Sortie d’Afrique, ou plutôt les sorties d’Afrique !
Les premiers hommes, franchissaient les frontières invisibles du continent africain.
Il faut veiller, quand on parle de sortie d’Afrique aux temps paléolithiques (ou Out of Africa), à évacuer l’image d’un homme marchant seul, une sorte d’aventurier à la recherche de nouveaux territoires. Pour qu’une migration soit féconde il faut un petit groupe d’hommes et de femmes. Ils ne sont pas forcément dans une logique de découverte, mais ils déplacent leurs campements au fur et à mesure de leurs besoins. Bien entendu, ils ne se rendent pas compte qu’ils « sortent » d’Afrique, ils suivent peut-être tout simplement des troupeaux… La dispersion de l’humanité sur les autres continents ne s’est pas faite de manière prédéterminée. Des hominidés, par petits groupes de plusieurs individus, ont suivi des « voies », sans savoir où elles les menaient. De la même manière, il est certain que des groupes ont ensuite suivi le chemin inverse et sont retournés vers le sud… en Afrique ! Il n’y a pas eu de mouvement migratoire dans un seul sens (du sud au nord) mais plutôt des va-et-vient incessants démontrant ainsi que rien n’était planifié.
Les origines africaines
Parler de sortie d’Afrique des premiers homininés place d’emblée les origines de la lignée humaine sur le continent africain. C’est logique mais cela va mieux en le disant ! En effet, tous les plus anciens fossiles d’hominidés ont été retrouvés en Afrique. On peut bien sûr citer Toumaï (-7 millions d’années), Orrorin (-6 millions d’années), Lucy (-3,2 millions d’années), ou encore, plus récent Australopithecus sediba (-1,95 millions d’années). Jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire une nouvelle découverte de fossile hors du continent africain, nos plus lointains ancêtres se trouvaient en Afrique.
Les premières sorties d’Afrique ( aux alentours de -2 millions d’années)
Avant le genre Homo, aucune trace ne laisse supposer que des hominidés ont pu (ou voulu) migrer hors d’Afrique. Les lignées d’australopithèques et de paranthropes vivaient certainement en petits groupes familliaux. Ils ne s’aventuraient pas en dehors de leur territoire, loin des sources de nourriture.
Jusqu’à une période récente, d’après les anthropologues, les différentes études réalisées et les fossiles retrouvés indiquaient que seule une espèce, Homo erectus, avait pu partir à la conquête du monde il y a 1 million d’années.
Mais ça, c’était avant… avant que les découvertes de fossiles et d’outils en Europe et en Eurasie ne prouvent que d’autres hominidés s’étaient déployés auparavant en dehors du continent africain. Ainsi, on trouve maintenant des traces de ces premiers voyageurs un peu partout en Eurasie…
Pour l’anthropologue Antoine Balzeau « Les premiers indices de ces mouvements humains sont les outils lithiques. Les plus anciens outils connus à ce jour ont 2,6 millions d’années et proviennent d’Afrique de l’Est. Quelques centaines de milliers d’années après, ils étaient utilisés en Afrique du Nord et du Sud. Un peu plus tard, il y a environ 1,5 million d’années, des outils étaient façonnés au Proche-Orient et en Asie. Toutefois, leur présence n’est pas avérée en Europe avant 1,2 million d’années, les industries plus anciennes demeurant controversées. » (La Préhistoire, Balzeau – Archambault de Beaune).
Par où sont passés ces « migrants »
Naturellement, en regardant la carte du monde actuel, le seul point de passage possible est le couloir du Levant, au Proche-Orient. Mais si on se positionne il y a 1 ou 2 millions d'années, lors de périodes de glaciations, le niveau de la mer étant plus bas, certaines terres étaient en fait émergées. D'autres lieux de passage sont donc possibles : le détroit de Gibraltar qui, depuis l'Afrique du Nord donne accès à l'Europe (en radeau), ou la Sicile (qui n'était peut-être pas une île à l'époque).
Faisons un tour d’horizon des preuves concrètes de la présence ancienne des représentants de la lignée humaine hors d’Afrique.
Dmanissi, en Géorgie
C’est sur ce site de Géorgie que des restes fossilisés d’hominidés ont été exhumés à partir de 1991 : des crânes, des mandibules, des dents. Cette découverte d’hommes anciens fit grand bruit, surtout quand on découvrit qu’ils étaient datés de – 1,81 million d’années. On associe la morphologie d’Homo georgicus à celles des Homo habilis et des Homo erectus.
Ile de Java, en Indonésie
Plusieurs fossiles ont été retrouvés dans des couches volcaniques permettant de dater les ossements. Parmi eux, l’enfant de Mojokerto a vécu il y a 1,8 million d’années. Les fossiles de cette époque sont maintenant apparentés à l’espèce Homo erectus.
Longgupo, en Chine
C’est dans l’est de la Chine qu’une mandibule datée de -1,8 million d’années a été mise au jour, accompagnée d’outils lithiques. Si la datation n’est pas remise en cause, l’appartenance de cette mandibule à la lignée humaine (Homo erectus ?) ne fait pas l’unanimité, car certains scientifiques l’attribuent plutôt à un grand singe, le gigantopithèque.
Atapuerca, en Espagne
En 2008, à Atapuerca en Espagne, sur le site de la Sima del Elefante, ont été découverts les restes d’une espèce non identifiée d’hominidé datant de -1,2 million d’années. Dans le gisement de la Gran Dolina, des ossements d’une nouvelle espèce, Homo antecessor, présente des caractéristiques qui le rapprochent d’Homo ergaster. Ces ossements sont datés, pour les plus anciens, de – 1 million d’années.
En France
Dans l’hexagone, pas de restes fossiles de nos ancêtres il y a un million d’années. Ceci dit, ces premiers hommes ont laissé des traces de leur passage. A Lézignan-la-Cèbe, par exemple, on a identifié des outils de pierre dans une couche archéologique datée entre 1,1 et 0,9 million d’années. Dans la grotte du Vallonnet, des chopping-tools qui ont été retrouvés et datés de – 1 million d’années. A Pont de Lavaud, des industries lithiques archaïques montrent une présence humaine il y a 1 million d’années (date obtenue par la datation ESR des formation sédimentaires. Sans ossements humains on pense que ces outils sont l’œuvre d’un Homo erectus ou d’un Homo antecessor.
C’est donc un grand nombre de représentants de la lignée humaine présents en Europe et en Asie, bien avant la première migration envisagée. Cela indique que la première sortie d’Afrique est bien plus ancienne qu’on ne le pensait. Ces premiers hominidés se sont donc dispersés dans toutes les directions (Dmanissi, Atapuerca…), sans but précis. Le paléoanthropologue François Marchal précise « …nous sommes dans des logiques d’extension des aires géographiques d’occupation d’une espèce, qui sont peut être dues, soit à l’évolution de l’espèce en question qui acquiert de nouvelles capacités, soit l’évolution des environnements, soit les deux.«
Il est maintenant majoritairement admis que les premières migrations hors d’Afrique ont dû s’effectuer il y a 2 millions d’années.
Les dernières vagues (- 100 000 ans)
Homo sapiens
Si l’espèce Homo sapiens est apparue il y a 300 000 ans en Afrique, deux théories sont débattues sur son origine. Pour une partie des anthropologues notre espèce a certainement évolué à partir des Homo heidelbergensis. Pour une autre partie, Homo sapiens aurait pour ancêtres des Homo rhodesiensis.
Les plus anciens fossiles Homo sapiens sont estimés à – 300 000 ans au Jebel Irhoud (Maroc) – 195 000 ans (Omo I) et -156 000 ans (Herto 1) en Ethiopie. Pour l’instant, les Homo sapiens retrouvés hors du continent africain sont datés de – 100 000 ans en Israël ( Skhul et Qafzeh), – 50 000 ans en Chine et – 45 000 ans en Europe : Grotte du Cavallo, Pouilles, Italie et Kent (Tonkay). Il faut noter que d’autres fossiles, notamment en Chine, ne sont pas encore reconnus par l’ensemble de la communauté scientifique. La première vague de migration d’Homo sapiens date d’au moins de -100 000 ans, elle a été confirmée en 2016 par une étude génétique.
Pour l’anthropologue Sandrine Prat « Différentes hypothèses ont également été avancées pour les voies de passage entre l’Afrique et l’Eurasie. Une voie africaine (dispersion par le Nord) le long de la côte occidentale de la mer Rouge jusqu’à la péninsule du Sinaï, puis le corridor levantin (Derricourt, 2005 ; King et Bailey, 2006) ; ou une voie traversant la mer Rouge (dispersion par le Sud), passant par le détroit de Bab-al-Mandeb, jusqu’à la péninsule Arabique (Mithe et Reed, 2002) » (in La Paléodémographie).
Un autre chemin ?
Comme pour les premières "sorties" hors d'Afrique, ou Out of Africa, plusieurs hypothèses sont envisagées.
En 2011, une équipe a découvert des silex taillés dans le Djebel Faya (péninsule arabique) indiquant que des migrants auraient traversé le détroit de Bab-el-Mandeb il y a 125 000 ans.
En investissant le vieux continent Homo sapiens a rencontré Néandertal, présent depuis bien plus longtemps en Europe et en Eurasie. On sait depuis 2010 qu’il a pu également côtoyer l’Homme de Denisova, connu seulement par quelques dents et un morceau de phalange, mais dont l’ADN est différent du nôtre. Il n’existe pas encore de preuve qu’Homo sapiens n’ait, en revanche, connu l’Homme de Flores (issu d’un Homo erectus ?), isolé sur une île d’Indonésie…
Les hypothèses de l’émergence d’Homo sapiens
Une question plus théorique se pose concernant le déploiement et le(s) « foyer(s) » de l’espèce Homo sapiens. Trois théories sont en lice :
– selon la théorie Out of Africa (ou monocentriste) il existe un seul berceau pour les hommes modernes : l’Afrique. L’espèce Homo sapiens sort d’Afrique et remplace les autres espèces déjà présentes comme Néandertal, ou Homo erectus en Asie. Il ne s’hybride pas avec Homo erectus. C’est cette théorie qui a été le plus adoptée par un grand nombre d’anthropologues. Elle est très argumentée par l’étude génétique des populations contemporaines.
– selon la théorie en Candélabre(ou pluricentriste) les Homo erectus partis d’Afrique il y a 2 millions d’années ont évolué de manière identique dans des régions différentes. Toutes ces populations ont donné naissance à la même espèce (Homo sapiens) à plusieurs endroits du Vieux Continent. Ce type d’évolution permet l’émergence de particularités régionales sans pour autant faire émerger de nouvelles espèces à proprement parler.
– enfin, une théorie qui obtient de plus en plus de suffrages : l’évolution réticulée(ou intermédiaire). C’est un peu une combinaison des deux théories précédentes : toutes les populations sorties d’Afrique se sont hybridées avec les hominidés déjà présents sur le Vieux Continent. Les vagues d’émigrants se sont donc fondues avec les populations plus anciennes : Homo sapiens est le résultat d’un vaste brassage ! Pour le paléoanthropologue François Marchal « il est intéressant de noter que même si cette hypothèse, d’un point de vue logique, semble une sorte de compromis entre les deux autres, d’un point de vue historique, elle est la première à avoir été formulée. En outre, le degré d’hybridation entre migrants et autochtones est variable et dans tous les cas, on considère que la contribution des autochtones est minoritaire par rapport à celle des migrants« .
Pour le préhistorien Francis Bon « En Asie, on est resté assez traditionnel et l’on a préféré demeurer de forme Erectus, certes évolué et avec des caractères «asiatiques»; en Europe, on innove et l’on apprécie adopter la silhouette gracieuse de Néandertal; en Afrique, on mute encore davantage et voilà que surgit Sapiens.
Plaque tournante de plusieurs de ces populations, le Proche-Orient reçoit des influences alternativement africaines et européennes. Et c’est ainsi que, vers 200000 ans, au moment ou commence notre récit, car c’est grosso modo à partir de cette date que Sapiens amorce une diffusion qui l’amènera, mieux que tout autre, à connaître un succès planétaire, l’humanité est plus diverse qu’elle ne l’a jamais été et ne le sera depuis lors. » (Sapiens à l »oeil nu, 2019)
Et Néandertal ?
Les plus anciens fossiles de Néandertaliens sont datés de – 250 000 ans. On peut citer les sites de Krapina (en Croatie), de Saccopastore (Italie) mais aussi des sites français comme Biache-Saint-Vaast, Vouthon ou Montmaurin. Si aucun squelette de Néandertalien n’a été trouvé sur le continent africain on a exhumé au Proche-Orient des anciennes sépultures néandertaliennes à Amud et Tabun.
On ne peut peut donc pas parler de « sortie d’Afrique » pour Néandertal mais plutôt d’une « deuxième génération » à partir de migrants plus anciens !
Il y a 30 000 ans, une seule espèce ?
Plusieurs espèces d’hominidés ont donc été exhumées sur le continent eurasiatique depuis 1,8 million d’années. Cette richesse de fossiles montre les nombreux mouvements des hominidés en dehors du continent africain et la diversité du buisson de l’évolution humaine. Depuis quelques dizaines de milliers seule l’espèce Homo sapiens survit et s’est progressivement adaptée à tous les climats, sous toutes les latitudes. Il ne reste plus de territoire terrestre à « coloniser ».
Tous les fossiles exhumés et âgés de 30 000 ans au plus correspondent à l’espèce Homo sapiens. Toutefois, il est possible que des ultimes représentant de Néandertaliens ou des Dénisoviens aient survécu à cette période. Sans oublier le « petit homme » de Flores, dont les ossements ont été datés de – 12 000 ans en Indonésie, à l’est de Java.
De futures découvertes de fossiles et les études génétiques pourront certainement compléter les trous dans notre arbre généalogique et les mouvements de populations.
Hominides.com remercie Antoine Balzeau et François Marchal pour leur conseils et corrections.
Cartographie : Neekoo pour Hominides.com
de Denis Vialou