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L’ADN sédimentaire révèle de nouveaux secrets sur la Dame rouge d’El Mirón
L’ADN sédimentaire révèle de nouveaux secrets sur la Dame rouge d’El Mirón
En déterminant la présence de plusieurs espèces, y compris des humains, grâce uniquement à des traces d’ADN retrouvées dans les sédiments d’une grotte espagnole, cette technique de paléogénomique apparue il y a quelques années confirme tout son potentiel pour étudier à l’avenir des sites paléolithiques même en absence de restes osseux.
Par Pedro Lima, journaliste scientifique et auteur
Décédée il y a environ 19 000 ans durant la dernière période glaciaire, au Paléolithique supérieur, une jeune femme qui appartenait à un groupe de chasseurs-collecteurs reposait, depuis son inhumation, au fond d’une grotte du nord de l’Espagne, en Cantabrie, avant d’être découverte en 2010. Ce jour-là, les chercheurs Lawrence Straus (université du Nouveau-Mexique) et David Cuenca Solana ont l’intuition de creuser derrière un bloc gravé situé au fond du grand vestibule de la grotte d’El Mirón, dont Straus dirige les fouilles avec Manuel Gonzalez Morales (université de Cantabrie) depuis plus d’un quart de siècle. La découverte est de taille, puisqu’il s’agit d’un squelette très complet, comprenant initialement un tibia et une mâchoire auxquels viennent s’ajouter par la suite d’autres fragments osseux.e catastrophe climatique majeure.
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Lors de l’étude, l’âge de cette femme a été estimé aux alentours de 35-40 ans, et ses ossements étaient recouverts d’une ocre introduite dans la grotte, ce qui lui a valu le surnom « Dame rouge d’El Mirón ». Depuis cette découverte, la Dame rouge et les sédiments sur lesquels elle reposait ont continué à fournir des informations de premier plan aux archéologues et aux anthropologues. Les derniers résultats en date, publiés en tout début d’année dans la revue Nature communication, révèlent tout le potentiel d’une technique en plein essor, basée sur la recherche et l’analyse d’ADN sédimentaire. Cet ADN est celui qui se trouve dans les sédiments des sites archéologiques, que les paléo-génomistes sont désormais capables d’identifier, de séquencer et d’analyser. N’étant ainsi plus limités à celui extrait, depuis les années 1990, des ossements fossiles.
L’article intitulé « A sedimentary ancient DNA perspective on human and carnivore persistence through the Late Pleistocene in El Mirón Cave, Spain » permet en effet de retracer plusieurs millénaires d’occupation et fréquentation humaine et animale dans la grotte espagnole, bien au-delà de ce que le registre fossile (restes de faune et humains) avait permis de déterminer. Confirmant, une fois de plus, le potentiel presque infini de l’ADN sédimentaire, ou « sedaDNA » pour sedimentary ancien DNA. « Nous n’avons presque plus besoin d’ossements pour apprendre qui a fréquenté la grotte », reconnait Lawrence Straus, qui a été contacté par l’équipe de Ron Pinhasi et Pere Gelabert Xirinachs, dudépartement d’anthropologie évolutive de l’université de Vienne en Autriche, pour y appliquer cette méthode apparue il y a quelques années. Les sédiments situés sous la « Dame rouge » ont livré de l’ADN mitochondrial d’animaux dont les ossements n’ont pas ou peu été retrouvés sur place, mais qui ont laissé la trace génétique de leur passage : le dhole, un mammifère de la famille des canidés encore présent de nos jours à l’est et au sud-est de l’Asie, le léopard, la hyène, le mammouth laineux, le rhinocéros laineux et le renne. Au total, 28 taxons ont été identifiés dans les 32 échantillons génétiques issus des sédiments, incluant de l’ADN humain retrouvé dans 10 échantillons sédimentaires. Les 32 échantillons couvrent une vaste durée de 25 000 ans, de -46 000 à -21 000 ans, du Moustérien au tout début du Magdalénien.
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De plus, ces séquences d’ADN sédimentaire ont permis d’établir, par comparaison, les liens de parenté entre les animaux et les humains ayant fréquenté le site espagnol avec ceux d’autres sites et régions d’Europe. Ainsi, les analyses ont montré que les léopards d’El Mirón étaient plus apparentés avec ceux du Caucase qu’avec ceux d’Europe centrale.
Concernant l’ADN humain, les analyses de certaines séquences ont révélé des similitudes avec un individu solutréen du site de Malalmuerzo (Andalousie), daté de -23 000 ans au Solutréen, et avec un individu également solutréen (aux alentours de -21 000 ans) de La Riera, à 125 km à l’ouest d’El Mirón. Ces deux individus appartiennent génétiquement au même groupe dit de Fournol, issu du sud de la France. Les populations ibériques anciennes, dont la Dame rouge et ses proches, seraient donc bien issues de ces groupes dits de Fournol, indiquant que des migrations vers le sud du continent se sont produites lors du maximum glaciaire aux alentours de -22 000 ans, à la recherche de conditions de vie plus favorables.
D’autres études étant encore en cours sur les sédiments prélevés dans le très riche site d’El Mirón, en particulier pour y mettre en évidence de l’ADN nucléaire cette fois, nul doute que des révélations devraient encore avoir lieu dans les mois à venir.
Pedro Lima
Source Nature A sedimentary ancient DNA perspective on human and carnivore persistence through the Late Pleistocene in El Mirón Cave, Spain
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