Accueil / Accueil – articles / Les enfants du paléolithique joueurs et/ou apprentis ?
Les enfants du paléolithique joueurs et/ou apprentis ?
Les enfants de la préhistoire joueurs et/ou apprentis ?
Les jeunes préhistoriques de l’Europe de l’Est réalisaient-ils de petites céramiques pour le jeu ou pour apprendre ? Pratiquaient-ils une sorte d’artisanat pour la communauté ? Comment distinguer les artefacts fabriqués par les experts de ceux ayant été réalisé par des enfants ?
Pour réaliser cette étude les chercheurs ont utiliser des photographies haute résolution d’artefacts en céramique de cinq sites archéologiques de l’est de la Tchéquie : Dolní Věstonice I (DV I), Dolní Věstonice II (DV II), Pavlov I, Pavlov VI et Předmostí. Tous ces gisements qui datent d’environ 30 000 BP ont délivré plus de 12 000 artefacts de céramique : figurines complètes ou fragmentaires, boulettes…
Le matériel étudié comprend des figurines d’animaux (à la fois carnivores et herbivores), des formes humaines masculines et féminines, des fragments de figurines, des fragments indéterminés qui pourraient avoir été des fragments de figurines mais ne sont plus identifiables comme tels.
Méthodologie
Pour déterminer si les céramiques ont été fabriqués par des novices, les chercheurs ont documenté des variables connues ethnographiquement et archéologiquement comme étant associées aux apprenants et ils les ont comparées aux mêmes variables enregistrées dans des objets d’art en ivoire, en os et en bois de cervidé provenant des cinq sites tchèques. Les variables sont la taille
La taille des artefacts
Comparées à d’autres matériaux utilisés pour fabriquer des objets d’art mobilier tels que l’ivoire, l’os et le bois de cervidé, les céramiques sont nettement plus petites. À Pavlov I et DV I, les figurines anthropomorphes et zoomorphes en céramique sont deux fois plus petites que les objets similaires en ivoire,
Les seules exceptions à cette tendance sont les « chefs-d’œuvre » finement réalisés provenant de ces sites, comme la figurine féminine pratiquement complète de Dolní Věstonice. Cette figurine représente une femme aux traits du visage stylisés, à la poitrine généreuse, au nombril et à la taille profondément gravés. Un autre exemple de figurine en céramique de taille inhabituelle est la représentation d’un hibou de DV. Un troisième objet en céramique de taille inhabituelle est la figurine de mammouth endommagée et fragmentée mais réajustée de Pavlov I.
Les chercheurs ont également intégré dans l’étude un minuscule mammouth en céramique de Pavlov I qui illustre toute la gamme de tailles du site, car cette figurine complète ne mesure que 14,4 x 21,8 x 9,5 mm de dimensions hors tout. Cette figurine est une représentation simplifiée et généralisée de cet animal, plutôt qu’un chef-d’œuvre détaillé et réaliste. Les petites pièces sans détails étayent l’idée que les très petites figurines en céramique présentaient souvent des finitions moins détaillées ou moins habiles.
Ces artefacts suggèrent qu’il pourrait y avoir un lien entre les plus grandes figurines et un savoir-faire plus qualifié, et les plus petites issues d’une production un peu moins habile, et plus dans une optique d’expérimentation.
Des statuettes asymétriques
La variable suivante est le degré d’asymétrie des artefacts. À Pavlov I et à Dolní Věstonice I, les céramiques se sont révélées moins symétriques que l’art mobilier en ivoire. Par exemple, des assemblages de têtes d’animaux en céramique ont été découverts à Pavlov I et à DV I. Certains d’entre eux démontrent que l’artisan a créé une tête d’une certaine manière sur une face, puis a utilisé une technique différente pour l’autre face. Ce qui a généré deux cotés complètement différents, sur une même statuette. Par exemple, sur un côté d’une prétendue tête de lion, trouvée à DV I, l’œil est une fente, une simple gravure sur la surface. De l’autre côté, l’œil est une perforation qui pénètre de part en part dans la tête. Le degré d’expérimentation évident même dans la tête du lion suggère que la symétrie n’était pas un objectif pour cet artefact ; on pourrait même parler de sortes de tests.
La complexité des chaînes opératoires
L’étude met en avant que même si la chaîne opératoire a souvent été historiquement utilisée pour documenter la cohérence dans la production, elle peut également être utilisée pour découvrir la variabilité et la diversité. Les novices sont associés à des séquences de production moins complexes et à des techniques plus simples telles que le pincement, la pression et la traction plutôt que l’enroulement dans le cas de la céramique. Les chercheurs ont également comparé la complexité relative des chaînes opératoires entre différentes sortes de matières premières (par exemple, céramique contre ivoire, ou céramique contre matière osseuse) pour avoir une idée si les novices travaillaient avec certains matériaux plus souvent que d’autres.
Une production sans objectif identifié
Lorsque les objets ont été fabriqués sans tenir compte de leur durée de vie après leur production et lorsqu’ils ont été retrouvés in situ à l’endroit où ils ont été fabriqués, ils sont considérés comme ayant été fabriqués de manière « non productive ». La pratique de la fabrication de l’objet lui-même et le jeu (ou l’expérimentation ludique) impliqué dans la production sont les principales motivations de la fabrication de tels artefacts. Cela indique, pour les chercheurs que les artefacts sont susceptibles d’avoir été fabriquées par des novices et/ou des enfants.
Aucune des petites céramiques n’a été découverte dans les sépultures : elles proviennent toutes des zones d’habitations et souvent de l’intérieur des foyers.
Elles n’étaient pas fabriquées dans un but spécifique et cela les distingue des autres cultures matérielles fabriquées à partir des autres matières premières sur les sites. Ces artefacts pourraient, en fait, être une matérialisation heureuse et rare de l’acte de jeu célébré et éphémère pendant l’enfance.
Conclusion
Tout d’abord, les données présentées dans cet article permettent de distinguer deux types différents d’artisans et les types d’objets qu’ils ont fabriqués. Les céramiques sont plus petites, plus asymétriques et le résultat de séquences et de techniques de production plus simples et plus courtes que les objets fabriqués à partir d’autres matériaux. Dans le cas présent, sur ces sites, la céramique semble être le type de culture matérielle fabriquée par les novices.
Deuxièmement, de nombreuses preuves étayent l’hypothèse selon laquelle, dans de nombreux cas, ces novices étaient des enfants. Non seulement les variables prises en compte dans cette étude sont typiques des apprenants enfants, mais certaines des céramiques pavloviennes conservent les empreintes digitales des personnes qui les ont fabriquées et la majorité d’entre elles appartiennent à des enfants.
Troisièmement Králík et ses collègues observent que de nombreuses figurines et fragments de figurines présentent des fissures typiques du choc thermique indiquant que les céramiques étaient souvent cuites avant d’être suffisamment sèches. Kamp note que les enfants novices font des erreurs dans la trempe, le séchage et la cuisson ; et ils peuvent ne pas suivre les procédures acceptées, sauter une étape ou produire une forme différente.
Cet article a mis en évidence que, par rapport à la culture matérielle symbolique non céramique, fabriquée de manière experte et bien connue de cette région, la céramique pavlovienne conserve plusieurs caractéristiques cohérentes avec les stratégies de production utilisées par les novices, notamment leur plus petite taille, leur degré plus élevé d’asymétrie et d’expérimentation dans la production, et leur apparente non-productivité.
La disponibilité locale de la matière première en quantités, combinée à la capacité de la manipuler sans l’utilisation d’outils spécialisés, a peut-être contribué au fait que les enfants travaillaient avec des matériaux céramiques.
L’une des interprétations les plus fascinantes de cette recherche est que les enfants pavloviens auraient pu « jouer » pendant leurs expériences et explorations avec des matériaux céramiques. Ces artefacts pourraient, en fait, être une matérialisation heureuse et rare de l’acte de jeu éphémère pendant l’enfance.
Source :
PlosOne
Rébecca Farbstein,
Avril Nowell
Editeur : Marco Peresani, Universita degli Studi di Ferrara, ITALIE
Children at play: The role of novices in the production of Europe’s earliest Upper Paleolithic ceramics
A lire également :
2007 Néandertal, un roux à la peau blanche selon la génétique
2011 Ukraine : les plus anciens Hommes modernes au sud de l’Europe de l’Est
2014 Un brun, mat de peau avec des yeux bleus en Espagne il y a 7 000 ans
2015 Comment les européens sont devenus blancs de peau
2018 L’homme de Cheddar, une peau sombre comme les autres Homo sapiens de l’époque…
2022 Reconstitution du visage d’une jeune femme il y a 31 000 ans en République Tchèque
2O23 Homo sapiens : comment deux crânes réécrivent l’histoire de son apparition en Europe
2023 Cannibalisme au Magdalénien dans le nord de l’Europe : une pratique funéraire répandue ?
2023 Les bijoux et parures les plus anciens
2023 Les migrations en Europe à l’ère glaciaire : un véritable melting-pot
2024 Des outils de 1,4 millions d’années en Europe