A la Recherche de l'Espérance.
Revisiter la rencontre des Aborigènes tasmaniens
avec les Français (1772-1802)
Bertrand Daugeron
La rencontre à la fin du XVIIIe siècle entre les explorateurs français et les aborigènes de Tasmanie, une histoire mêlée de confiance et de défiance...
Plus de 300 illustrations et photographies couleurs – cartes, dessins, journaux de bord
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Présentation de l'éditeur
"Ils rencontrèrent des naturels : et la première entrevue qu’ils eurent avec eux établit tellement la confiance, qu’elle fut suivie de plusieurs autres entrevues, toutes aussi amicales, et faites pour donner l’idée la plus avantageuse des habitans de ce pays […] Nous aurions été vraisemblablement à portée d’obtenir des éclaircissemens très-intéressans, sur la manière de vivre de ces hommes si voisins de la nature, et dont la franchise et la bonté contrastent si fort avec les vices de l’état de civilisation."
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Par ces quelques mots, le journal de d’Entrecasteaux, ce général parti au secours de l’expédition de Lapérouse, résume une rencontre suspendue au bout du monde, à la pointe sud-est de l’Australie, en Tasmanie, en février 1793. à cette époque, il s’agissait de reconnaître l’Océan Pacifique, de le cartographier et éventuellement de l’occuper. Dans ce second âge des découvertes, les puissances européennes, l’Angleterre en tête, livrent une lutte pour la suprématie sur les mers par le biais d’expéditions maritimes. àla différence de la conquête des Amériques, trois siècles plus tôt, il ne s’agit plus de voler les richesses ou de soumettre des peuplades. La domination tient dans le savoir : la cartographie, l’histoire naturelle et ses collections. Dans ce contexte géopolitique, à une échelle plus humaine, des rencontres se font et se défont sur ces rivages, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire.
Dans cette citation, il y a la conscience d’une rencontre marquante. Cette phrase résonne mal. Comment mesurer l’écart posé entre ces hommes déclarés voisins de la Nature et ces Européens de la fin du XVIIIe siècle qui se perçoivent comme viciés par la civilisation ? Au mieux, nous y projetons quelques souvenirs scolaires autour du bon sauvage, au pire, nous renvoyons cette histoire de l’autre bout du monde aux poussières d’archives. Comment comprendre l’expérience des rencontres des Français avec les Mellukerdeer, Mouheneenner, Palawa, Nuenonneet Lyluequonny, ces Aborigènes de la Terre de Diémen (aujourd’hui la Tasmanie) pour ceux qui l’ont vécue ?
Jusqu’à la reconnaissance, en 1797, du détroit de Bass qui sépare cette grande île du continent, la Terre de Diémen est comprise depuis le xviie siècle comme la pointe méridionale de la Nouvelle-Hollande(aujourd’hui l’Australie). Ces contacts rompent un isolement géographique de l’île datant de plus de 12 000 ans, lorsque la fin de la dernière glaciation provoque la montée des eaux et la sépare de l’Australie. Coupée du continent, la culture des Aborigènes de Tasmanie s’est développée de manière autonome : par exemple, elle n’a pour chasser ni chien, ni boomerang. Mais au-delà de ces différences technologiques, quelles sont les représentations de l’Ailleurs, qui y a-t-il derrière la ligne d’horizon ? Pour décrire la relation inédite entre mondes autochtone et allochtone, les historiens et les ethnologues parlent de premiers contacts (First contacts). Ces premières rencontres n’ont rien d’une idéalisation exotique, mais elles décrivent des situations nouvelles entre des cultures que tout sépare et littéralement aux antipodes des unes des autres. Que peut-il se passer entre deux mondes que tout oppose ?
A la fin du XVIIIe siècle, les voyages de découverte anglais, espagnols, russes ou français permettent des contacts sans précédents entre insulaires du Pacifique et Européens mais dans le même temps, les menacent : choc microbien, colonisation, etc. Tout au nord de l’Australie, d’autres contacts se sont faits par le passé entre Chinois et Aborigènes. Mais, l’installation européenne qui succède à l’exploration scientifique a eu un effet catastrophique sur les populations aborigènes, en particulier en Tasmanie. Dans ces voyages des Cook et autres Bougainville, il y aurait tout à la fois une ouverture aux « Nouveaux nouveaux mondes » et un projet de domination. Pourquoi ces rencontres entre mondes aussi lointains seraient passées de l’entente à la mésentente, de la communication à l’incommunication ? Il y a là une forte contradiction, symptômatique de l’expansion européenne dans le monde depuis les Amériques. Dans ce contexte pré-colonial, hormis le drame de la première rencontre, l’exemple des Tasmaniens et des Français fait exception par la mutuelle tolérance lors des nombreux échanges. Il y a donc quelque chose qui échappe dans le basculement de la relation avec les Tasmaniens passés de la « franchise » et de la « bonté » à la plus violente des situations coloniales, et ce dès 1804.
La matière de ce livre repose sur la mise en série de rencontres reconstituées autour de séquences de lieux et d’actions. Les faits dégagés montrent qu’il y a bien eu négociation de la relation : les uns comme les autres partagent une volonté d’échanges.
Malgré la distance de ces récits vieux de plus de deux siècles avec leur style chaotique et une orthographe instable, la place que l’on donne à l’autre ponctue ces interactions. Car, comme le lecteur le sait déjà, un voyage est d’abord une rencontre et cette histoire est universelle. En présentant ces textes rares et précieux, j’espère pouvoir transmettre l’esprit de ces voyages. D’ailleurs ces expéditions des Lumières parties à la recherche des Terres australes avaient des bâtiments aux noms explicites à l’exemple de celle de d’Entrecasteaux : La Recherche et L’Espérance.
L'auteur Bertrand Daugeron
Diplômé de l'École du Louvre, titulaire d'un DEA de Science Politique, docteur de l'EHESS en histoire et civilisations, Bertrand Daugeron est un historien soucieux des sources.
Après un premier ouvrage "Collections naturalistes entre science et empires (1763·1804)" aux publications scientifiques du Muséum national d'Histoire naturelle qui reprend son doctorat, il poursuit son travail sur les expéditions scientifiques de la fin du XVIIIe siècle en insistant sur les interactions entre Européens et non-Européens.
Sommaire A la Recherche de l'Espérance.
Sommaire
Préface de Bronwen Douglas
Introduction générale
La fragilité du premier contact Marion-Dufresne (1772)
La faillite d’une rencontre inédite
Un drame annonçant celui qu’allait connaître Marion-Dufresne
Un événement partagéBruni d’Entrecasteaux (1792 & 1793)
La découverte fortuite de la Baie de la Recherche
L’exploration du détroit & ses contacts furtifs
Rencontres rapprochées à la Baie de la Recherche
Séjour à la Baie de l’Aventure
Une entente rare dans l’histoire des voyages
Le terme de la rencontre Baudin (1802)
Poursuite de l’exploration du Canal d’Entrecasteaux
Reprise des échanges entre défiance & confiance
Le port du Nord-Ouest comme observatoire des rencontres
Fin des échanges sur Bruny
L’Île Maria
Retour à la Terre de Diémen
Baudin et le mirage de l’homme de la Nature
Conclusion générale
Bibliographie & iconographie
Remerciements
Un extrait de A la Recherche de l'Espérance.
Expédition de D'Entrecasteaux, 1793 p. 148
Journal de bord
"ces hommes simples et bons » pour D’Entrecasteaux, commandant en chef de l'expédition
10 février 1793
Le 10 [février 1793], nous eûmes une troisième entrevue, qui confirma l’opinion que l’on s’étoit formée de ces hommes simples et bons, en qui l’on n’avoit aperçu aucun des vices que l’on reproche à tous les habitans du grand Océan. Il existoit entre eux et nous une telle familiarité qu’ils assistoient à nos repas avec le même plaisir que nous marquions à être témoins des leurs ; mais, cette troisième fois, nous fûmes mieux servis par les circonstances, et nous vîmes la manière dont se fait la pêche qui fournit à leur subsistance. Le hasard fit aussi découvrir qu’ils mangent du goêmon ; car, voyant une des longues feuilles de cette plante marine entre les mains d’un des officiers, ils la prirent, la firent griller et la mangèrent. A l’heure destinée pour leur repas, les femmes allument le feu où doivent être cuits les alimens ; elles allument ensuite plusieurs autres feux moins considérables dans les environs du premier. Après avoir attaché autour de leur cou un sac destiné à recevoir leur pêche, elles plongent, armées d’un petit bâton aminci par le bout, avec lequel elles prennent des homards, des oreilles de mer et d’autres coquillages, qu’elles déposent dans le sac dont elles se sont munies. Sorties de l’eau, elles se mettent entre plusieurs des petits feux préparés d’avance, pour se sécher en tout sens, et vont ensuite se placer autour du feu principal, où elles font cuire le produit de leur pêche, qu’elles distribuent à leurs maris et à leurs enfants : elles renouvellent cet exercice jusqu’à que l’appétit de toute la famille soit satisfait. Les femmes vont aussi chercher à boire pour tout le ménage : ce dernier usage paroît commun à cette peuplade, ainsi qu’à tous les habitans des îles du grand Océan. Quand on fit signe aux hommes qu’ils auroient dû épargner cette peine, on cru comprendre qu’ils répondoient que cet exercice les feroit mouri : mais le signe dont ils se servirent, pouvoit également exprimer que leur rôle étoit de se reposer ; et c’est ce qui me paroît le plus vraisemblable".
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