De l’homme de Menton à la Dame du Cavillon
Le fossile humain retrouvé dans la grotte du Cavillon (Italie) n’est pas celui d’un homme…
Retour sur le changement d’attribution sexuelle du corps de la sépulture gravetienne de la grotte du Cavillon.
La grotte du Cavillon, est située à la frontière entre Menton et Vintimille en Italie. Quand le préhistorien commence les fouilles en 1870 il ne se trouve pas devant une cavité, car la grotte est complétement remplie de terre et de sédiments sur une hauteur de 16 mètres. Cette caune fait partie des sept cavités incrustées dans les flancs de la falaise des Balzi Rossi.
A la base des dépôts se trouvent plusieurs niveaux d’occupation moustériens, puis, des dépôts du Paléolithique supérieur et, sans surprise, la chronologie s’enchaine des industries aurignaciennes, gravettiennes et enfin épigravettiennes. Les fouilles d’Emile Riviere s’arrêtent en 1875. Elles seront reprisee en 1895 par le Prince Albert 1er de Monaco.
La cavité étant complètement vidée ce sont maintenant les abri et grottes des falaises qui continuent d’être fouillées sous la direction d’Elena Rossi-Notter.
Le 26 mars 1872, le docteur Emile Riviere continue sa prospection, cela fait 18 mois qu’il fouille la grotte du Cavillon. Il arrive à une profondeur de 6,5 mètres sous le niveau initial des sédiments. Le préhistorien découvre les ossements du pied d’un être humain. Le déblaiement du squelette complet prendra plusieurs jours. La stature et la position du corps recroquevillé feront penser au préhistorien que cet homme du paléolithique est mort pendant son sommeil. Les os sont massifs et robustes. La couleur ocre qui le recouvre ainsi que les coquillages percés qui semblent regroupés sur son crâne laisse alors penser que cet « homme » a bénéficié d’un traitement particulier post-mortem. C’est une découverte importante car c’est la première fois que l’on découvre un squelette humain du paléolithique aussi complet accompagné d’éléments datant de l’inhumation (parure, ocre…).
Tous ces éléments font penser à Rivière que c’est un individu important, un chef de clan, à la stature robuste qui a bénéficié d’une sépulture et d’offrandes… Il le nomme donc L’homme de Menton.
Le 14 avril 1971, Guisppe Vicimo découvre dans la grotte une gravure de cheval. Elle est située à 7 mètres de l’entrée, en face de l’emplacement de la sépulture de la Dame du Cavillon. La gravure mesure 39,5 cm de longueur sur 19,5 de largeur. Le style de la gravure est rapporté à l’époque gravettienne. Rien ne permet d’associer complètement la gravure et la sépulture, si ce n’est que la gravure était positionnée à hauteur d’un homme debout sur un sol datant du gravettien.
La description de la découverte de l’Homme de Menton
En dégageant le squelette Emile Riviere va noter que les ossements sont entièrement recouverts d’hématite et d’ocre rouge. Pour le préhistorien il est évident que ce dépôt a été réalisé après la mort de l’individu, sans déplacer le corps. A cette époque il n’est pas question d’inhumation volontaire et l’on suppose que la mort a dû survenir pendant le sommeil. La coloration du cadavre en rouge peut s’expliquer soit par l’existence d’un rite d’inhumation, soit par un souci prophylactique car l’ocre est un antibactérien qui ralenti la décomposition des corps. Un grand nombre de coquillages et de craches de cerfs ont été découvert autour de la téte et sous le genou gauche. Dans le détail c’est plus de 200 coquilles percées (Nassa ou Cyclonassa neritea) ainsi que des 22 canines de cerf percées ( Cervus elaphus) qui ont été retrouvées autour et sur le crâne.
Il apparait que la tête du défunt était recouverte d’une coiffe, une sorte de résille sur laquelle étaient attachés les coquillages et les craches. D’autre coquillages de la même espèce ont été découverts au niveau de la jambe, sous le genou : les 41 coquilles percées devaient également être attachées sur une « jambière » ou un bandeau.
Il est impossible de connaitre a récurrence de l’utilisation de ces éléments de parure. Etaient-ils portés quotidiennement, ou lors de « cérémonies », ou uniquement comme parure funéraire ?
Dans la même strate que le fossile humain Emile Riviere a mis au jour des ossements d’animaux comme Ursus spelœus, Felis spelœa, Hyena spelœa, Bos primigenius qui lui font penser que L’Homme de Menton vivait à l’Époque de l’Ours ce qui correspond environ à – 60 000 ans… Cette datation était confirmée par la présence d’outils lithiques moustériens.
Le Dr Felix Garrigou reprend les travaux d’Emile Rivière en les corrigeant. Il communique (La Nature – Revue des Sciences 1873) : L’homme fossile de Menton paraît être un représentant, non des peuplades de l’ours, ainsi que l’a cru M. Rivière, mais bien de celles de l’âge du renne. Il a probablement été inhumé dans une grotte antérieurement habitée par l’homme à l’âge de l’ours. Le remaniement de la caverne aura passé inaperçu pendant les fouilles.
Une nouvelle attribution sexuelle
L’Homme de Menton était conservé dans le laboratoire du Musée de l’Homme ou MA de Lumley travaillait. En 1988, à force de passer régulièrement devant ce squelette reconstitué, l’anthropologue remarque des détails anatomiques étonnants. Elle trouve en particulier que le bassin de cet Homo sapiens est décidément très féminin, c’est à dire large avec une échancrure sciatique très ouverte. Une étude anatomique complète va confirmer les premières impressions de MA de Lumley et le squelette fossilisé va donc « changer de sexe » et passer de L’Homme de Menton à la Dame de Cavillon ! Cette étude sera publiée dans l’ouvrage La Grotte du Cavillon (éditions CNRS).
Après son sexe les chercheurs vont même pouvoir déterminer son âge au moment du décès, soit un peu plus que 35 ans. Ils notent également que tout indique que cette jeune femme a été plusieurs fois maman. La datation au Carbone 14 des coquillages qui constituaient sa coiffe permet d’estimer que la Dame vivait il y a 24 000 ans.
Une étude publiée en 2014 sur le crâne de Barma de Caviglione 1 arrive aux mêmes conclusions : « Le crâne est globalement gracile : insertions musculaires pariétales, occipitales et temporales relativement peu marquées, région bregmatique peu saillante tout comme les arcades sourcilières. Ces particularités, associées à un front vertical, des bosses pariétales marquées, un palais étroit, permettent de supposer qu’il devait appartenir à un individu de sexe féminin »
Depuis ces dernières études il apparaît que les hommes et femmes du gravettien était plutôt foncés de peau et avec les yeux clairs. En effet toutes les études génétiques montrent, quand les restes sont bien conservés, que les Homo sapiens présents en Europe n’avaient pas encore perdu leur couleur de peau. Il faut plusieurs générations pour que l’adaptation à l’ensoleillement en Europe ait un impact sur la couleur de la peau.
Comment différencier un squelette d’homme de celui d’une femme ?
Parce que son anatomie est adaptée à l’accouchement : le bassin féminin présente une morphologie particulière qui diffère nettement de celle du bassin masculin, délimitant ainsi un canal pelvien de plus grand taille, adapté au rapport défavorable entre les dimension du crâne du foetus à terme et celles du bassin de la mère.
C’est donc une zone du squelette largement utilisé en anthropologie et en médecine légale pour la diagnose sexuelle.
C’est sur la base de ce dimorphisme que reposent des techniques de détermination sexuelle, qu’elles soient morphologiques (formes) ou morphométriques (mesures).
Texte proposé lors de l’exposition Préhistoire(s) l’enquête.
D’autres sépultures des Balzi Rossi
Avec la Dame du Cavillon ce sont au total seize fossiles Homo sapiens plus ou moins intacts qui ont permis aux grottes de Grimaldi de devenir l’une des nécropoles préhistoriques les plus connues. Ces gisements sont une véritable mine d’informations sur les rites funéraires au tout début du Paléolithique supérieur (entre -37 000 et -18 000 ans).
A la base de la stratigraphie, les niveaux moustériens sont d’une épaisseur d’environ 6 m, et les niveaux du paléolithique supérieur sont de 11 m environ, selon Emile Rivière en 1887.
La partie moustérienne peut-être décrite sur 2 niveaux. Le plus ancien, fouillé par le Chanoine Léonce de Villeneuve est riche en outillage moustérien, racloirs, pointes éponymes ainsi que de lames et de pointes Levallois. Les restes de grands mammifères et la comparaison avec les autres gisements à proximité (grotte du Prince) permettent de dater cette strate de 60 000 ans.
Le deuxième niveau, plus récent, a été fouillé par Emile Riviere et ensuite par Léonce de Villeneuve. C’est un niveau plus pauvre en industrie moustérienne mais présentant de belles pièces de type Levallois (denticulés).
Sources
Par Dr Felix Garrigou – La Nature – Revue des sciences — Extrait de la Revue "La Nature" 1873, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=22131371
Les Grottes de Menton et la question de l’homme fossile
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Grottes_de_Menton_et_la_question_de_l%E2%80%99homme_fossile
UNE NOUVELLE ETUDE ANATOMIQUE DU SQUELETTE DE LA DAME DU CAVILLON
Tony CHEVALIER, Gaspard GUIPERT, Henri STALENS et Jean-Luc VOISIN et la collaboration de Dominique CLERE
http://jeanlucvoisin.free.fr/pdf/Chevalier%20et%20al%202016%20Cavillon%20chap%2049.pdf
D. Henry-Gambier, Jaroslav Brůžek., P. Murail, F. Houët, Révision du sexe du squelette Magdalénien de Saint-Germain-la-Rivière (Gironde, France) in PALEO Revue d’Archéologie Préhistorique, Société des amis du Musée national de préhistoire et de la recherche archéologique – SAMRA, 2002
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00433509
Reconstruction du crâne Barma del Caviglione 1 (Dame du Cavillon), Baoussé-Roussé, Grottes de Grimaldi
https://www.researchgate.net/publication/268194584_Reconstruction_du_crane_Barma_del_Caviglione_1_Dame_du_Cavillon_Baousse-Rousse_Grottes_de_Grimaldi
La Grotte du Cavillon sous la falaise des Baousse Rousse Grimaldi, Vintimille, Italie / N.Abidi, A.Arellano, P.Astuti et al.; sous la direction de H. de Lumley. – Paris: CNRS, 2016. – 1134 p.: ill. – Bibliogr. a la fin des chapitres. – ISBN 978-2-271-09195-6
Pour aller plus loin
Les premières sépultures de la préhistoire
Les squelettes de l’abri Cro-Magnon