Accueil / Accueil – articles / A propos des nouvelles datations de l’art rupestre et pariétal
A propos des nouvelles datations de l’art rupestre et pariétal
Michel Lorblanchet
[ Nous avons demandé au préhistorien Michel Lorblanchet de bien vouloir réagir aux récentes datations d’art rupestre et pariétal effectuées sur les sites de Narwala Gabarnmang en Australie, mais aussi dans certaines grottes ornées d’Espagne. ]
Un texte de Michel Lorblanchet
L’Australie est un pays particulièrement intéressant parce que son art rupestre est le plus riche et sans doute le plus ancien du monde… celui qui a connu la plus longue durée; de plus, l’Australie n’a pas été peuplée par l’homme de Néandertal. Dans l’état actuel des connaissances l’homme moderne a occupé l’Australie il y a 50 à 60 000 ans ; il est bien l’auteur des premières peintures et gravures rupestres, à une époque où la mégafaune était en train de disparaître…
Il y a deux ans une équipe australienne a identifié sur la paroi d’un abri de l’Ouest de la Terre d’Arnhem (culture Jawoyn) une représentation peinte en rouge d’une espèce d’émeu géant (Genyornis newtoni) qui selon les données de la paléontologie a disparu il y a environ 45 000 ans. L’étude de cette peinture qui pourrait être l’une des toutes premières du monde est en cours (RG.Gunn,LC.Douglas,RL.Whear : « What Bird is that ? » Australian archaeology N°73, 2011. Graeme Ward « Pleistocene rock painting in Australia »2011 à paraître, Congrès international de Tarascon )- Mais diverses fouilles dans les abris sous roche du nord de l’Australie , de la Terre d’Arnhem et du Kimberley (Malakunanja II, Nauwalabila et Capenter’s Gap) ont livré des niveaux d’occupation humaine datant de 50 000 à 60 000 ans contenant de vieilles industries lithiques de la tradition des « outils-nucleus et racloirs » (« Horse hoof’s cores and scrapers tradition ») souvent associées à des nodules d’ocre portant des facettes d’utilisation.
Un niveau de Capenter’s Gap daté d’environ 40 000 ans a même livré un fragment de paroi peinte tombé de l’abri, ce qui en fait un des témoins d’art rupestre les plus anciens; Dans une vaste partie du continent se développent par ailleurs, les gravures pleistocènes de Panaramitee; des tracés digitaux identiques à ceux des grottes européennes ont été datés d’environ 20 000 ans dans la grotte de Koonalda et dans plusieurs autres grottes du sud australien. (Lorblanchet 1996 : « L’art est-il né en Australie » , Encylopaedia Universalis)
En Europe, les datations récentes UT, d’Altamira, Le Castillo et Tito Bustillo suscitent les commentaires suivants :
1) -cette méthode nouvelle ELARGIT considérablement le champ d’application des méthodes de datations des oeuvres pariétales puisqu’elle est indépendante des pigments et des techniques d’exécution (peintures, gravures, sculptures); Elle peut être appliquée à n’importe quelle œuvre dans n’importe quelle région du monde. A ce titre elle constitue un progrès immense, équivalent à la mise en place des méthodes de datation directe des oeuvres pariétales.
En 1990 les toutes premières datations directes AMS de pigments dans la grotte de Cougnac (Lot) par le laboratoire C14 de Gif-sur-Yvette, nous faisaient alors penser que nous entrions dans « l’ère post-stylistique », c’est à dire dans une époque nouvelle où leur style ne serait plus le seul moyen de datation des oeuvres pariétales (M.Lorblanchet et P.Bahn editors,1993 : « Rock art studies : the post stylistic era or where do we go from here ? » Oxford, Owbow Monograph 35 ); La multiplication des datations que va permettre la méthode UT nous projette, de nouveau, dans une ère nouvelle.
2)-Les datations UT confirment aussitôt L’ALLONGEMENT de la durée de l’art pariétal paléolithique qu’indiquaient déjà les dates AMS .. Nous voici revenus (sans surprise pour certains d’entre nous) aux « 400 siècles d’art pariétal » , le titre du fameux livre de H. Breuil publié en 1952.
Les études d’art pariétal paléolithique ont connu deux approches successives : celle de Breuil et de ses disciples fondée sur l’idée d’une stratigraphie des peintures calquée sur celle des couches de terrain ; selon cette théorie du « palimpseste » les oeuvres se seraient accumulées sur les parois pendant de longues périodes .. La seconde approche ébauchée par Max Raphael fut surtout celle de Leroi-Gourhan établissant que chaque grotte ornée est univers organisé.
Ces deux conceptions de l’art pariétal s’opposaient et dialoguaient : les parois enregistraient l’accumulation des oeuvres, la succession d’ apports indépendants de groupes et de cultures différents, mais aussi, les figures se rassemblaient s’associaient, s’organisaient en une continuité de sens, selon des schémas identiques répétés qui aboutirent finalement à une inévitable CONTRACTION temporelle et sémantique . D’abord à une « contraction » théorique de la durée de l’art pariétal paléolithique aux environs de 20.000 ans. Mais l’idée elle même d’organisation-selon un schéma d’ailleurs unique- allait en même temps dans le sens d’une « uniformité » de l’art pariétal ; Ces dates UT mettent l’accent sur la longue durée , c’est à dire sur une probable HÉTÉROGÉNÉITÉ des formes et des contenus , l’hétérogénéité des interventions pariétales, et des intervenants, conduisant à l’acceptation de ruptures au sein d’une évolution stylistique que l’on avait cru univoque avec montée progressive vers l’apogée du naturalisme … Déjà Chauvet, Cussac, Lascaux, Altamira, l’art de plein air du Côa , nous apparaissaient comme des chefs d’oeuvres dans un splendide isolement, c’est à dire des accidents indépendants de leurs contextes culturels, incapables de s’intégrer dans une évolution stylistique générale; la question que reposent ces dates est celle aussi de l’existence d’une évolution ou d’un kaléidoscope stylistiques.
Comme tous les travaux de terrain ayant apporté une contribution à « l’étude archéologique des grottes ornées », nos études personnelles nous conduisent aujourd’hui à une « perception dynamique de l’art pariétal paléolithique« , à la constatation que les grottes ornées ont servi pendant de très longues périodes; à l’instar de celles d’Australie ou de l’Inde , les parois peintes de nos grottes ont été « retouchées » , fréquemment remises en service dans des contextes marqués par l’évolution des croyances (Lorblanchet ; « L’art pariétal, grottes peintes du Quercy » 2010)
3) En confirmant la longue durée de l’art pariétal paléolithique , ces nouvelles dates obtenues dans les grottes espagnoles rappellent que la naissance de l’art rupestre comme la naissance de l’art en général, sont antérieures à l’apparition de l’homme moderne.
Cependant ces dates ne font que poser le problème de l’origine de l’art des cavernes: il reste à le résoudre ; il reste à prouver que Neandertal a fréquenté RÉGULIÈREMENT les grottes profondes (les indices sont sur ce point très limités) , qu’il a investi le milieu souterrain comme l’a fait l’homme moderne.. Il nous reste à découvrir une grotte ornée dont le sol serait jonché de vestiges moustériens.. il nous reste à fouiller les grottes ornées de façon plus systématique et plus approfondie, et il nous reste à approfondir l’étude de leurs parois , par exemple à retrouver les rénovations et adaptations qu’ont connues les figurations pendant les longs millénaires du Paléolithique supérieur .
Heureusement des équipes performantes sont en train de fouiller les habitats de transition paléo moyen – paléo supérieur qui éclairent le contexte dans lequel l’art des grottes s’est mis en place.
Rien n’était impossible à l’homme de Néandertal, puisque depuis deux millions d’années au moins, dès son origine, l’homme est un « homo estheticus« . Nous avons toujours pensé que la rencontre de l’homme de Néandertal et de l’homme moderne a été une période d’émulation culturelle et spirituelle qui a permis l’émergence du grand art des parois en continuité avec les créations de 2 millions d’histoire de l’art… nous écrivions en 2006 « l’homme moderne est bien l’auteur de l’art des cavernes, mais l’homme de Néandertal a contribué à l’exaltation de ses capacités d’artiste; il se peut d’ailleurs que l’homme de Néandertal n’ait pas dit son dernier mot en matière d’archéologie : bien des choses restent à connaître sur le Paléolithique supérieur ancien et sur la paternité des cultures qui cohabitaient à l’aurore de cette ère nouvelle.. L’acculturation s’est produite dans les deux sens… Neandertal dont les capacités cognitives étaient affirmées depuis longtemps a pu aller très loin dans l’imitation du nouvel arrivant, et ses capacités d’artiste ont pu s’épanouir dans ce contexte. Il n’est pas impossible que la recherche conduise un jour à accepter qu’il soit l’auteur d’une forme d’art pariétal ; en effet n’a-t-t-il pas, à tout le moins, précédé les Aurignaciens dans la réalisation très symbolique des cupules sur bloc de rocher ? » (Lorblanchet , « Les origines de l’art » Editions du Pommier 2006, p.43)
Les dates UT qui viennent d’être publiées, jalonnent donc une nouvelle étape dans l’étude de l’art rupestre en confirmant certaines de ses orientations actuelles : elles sont un encouragement pour la plupart d’entre nous.
Sources :
FranceInfo
Libération
Le Monde
2012 Des peintures pariétales de – 42 000 ans attribuées à Néandertal ?2012 La peinture préhistorique en Espagne datée de – 40 800 ans ?
2012 Michel Lorblanchet, à propos des nouvelles datations d’art parietal
2014 Premiers pas artistiques pour Néandertal ?2016 Des gravures datées de 12 000 à Atxurra au pays basque espagnol2017 Des encoches sur un os de corbeau
2018 Datation Uranium Thorium de grottes ornées espagnoles à – 64 000 ans ?
2019 La datation Uranium Thorium remise en cause par Randall White et 44 autres signataires2020 Une nouvelle grotte ornée en Espagne : une centaine de gravures à la Font Major