préhistorien Denis Vialou qui y voit des « marqueurs identitaires privilégiés » (blasons ou enseignes).
Toujours en 1903, Gabriel de Mortillet croit voir la forme d’une tente avec un mat central supportant la couverture. Une hypothèse qui ferait apparaître à la fois la structure intérieure et l’aspect extérieur sur un même plan.
En 1918, le préhistorien Hugo Obermaier voit dans ces représentations des sortes de pièges à mauvais esprits, comme dans les anciennes croyances de Malaisie. Thèse qui sera reprise en 1966 par l’abbé Glory, mais avec des croyances originaires de Sibérie.
Pour le préhistorien Gaetano Vinaccia, en 1926, le tectiforme est un filet de chasse constitué d’un tunnel dans lequel le gibier se glisse avant de tomber dans un trou. En 1941, Kurt Lindner reprend l’idée de piège et voit dans certains tectiformes (Bernifal, Font-de-Gaume, les Combarelles) des pièges à poids dont la structure de poutres et de pierres tombent sur l’animal une fois qu’il a déclenché le mécanisme. Cela paraût très sophistiqué pour le Paléolithique. Les hypothèses du piège de chasse ont également été abordées par Bégouen, en 1923, et Kühn en 1929.En 1958, le préhistorien Leroi-Gourhan émet une théorie complète sur la signification de l’art pariétal. Dans ce cadre il existe deux classes de signes : les signes pleins (triangles, rectangles, tectiformes…) qui représentent la féminité, et les signes minces (bâtons, flèches, traits…) qui représentent, quant à eux, la masculinité. Cette dualité entre les idéogrammes se retrouve donc dans les cavernes. Cette hypothèse est partagée par Madame Laming-Emperaire.
En 1959, C. Zervos pense que les tectiformes sont des sortes d’images magiques de l’habitation. La représentation d’une hutte indiquerait l’image d’une opération magique destinée à placer l’habitation sous la puissance tutélaire de la divinité, et à mettre ainsi à l’abri des innombrables périls ceux qui y logeaient.
Pour l’instant aucune des interprétations ne fait l’unanimité, mais le fait que ces tectiformes ne se retrouvent que dans un périmètre géographique très restreint peut indiquer que l’explication est probablement régionale.
A droite un relevé d’un tectiforme des Combarelles effectué par l’abbé Breuil.
Les signes complexes inventés par les Paléolithiques, sur les parois et sur les objets, révèlent directement les significations symboliques propres des groupes : la cinquantaine de signes tectiformes, présents dans quatre grottes du Périgord, Font-de-Gaume, Rouffignac, Bernifal et Combarelles, sont inconnus dans les autres régions magdaléniennes. Ils le sont aussi dans tous les ensembles pariétaux antérieurs. En d’autres termes, la (ou les) significations inhérentes au signe « tectiformes » est à intégrer l’analyse des dispositifs pariétaux incluant le signe, et non aux autres. Marcel Otte.
C.R.
Références utilisées
Palaeolithic Art. New York: McGraw-Hill Book Company Inc.
Reliquiae Aquitanicae. London: Williams and Norgate. Lartet, E. and Christy, H. (1865-1875).
The Dawn of European Art: An Introduction to Palaeolithic Cave Painting. Cambridge: Cambridge University Press. Leroi-Gourhan, A. (1982).
Préhistoire de l’Art Occidental. Citadelles et Mazenod, Paris. Leroi-Gourhan, A., Delluc, B. and Delluc, G. (eds). 1995.
La Signification de l’art rupestre paléolithique : Méthodes et applications. Annette Laming-Emperaire
L’Art des Cavernes: Atlas des Grottes Ornées Paléolithiques Françaises. Imprimerie Nationale, Paris. Ministère de la Culture (France) (Ed.) (1984).
Art et comportements symboliques au Paleolithique : quelques points de vue actuels, Patrick Paillet.
La grotte de Font-de-Gaume Centre des monuments nationaux
“Les Signes Prehistoriques” in L’Art pariétal paléolithique. Techniques et Méthodes d’étude (GRAPP), éd. du CTHS, 219-234. Sauvet, G. (1993).
Images préhistoriques : écritures par défaut ?, Denis Vialou.
Figures inédites de la grotte de Rouffignac, Frédéric et Jean Plassard.