Les hommes à tête de chien du Sahara retrouvent la parole.
Parmi les images préhistoriques qui ornent les rochers du Sahara central, plusieurs centaines de peintures et de gravures représentent des hommes à tête de canidé. L'aspect mystérieux et parfois inquiétant de ces sortes d'ancêtres de nos loups-garous intrigue les chercheurs depuis des décennies. Une partie de leur mystère vient d'être élucidé.
Dans une étude qui vient d'être publiée par les Cahiers de l'AARS (1), Jean-Loïc Le Quellec, un chercheur de l'Institut des Mondes Africains (CEMAf / IMAf, CNRS)(2) vient de trouver le moyen de faire parler ces images. Plutôt que de les considérer comme des représentations mythiques, il les a traitées comme si elles avaient représenté des êtres réels, et il a listé leurs caractéristiques morphologiques externes: forme et longueur des oreilles, profil du museau, longueur de la queue, etc. Chaque image a pu ainsi être définie par une liste de traits eux-mêmes susceptibles d'être codés sous forme d'une série de « 0 » et de « 1 ». Ainsi, chacun de ces hommes à tête de canidé de la Préhistoire peut se définir par une ligne de code, qui serait un peu comme son «code génétique». Le chercheur a ensuite eu l'idée de traiter l'ensemble de ces lignes à l'aide des logiciels que les phylogénéticiens utilisent pour comparer les codes génétiques d'espèces différentes, selon la méthode dite «phénétique».
A gauche, l'une des énigmatiques gravures rupestres du Messak (Libye), représentant un homme à tête de canidé (photo © JLLQ).
La réponse qu'il a obtenue par ce traitement est très claire : ces images se répartissent en deux grands groupes bien distincts, qui s'opposent par leur morphologie. L'un réunit ceux qui ont des oreilles et /ou un museau pointus, avec une queue courte éventuellement rebiquée, qui ne sont pas armés mais qui se participent souvent à des actes sexuels ; l'autre se compose de ceux qui ont des oreilles rondes et/ou un museau carré à truffe proéminente, avec une denture hypertrophiée, qui sont armés de haches ou de couteaux et qui portent souvent des trophées de grands fauves.
Or la répartition de ces deux groupes est très différente, et ils occupent deux zones voisines et bien distinctes : le premier se trouve dans les régions occidentales du Sahara central, en particulier au Tassili, et le second, plus oriental, se limite à l'extrême sud-ouest de la Libye, dans les vallées du plateau désertique du Messak.
A droite : deux des personnages à tête de canidé découverts parmi les peintures du Tassili (relevé JLLQ d'après photo © Bernard Fouilleux).
Finalement, ce que disent, par-delà les millénaires, ces mystérieux hommes à tête de chien, c'est que les communautés néolithiques de ces deux régions voisines avaient chacune brodé, sur un fond culturel commun, leur propre image du mythe de l'homme à tête de canidé, en l'utilisant différemment pour construire des marqueurs de leur propre identité, et ainsi se différencier de leurs voisins.
Résultat du traitement des caractères des hommes à tête de chien du Sahara au moyen d'un logiciel de phénétique : deux grands groupes apparaissent, qui correspondent à deux zones géographiques précises, alors qu'aucune donnée de localisation n'a été utilisée et que seuls des critères morphologiques ont été analysés. En vert : les images du Tassili, en rose celles du Messak libyen. Les petits groupes minoritaires se rattachent à l'un ou l'autre de ces deux grands ensembles.
Sources
Le Quellec, Jean-Loïc 2013. «Aréologie, phénétique et art rupestre : l'exemple des théranthropes du Sahara central.» Les Cahiers de l'AARS 16: 155-176.
Accessible ici:
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Adresse de l'auteur de l'étude :
Jean-Loïc Le Quellec : JLLQ@rupestre.on-rev.com
Site du CEMAf-IMAF : http://www.cemaf.cnrs.fr
Site de l'AARS : http://aars.fr
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