Peyrony
Brigitte et Gilles Delluc
Préhistoriens
Prenons 4 documents pour faire son portrait
Voici d’abord un télégramme, posté aux Eyzies le 12 septembre 1901: « Peintures préhistoriques découvertes. Vous attends.» En cinq mots, comme il se doit, D. Peyrony, instituteur public, annonce la découverte de figures pariétales dans la grotte de Font-de-Gaume, Trois jours plus tard se réunit aux Eyzies un trio appelé à devenir célèbre: le Dr L. Capitan et ses deux élèves, D. Peyrony et «un jeune ecclésiastique, de taille mince et élancée, l’air vif et intelligent, l’abbé Henri Breuil », Tous trois se connaissent depuis plusieurs années. Mieux encore, quelques jours auparavant, le 8 septembre, ils ont reconnu, à la lumière de bougies vacillantes, les gravures de la grotte des Combarelles, C’est sous leurs trois signatures – H. Breuil étant la cheville ouvrière – que seront publiées ces œuvres pariétales. Les années qui suivent, voient D. Peyrony prospecter sans relâche les cavités de la région et faire connaître, avec H. Breuil et L. Capitan, les œuvres gravées et peintes de La Calevie, Teyjat, la Croze à Gontran, Comarque. Maître d’école aux Eyzies de 1891 à 1910, il quittera l’enseignement et sera chargé de la direction des fouilles préhistoriques en Dordogne. L’aventure du poisson de Simon Souffron sera ainsi résumée dans son minutieux journal: « 9 décembre 1912: Apprends l’enlèvement du poisson de Gorge d’Enfer, vendu paraît-il à Berlin. 11 décembre 1912. Ce soir on a posé les scellés sur la porte de l’abri.»
Voici maintenant un tract publicitaire sur carton bistre que l’on distribue vers 1910 dans la région. Il chante les mérites d’Otto Hauser; Cet « antiquaire» négociant a ouvert dans sa maison de Laugerle-Haute un bureau de la direction des fouilles préhistoriques (Prehistoric excavations Manager’s Office, dit le prospectus). L’abbé Breuil est prudent: « Le moment est au silence et non à la guerre. » Mais la lutte qu’entreprend D. Peyrony contre ce personnage qui a découvert puis vendu à l’empereur Guillaume le squelette néandertalien du Moustier – se mue peu à peu en une guerre ouverte. Il achète ou loue, pour l’Etat français, nombre de gisements qui échappent ainsi à la rapacité de ce Suisse suspect. La déclaration de guerre ayant précipité le départ d’Hauser, D. Peyrony devient séquestre des biens de ce dernier aux Eyzies. Une violente campagne se développe alors, menée par D. Peyrony et son ami L. Didon, soutenue par H. Breuil, avec l’aide du Dr Capitan et du Comte Bégouen. Maurice Barrès fulmine, dans l’Echo de Paris, contre ce « personnage peu sympathique, boiteux, gros mangeur et buveur formidable, se disant archéologue» et D.Peyrony écrit à L. Didon: « Après la guerre sa situation ne sera plus tenable aux Eyzies où tout le monde est contre lui. La crise que nous traversons met en lumière certains faits que nous ne pouvions nous expliquer … C’est un espion au service de l’Allemagne. »
Voici encore une belle photo de groupe, un peu jaunie, comme on en trouve dans les albums de famille. Elle a été prise en 1908 devant l’abri Pagès du Ruth, près du Moustier. Autour de D. Peyrony (portant moustaches) et de l’abbé Breuil (en soutane), on reconnaît E. Cartailhac, P. Paris et nos collègues: M. Féaux, F. Delage, A. Délugin et le marquis de Fayolle. Ce cliché marque la fin de la bataille de l’Aurignacien. Grâce aux fouilles de D. Peyrony dans cet abri et à celles du Dr Lalanne à Laussel, H. Breuil peut affirmer que les couches aurignaciennes sont sous-jacentes aux couches solutréennes, donc plus anciennes. En outre, c’est ici que D. Peyrony met pour la première fois en évidence la succession des trois niveaux classiques du Solutréen.
Le Ruth, près Moustier, 1908. La bataille de l’Aurignacien. De gauche à droite, G.Raymond, E. cartailhac, D.Peyrony, H. Breuil, Féaux, Delugin de Fajolie, F. Delage, P. Paris.
Né à Cussac en 1869, il est fils de paysans.
Enfant, il emportait ses livres aux champs; aujourd’hui, il déchiffre le livre de la terre. Au cours des fouilles de la Ferrassie (1905-1920) et de Laugerie-Haute (1921-1932), ce M. Fabre de la stratigraphie distingua un ensemble d’industries contemporaines de l’Aurignacien: le Périgordien. Il demeure de ce faciès culturel le Périgordien inférieur ou châtelperronien, pré aurignacien, et le Périgordien supérieur ou gravettien, entre l’Aurignacien et. le Solutréen. Les travaux qu’il dirigea à la Madeleine, au Fourneau du Diable, à l’abri Castanet, à la Micoque, au Moustier, témoignent de ses inlassables recherches sur le Paléolithique moyen et supérieur du Périgord. Lorsqu’il mourut en 1954 à Sarlat, quelques années après que la cécité l’eut enfermé dans sa nuit, sa bibliographie comportait plus de cent cinquante titres …
Voici enfin une médaille rectangulaire·faite au ciseau du sculpteur Pryas, Elle porte à l’avers le profiI buriné de D. Peyrony, réduction de la plaque de bronze dévoilée le 2 avril 1939 aux Eyzies. Le revers porte le vieux château des Eyzies, niché dans sa falaise (avec en cartouche une reproduction un peu simpliste du mammouth n’ 26 des Cornbarelles). Dès 1897, D. Peyrony avait réuni, selon le mot de l’abbé Breuil, un petit « bric-à-brac de collection formée dé quelques grattages aux sites connus ». Alarmé par la fuite hors de France des vestiges du passé, il tient à créer un musée de préhistoire aux Eyzies. Il est aidé par la presse, par ses amis et même par le Grand Orient de France en décembre 1910, à la demande de la loge Vers la Justice de Sarlat. Grandes durent être sa joie et sa fierté le 5 décembre 1913 lorsqu’il écrit sur son journal: » Achat par l’Etat des ruines du vieux château pour y installer le musée. Je représentais l’Etat dans l’acte d’achat. » L’inauguration interviendra en 1923. Dès 1914, les visiteurs pouvaient acquérir ses Eléments de préhistoire, petit ouvrage de synthèse plusieurs fois réédité. Jusqu’au soir de sa vie, il sut accueillir dans son musée les visiteurs – et même les plus jeunes d’entre eux – ou distraire quelques heures pour d’autres tâches, municipales, sociales, touristiques, ou pour notre compagnie dont il fut vice-président.
Images : Collection privée Brigitte et Gilles Delluc