Les lampes à graisse
Le préhistorique avance dans la cavité avec, dans sa main, une plaquette de calcaire. Sur ce morceau de pierre, un petit tas de graisse animale. La mèche qui trempe dans la graisse est enflammée et sur le bord s’écoule peu à peu l’huile venant de la graisse fondue. Pour ne pas l’éteindre il ne doit pas faire de mouvements trop brusques… Son autre main peut servir de paravent pour protéger la flamme des courants d’air qui traversent la grotte…
Un éclairage mobile
La lampe à graisse ou lampe à huile est une invention humaine qui va permettre aux paléolithiques de maîtriser la lumière, en particulier pour s’enfoncer dans les grottes et les cavités. On dénombre seulement quelques 300 lampes paléolithiques recensées et identifiées. En effet, il existe un grand nombre d’objets dont l’étude ne permet pas de définir notamment s’ls ont été utilisées comme lampes à graisse.
« L’invention d’un moyen d’éclairage portatif au Paléolithique a accru cette indépendance vis-à-vis du milieu et a sans doute influencé profondément la vie quotidienne de ces hommes en élargissant les limites de leur environnement. » Sophie Archambault de Beaune (1).
Comment éclairer les grottes et les activités nocturnes ?
Les foyers, les torches
L’usage des torches dans une cavité se repère par les traces charbonneuses laissées sur les parois lors du ravivage de la flamme. Une torche qui s’éteint doucement peut être ravivée dans la grotte en frottant son extrémité sur la paroi… Ce mouchage laisse ainsi dans certaines grottes des traces plus ou moins arrondies et noirâtres.
Selon le préhistorien Marc Azéma, « les artistes du Paléolithique utilisaient (aussi) des torches de résineux dont l’existence est attestée par des traces de mouchages sur les parois que l’on a à Chauvet et dans d’autres grottes. »
On trouve ainsi des restes de foyers dans quelques grottes ornées, à proximité des représentations peintes ou gravées : La tête du Lion (Ardèche), Peche-merle (Lot), Tito Bustillo (Espagne)…
Les foyers retrouvés dans la grotte de Bruniquel témoignent de l’utilisation du feu par Néandertal pour éclairer la cavité où il réalisait ses « constructions stalagmitiques ».
Les lampes à graisse
« L’invention de la lampe portative a « modifié la perception de l’espace en permettant la fréquentation de grottes profondes jusqu’alors inaccessibles. Elle a sans doute aussi modifié la perception du temps en ne limitant plus les activités journalières à la période diurne« . Sophie A. de Beaune (1).
Parfaitement adapté au milieu souterrain, le préhistorique savait qu’il pouvait installer ses foyers sur le sol à proximité des parois et qu’il trouverait sur place de quoi fabriquer ses lampes ; il lui suffisait d’apporter de l’extérieur le combustible et le matériel nécessaire pour produire du feu.
La lampe, définition
Denis Vialou définit les lampes préhistoriques ainsi : « désigne toute pièce lithique, le plus souvent des plaques ou des blocs calcaires ou gréseux offrant une dépression naturelle plus ou moins circulaire ou une cupule creusée conservant les stigmates de la combustion lente d’une graisse animale« .
Dans son étude, Sophie A. de Beaune (1) conclue : « une lampe doit avoir une zone active (combustible et mèche) et une zone passive permettant son support et éventuellement sa préhension. Les traces d’utilisation (résidus du foyer) peuvent seules permettre l’interprétation d’un document comme une lampe. Ces traces doivent être abondantes et bien localisées dans et autour de la zone active, le reste de l’objet étant préservé« .
Au total, près de 550 objets ont été considérés comme des lampes, en se basant uniquement sur la forme globale de l’objet. C’est principalement l’étude de Sophie A. de Beaune publiée en 1987 (1) qui tente d’identifier et inventorier les lampes paléolithiques, en retrouvant les traces d’utilisations : échauffement de la pierre, combustible brûlé, mèche carbonisée… Bon nombre de ces pseudos lampes ont finalement été écartées car elles ont plutôt servi de godets ou ne présentent pas de trace de combustion…
Distinguer les différents types de lampes
Selon le travail effectué par l’artisan sur les lampes.
- Les éclairages portables peuvent ne pas avoir été fabriqués mais juste sélectionnés sans modification du support. Le luminaire n’a pas vraiment été travaillé et se limite parfois à une simple plaquette de calcaire sans aucune amorce de cavité. Souvent ces ustensiles ont été sélectionnés parmi les concrétions qui se trouvaient dans la grotte. Le support rocheux a été soigneusement choisi en fonction de sa forme naturelle qui répondait à la fonction recherchée.
- L’artisan a pu utiliser un morceau de roche naturel en façonnant ou renforçant une partie, comme la cuvette et/ou le manche. Là également le support est naturellement choisi dans l’environnement et modifié pour répondre au besoin final de la lampe.
- La lampe peut également être entièrement façonnée dans un bloc rocheux. C’est un outil où la cuvette, les contours, le manche éventuel, ont été intégralement martelés, piquetés, râclé voire poli…
Selon la forme finale de l’objet
Pour le préhistorien Paul G. Bahn : « Ii y a deux types fondamentaux de lampes : le modèle à circuit ouvert, dans lequel le combustible est évacué à mesure qu’il fond, et celui à circuit fermé où il est maintenu dans une cavité. Le type ouvert semble très rare à l’âge glaciaire, bien que beaucoup de plaquettes minces aient pu être utilisées ainsi… La plupart des lampes paléolithiques reconnaissables sont du type à circuit fermé. » (2)
- Lampe Circuit ouvert : un morceau ou une plaquette de roche, avec ou sans cavité. Ce type de luminaire est le plus difficile à utiliser mais également à déterminer. Une fois la graisse fondue elle s’écoule sur les côtés de la lampe : elle devait être le plus souvent posée sur le sol. On les trouve sporadiquement à toutes les périodes, de l’Aurignacien au Magdalénien.
- Lampe Circuit fermé : un morceau de roche avec une cavité naturelle ou creusée centrée ou excentrée, ce qui permet une meilleure prise en main. L’huile peut sortir par une dépression dans le rebord. C’est le type de lampe le plus fréquent, toutes périodes et tout environnement confondus.
- Lampe avec une poignée : une lampe comprenant un manche, une cavité et des rebords réguliers. Ces objets sont les plus rares dans les gisements préhistoriques et sont particulièrement caractéristiques du Magdalénien.
Quel combustible ?
Afin de tenir une flamme de manière régulière, les préhistoriques ont utilisé de la graisse animale. L’étude des lampes montre la présence de résidus d’acides gras d’origine animale ainsi que des particules charbonneuses. A l’époque, les paléolithiques avaient accès à la graisse ou à la moelle de différents mammifères comme les bovinés, les cervidés, les suidés, les équidés…
L’analyse du contenu du fameux brûloir de Lascaux permet l’identification du genévrier et de cendres de bois de résineux. CR Metcalfe, 1962 lettre à A. Glory. cité par B. et G. Delluc.
Le préhistorien Paul G. Bahn se pose la question de la luminosité de ces lampes, en indiquant qu’elle est est très faible, et même inférieure à une simple bougie moderne. Il rajoute que « la puissance de la lumière produite dépend de la quantité et de la qualité du combustible« . Selon lui, des expérimentations « en utilisant de la graisse de cheval ont produit une lumière six fois moindre que celle d’une bougie selon des mesures effectuées au photomètre« .
Quelle mèche ?
Les paléolithiques devaient choisir les mèches en fonction de leur facilité à s’enflammer de manière durable dans une matière graisseuse. Les éléments ayant pu servir de mèches sont nombreux : écorces, petits bois, mousse, lichen, aiguilles de pins et même champignons secs (amadou).
Pour Denis Vialou, « de rares brindilles minuscules conservées dans certaines lampes et des expérimentations démontrent l’utilisation de conifères, de génévriers comme mèches pour l’allumage et l’entretien du foyer« .
« La nature des mèches utilisées par les hommes préhistoriques a souvent été évoquée par les expérimentateurs modernes. Divers matériaux ont ainsi été proposés : lichen, mousse, branchette de genévrier ou de pin, lanière d’amadouvier, éclisses de bois blanc… (Delluc, 1979 ; Beaune, 1987) ou encore « braise et os spongieux (Rigaud, 2000)« , (Le temps des lumières à la Grande Grotte d’Arcy (Yonne), Michel Girard et Dominique Baffier)(5).
Sophie Archambault de Beaune précise toutefois « qu’il serait faux d’interpréter ces résultats comme le témoignage d’une préférence marquée pour le genévrier. En fait l’expérimentation a montré que les mèches de genévrier ne se consumaient jamais entièrement contrairement aux autres mèches« .
Quelles matières premières pour les lampes ?
Les lampes sont réalisées dans les matières que les paléolithiques trouvaient autour d’eux : le calcaire (50%) en majorité, et plus exceptionnellement le grès (20%). Plus rarement encore, les paléolithiques ont utilisé des morceaux de spéléothèmes, du silex et diverses roches… Les plaquettes, en particulier, proviennent le plus souvent de concrétions de calcites.
Parfois la surface est rougie partiellement et présente des zones rubéfiées indiquant l’endroit où se trouvaient les mèches.
Quelques lampes avec des motifs
Selon une récente synthèses (Beaune 1987), environ 170 lampes paléolithiques sont clairement caractérisées, dont 1/3 provenant de grottes. Certaines de ces lampes sont incisées de représentions animales (La Mouthe) ou de signes (Lascaux) (cf : La préhistoire. Histoire et dictionnaire, Denis Vialou).
Dans le cas de La Mouthe, fait rarissime et unique, le bouquetin sur la lampe est également gravé sur les parois de la grotte !
Une production limitée dans le temps et géographiquement
La plus ancienne lampe est datée du Paléolithique inférieur… C’est la lampe du Puits Goyen. Mais les recherches ultérieures remettent en cause cette datation.
C’est effectivement une problématique commune à de nombreux artefacts qui ont été trouvés lors d’anciennes fouilles : les contextes culturel, stratigraphique ou chronologique n’ont pas pu être déterminés avec certitude.
Une comptabilisation des lampes retrouvées permet de les classer selon le contexte (1). Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la majorité des luminaires ont été trouvés dans des abris sous roche (51%), dans des grottes sans luminosité (19,5%), dans des grottes bénéficiant d’un peu de lumière naturelle (12%), et dans des sites de plein air (7,5%). Les lampes n’ont donc pas forcément été abandonnées à l’endroit où elles étaient le plus utile, les grottes obscures !
De quand datent les lampes ?
Sur les lampes clairement répertoriées (1) la majorité proviennent du Magdalénien (+ de 70%), de l’Aurignacien (13%), du Solutréen ou Magdalénien (+ de 9%), de l’Azilien ou Magdalénien (+ 5%).
et de quelle région ?
Toujours dans l’étude de Sophie A. de Beaune(1), sur 285 lampes trouvées en France et datées, 120 proviennent de Dordogne, 48 de Gironde, 22 d’Indre, 20 d’Arièges, 14 des Pyrénées-Atlantiques, 9 de Charente et 9 de la Loire…
Les premières lampes retrouvées
Parmi les plus anciennes découvertes de lampes à graisse, on peut bien sûr citer la lampe de la Chaire à Calvin (Charente), trouvée en 1854 par A. Tremeau de de Rochebrune. L’authenticité des lampes du Paléolithique s’appuie sur la découverte de la Lampe de la Mouthe en 1899 par Emile Rivière. Cette dernière cavité étant obstruée à sa découverte par un dépôt du Paléolithique supérieur, tout ce qu’elle contenait était forcément daté d’une époque antérieure : gravures et peintures pariétales, art mobilier…
Ce n’est qu’à partir de 1902 que l’authenticité des lampes paléolithiques a été reconnue… Les chercheurs ont alors « replongé » dans les réserves des anciennes fouilles de sites et plusieurs autres lampes sortirent de l’anonymat pour se voir attribuer une utilisation préhistorique.
Nous voyons naturellement l’utilité des lampes à graisse pour explorer et se déplacer dans les grottes et cavités sans lumière. Cette évidence ne doit pas masquer que les paléolithiques devaient également utiliser cette source de lumière transportable pour se déplacer en plein air ou avoir des activités nocturnes de taille, façonnage… qui ne peuvent être réalisées sans une source lumineuse.
Paul G. Bahn conclue : « nous ne devons jamais perdre de vue que les grottes et l’obscurité faisaient partie de l’environnement de nos ancêtres, et il est clair qu’ils savaient s’en débrouiller avec succès, même s’ils passaient la plupart de leur vie à l’extérieur« .
CR
Sources principales du dossier :
(1) Lampes et godets au Paléolithique, Sophie A. de Beaune.
(2) L’art de l’époque glaciaire, Paul G. Bahn.
(3) Dictionnaire de Lascaux, Brigitte et Gilles Delluc.
(4) La fabuleuse histoire de nos origines, Marc Azéma & Laurent Brasier.
(5) Le temps des lumières à la Grande Grotte d’Arcy (Yonne)
Outils préhistoriques, Jean-Luc Piel-Desruisseaux.
La préhistoire – Histoire et dictionnaire, Denis Vialou.
Le brûloir de Lascaux, Abbé Glory 1961.
Histoire de l’allumage du feu des origines à nos jours – Bertrand Roussel, Paul Boutié
De la Préhistoire à nos jours
Nouvelle édition 2015
Ouvrage réalisé sous la direction de Bertrand Roussel