La disparition de Néandertal
Pourquoi néandertal a disparu ?
Néandertal, un ancien européen bien implanté
Depuis 120 000 ans Homo neanderthalensis s’est propagé à travers l’Europe et au Moyen-Orient. Si la majorité des scientifiques sont d’accord sur le fait que la densité de population était faible, le nombre de néandertaliens présents fait toujours l’objet de discussions. Si, selon une étude américaine, la population européenne des néandertaliens est estimée à 15 0000 individus, d’autres anthropologues comme Bruno Maureilles estiment que ces chiffres sont sous-estimés.
En 10 000 ans il va progressivement « lâcher du terrain » pour finalement disparaître et laisser Sapiens maître des lieux. Comment s’est passé cette extinction ? Pourquoi Néandertal n’a-t-il pas continué à vivre à côté de Sapiens ? Si les questions sont nombreuses, les hypothèses pour expliquer cette disparition sont également multiples…
L’implantation géographique de Néandertal et de Sapiens depuis 40 000 ans
La carte ci-contre montre le recul progressif de Néandertal et l’expansion de Sapiens en Europe.
– 40 000 ans en arrière, Néandertal est le maître des lieux en Europe : il est installé sur un territoire allant de l’Albanie à l’Espagne, avec même une incursion dans le sud de l’Angleterre. Il a conquis ces territoires depuis 80 000 ans.
– 35 000 ans, Homo sapiens commence sa progression à partir de l’Europe de l’est. Néandertal se rétracte lui en France et dans l’ouest de la péninsule ibérique.
– 30 000 ans, Sapiens a remplacé Néandertal sur l’ensemble de l’Europe, ne lui laissant que quelques zones limitées au sud du Portugal, et la région sud-ouest de la France (Saint-Césaire).
- -28 000 ans , des tailles moustériennes d’outils sur le gisement de Byzovaya réalisées par Néandertal dont la datation est indéniable
– 24 000 ans, dernières traces de Néandertal dans la grotte de Gorham à Gibraltar visitée depuis – 65 000 ans.
Toutefois les datations récents sont remises en cause.
Fin de l’histoire…
La cohabitation de Sapiens et Néandertal a duré plus de 15 000 ans… en Europe !
Cro-magnons et néandertaliens ont donc cohabité sur les mêmes terres, chassant sur le même territoire, s’abreuvant aux mêmes points d’eau, reculant devant les mêmes dangers, et cherchant tous les deux à se protéger des mêmes événements climatiques.
Cette cohabitation entre -54 000 et -40 000 ans s’est même déroulée pendant une période de relative accalmie climatique.
Les deux espèces ont dû se rencontrer, apprendre à se connaître et pourquoi pas, à pratiquer quelques « échanges » ou du troc. Une étude publiée dans la revue Nature (septembre 2005) démontre que les Homo sapiens et les Néandertaliens ont partagé le même site de la Grotte aux Fées il y a 38 000 ans.
Bien sûr on peut également imaginer que cette cohabitation n’a pas été aussi idyllique et que quelques affrontements inter-espèces ont dû avoir lieu, comme cela devait être également possible entre différents clans intra-espèces.
Les différentes hypothèses de la disparition de néandertal
Comment Néandertal a disparu ?
Que s’est-il passé pour que Néandertal, si bien adapté à son milieu (il était là depuis 120 000 ans !) disparaisse en 15 000 ans ? Il a résisté à de nombreux changements climatiques et a su s’adapter à des environnements très différents (du très froid au tempéré).
Pour expliquer cette disparition on a longtemps présenté les néandertaliens comme des brutes épaisses, sans culture, incapables d’évoluer… (voir la reconstitution de Néandertal par Marcelin Boule). Les nombreuses découvertes archéologiques successives démontrent le contraire…
Comme l’Homo sapiens, Néandertal fabrique des outils ou inhume ses morts : on a découvert ses sépultures funéraires sur les sites de Qafzeh (Israël) ou encore de Shanidar en Iraq. Son inadaptation est un mythe : il a vécu sous des climats très froids, dépensant jusqu’à 5 000 calories par jour (Etude de Steven E. Churchill, Université de Duke).
L’infériorité de Néandertal.
Comme une litanie, et depuis sa découverte au 19ème siècle, Néandertal a été affublé d’une infériorité intellectuelle, adaptative et culturelle. Une grande partie de cette vision est due aux premiers chercheurs qui ne pouvaient imaginer un autre hominidé à égalité avec Sapiens. Pour le paléontologue Marcellin Boule, Néandertal est plus proche du singe que de l’homme, « à peine sorti de l’animalité ».
Cette vision de Néandertal a perduré, laissant croire à de nombreuses générations que si Néandertal avait disparu c’est tout simplement qu’il ne pouvait survivre aux côtés de Sapiens…
Les études récentes attribuent à cet hominidé un vrai savoir-faire dans la fabrication d’outils, d’adaptation aux changements climatiques, éliminant du coup cette hypothèse de disparition… Voir aussi comparaison Sapiens-Néandertal.
La concurrence dans l’espace vital
Pour Jean-Jacques Hublin (anthropologue, Max-Planck-Institute), la disparition progressive de Néandertal peut s’expliquer par la concurrence directe avec Homo sapiens. Depuis son arrivée en Europe, Sapiens colonise toutes les niches écologiques où Néandertal se trouvait seul jusqu’alors. D’un point de vue alimentaire Sapiens a su diversifier ses proies comme les petits mammifères, là où Néandertal se « cantonnait » aux gros herbivores comme les mammouths. Il en résulte pour Néandertal une chasse plus dangereuse et aussi plus aléatoire.
Loin de l’image idéale d’un Homo sapiens « naturellement bon » et pacifiste, J-J Hublin n’exclut pas que des combats Sapiens-Néandertal aient eu lieu pour la conquête de territoires. La disparition de Néandertal serait donc due à une alimentation plus irrégulière, une natalité plus faible, une mortalité plus forte accentuée par des combats avec Sapiens. En savoir plus en lisant Quand d’autres hommes peuplaient la terre, de J-J Hublin.
Le génocide
Depuis 1986 des scientifiques ont avancé que les Sapiens auraient purement et simplement éradiqué les Néandertaliens au fur et à mesure de leur progression en Europe. Cette hypothèse guerrière n’a jamais pu être prouvée. De plus ce génocide n’aurait laissé que peu de traces. En effet, selon Bruno Maureille (2008), « Sur les centaines de spécimens connus pour la lignée néandertalienne on ne connaît que deux sujets (Shanidar 3 et Saint-Césaire 1) qui montrent des blessures ayant laissé des traces sur le squelette…probablement d’origine humaine… Notons que les fractures ont été consolidées, les individus ont donc survécu. »
La fuite devant Sapiens
Marylène Patou-Mathis (Préhistorienne, CNRS) développe, à l’inverse de la théorie de l’affrontement, l’hypothèse d’un Néandertal refusant le contact avec Cro-magnon. Elle imagine un Néandertal non-violent, peu agressif, en osmose avec la nature qui répugne à tuer ou à combattre. Cette culture pacifiste et une mortalité infantile importante vont être à l’origine de sa disparition : devant l’arrivée de Sapiens, Néandertal va reculer. Reculer géographiquement pour éviter le contact, et reculer démographiquement par manque de descendance. La préhistorienne estime par ailleurs qu’il y a 30 000 ans il ne restait déjà plus que 20 000 néandertaliens en Europe et Asie…
L’alimentation limitée de Néandertal
Toujours présente dans l’esprit de quelques scientifiques, Néandertal aurait eu une alimentation moins diversifiée que Sapiens. Plus carnée et donc plus aléatoire (chasse), moins vitaminée et moins variée, l’alimentation de Néandertal aurait donc limité sa croissance et ses capacités de développement. Une récente étude des sites de Vanguard et de Gorham démontre au contraire que Néandertal savait s’adapter et pouvait consommer différents types de nourritures. Si Néandertal avait vraisemblablement un autre type d’alimentation que Sapiens, cela ne peut pas être la seule et unique raison de sa disparition.
L’isolation de Néandertal
C’est à partir de la sortie de son livre « Le dernier néandertalien » (2023) que l’archéologue Ludovic Slimak a commencé à développer sa propre hypothèse sur la disparition de Néandertal. Le chercheur se base sur les traces de consanguinité et d’anomalies génétiques retrouvés sur les néandertaliens. Il prend également en compte l’un des site qu’il étudie depuis plus de 30 ans, la grotte Mandrin, ou le profil génétique d’un fossile montre que le clan de cet Homo néandertalensis était isolé depuis très longtemps (plus de 100 000 ans). Il en déduit que cette espèce éteinte ne communiquait que très peu avec ses congénères même s’ils étaient géographiquement proches.
« Neandertal vivait dans des petits cercles dans des petits terroirs. Contrairement à Sapiens, il ne conçoit pas le monde comme parcouru de grands réseaux… » Pour le chercheur, ce sont les choix sociaux de néandertal qui ont du provoquer sa perte : « Il est probable que le comportement de ces populations a induit leur propre extinction. Ils se sont éteints d’eux-mêmes, balayés par ce qu’ils étaient.«
L’épidémie mortelle
Sans une seule preuve matérielle, il a été imaginé que Néandertal aurait pu succomber à une maladie mortelle qui selon les auteurs aurait même pu être apportée par les Sapiens originaires d’Afrique. La majeure partie des maladies ou infections ne laissant pas de trace sur les fossiles, cette hypothèse ne pourra jamais être vérifiée.
Par ailleurs si cette épidémie était si foudroyante pour tuer tout une espèce, il est inimaginable que Néandertal ait survécu pendant 15 000 ans.
Néandertal n’a pas disparu.. il est en nous !
Une hypothèse qui a le mérite de la simplicité : Néandertal n’a pas disparu, il s’est juste mélangé avec Sapiens. De manière plus simple : les néandertaliens et les Sapiens auraient été suffisamment proches pour se reproduire et mélanger leurs gênes. Nous serions donc tous, un peu, les enfants de Néandertal et Sapiens.
Cette hypothèse restait en suspend jusqu’aux récents progrès de la génétique. En 2008 les études de l’ADN mitochondrial de Néandertal et du nôtre indiquaient que nous n’avions décidément rien à voir avec eux… Mais en 2010 le même organisme (l’Institut Max Planck en Allemagne) étudiant cette fois l’ADN nucléaire démontre que nous partageons avec Néandertal 4% de notre génome… Par ailleurs cette dernière étude montre que le flux génétique a dû se produire il y a 100 000 ans au Moyen-Orient.
Si effectivement nous avons du Néandertal en nous, rien ne prouve que lors de la disparition des néandertaliens nos deux espèces continuaient de se mélanger…. Et dans tous les cas cela ne peut être la cause de son extinction.
Une évolution démographique négative
Bruno Maureille (anthropologue, CNRS) présente une nouvelle hypothèse intégrant plusieurs phénomènes pour expliquer la lente disparition de Néandertal.
Il y a 40 000 ans, les conditions climatiques s’améliorant, une faune constituée de grands herbivores se développe au détriment du renne. Les sources de nourritures sont plus nombreuses incitant les populations de néandertaliens à se disperser. Cet « éparpillement » affaiblit les échanges biologiques entre les groupes néandertaliens.
De la même façon les échanges culturels deviennent plus rares, les inventions et avancées technologiques ne peuvent plus se diffuser rapidement.
Cette dispersion permet aux Sapiens de s’installer et d’isoler encore plus les groupes de néandertaliens. La densité de population néandertalienne diminue progressivement jusqu’à l’extinction. Pour Bruno Maureille les causes de la disparition de Néandertal sont donc à chercher avant l’arrivée de Sapiens.
L’hypothèse climatique
Après une amélioration climatique il y a 40 000 ans, les variations de températures qui suivent démontrent une détérioration du climat. Des chutes et des hausses de plusieurs degrés sont attestées parfois en quelques dizaines d’années… Selon plusieurs auteurs ces bouleversements climatiques peuvent être à l’origine de la disparition de Néandertal, par manque d’adaptation.
Une étude réalisée par une équipe franco-américaine est venue contredire cette hypothèse en décembre 2008. En analysant les modifications du climat et les sites où se trouvaient Néandertal, ils ont pu démontrer que les deux items n’étaient absolument pas corrélés. D’après les auteurs il semble que Néandertal ait reculé devant les avancées des Sapiens plutôt que devant les événements climatiques.
Conclusion, provisoire…
Au fil des années, les hypothèses pour expliquer l’extinction de Néandertal s’enrichissent et font appel, de plus en plus souvent, à des facteurs multiples. Il n’est plus question de trouver une seule explication car généralement celle-ci ne résiste pas à la critique… La fécondité amoindrie, la surmortalité font ainsi partie des anciennes pistes complètement abandonnées…
Les modifications du climat et de la faune, l’arrivée de Sapiens, les avancées technologiques, la démographie en berne de Néandertal font certainement partie de l’explication globale. C’est certainement l’accumulation de plusieurs raisons qui ont réussi à décimer Néandertal… Lui qui avait pourtant conquis une grande partie de l’Europe et du Moyen-Orient, et survécu à des climats extrêmes…
CR
Références utilisées pour la rédaction de cet article
Néandertal – Enquête sur une disparition – Les Dossiers de la Recherche – N°24
Nouvelle Histoire de l’Homme – Les Dossiers de la Recherche – N°32
La nouvelle histoire des hommes disparus – Science et Vie – N°235
Néandertal mon Frère, Sylvana Condemi et François Savatier
Quand d’autres hommes peuplaient la Terre, Jean-Jacques Hublin
Qu’est-il arrivé à l’homme de Néandertal ?, Bruno Maureille
Un néandertalien dans le métro, Claudine Cohen
Extinction de Néandertal – Etude du CNRS publiée en Décembre 2008
A lire également :
La spéciation par distance
Pour Jean-luc Voisin (Institut de Paléontologie Humaine), les fossiles de Néandertal sont notablement différents de l’est à l’ouest de l’Europe. Les populations occidentales présentent des caratères néandertaliens plus prononcés que celles du Proche-Orient ou d’Europe Centrale.
Selon le paléontologue, les néandertaliens installés à l’est de l’europe sont donc entrés en contact plus précocément avec l’homme moderne. L’hybridation était encore possible.
Par contre les néandertaliens de l’ouest avaient suffisamment évolué lors de l’arrivée des hommes modernes pour que toute hybridation soit impossible. Lisez la théorie de la spéciation par distance de Néandertal.
A lire également
– Néandertal, une spéciation par distance, de Jean-Luc Voisin (IPH) .
– Supériorité numérique de Sapiens sur Néandertal 2011
– Des vestiges moustériens en Oural il y a 30 000 ans (2011)
– Peu de diversité génétique pour expliquer sa disparition 2012
– La date de l’extinction de l’Homme de Néandertal il y a 43 000 ans ? 2013
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